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Pénurie de capital productif en France : pourquoi la clé de voûte de la pensée économique d’Emmanuel Macron ne suffit pas à comprendre la nature du mal tricolore
©Thibault Camus / POOL / AFP

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"On ne croule pas sous le capital productif" a affirmé, non sans ironie, le chef de l'Etat lors d'un échange avec l'économiste Daniel Cohen.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Une séquence à revoir à partir de 30:00

Atlantico : Lors d'un échange avec l'économiste Daniel Cohen, Emmanuel Macron a affirmé ironiquement qu'en France, "on ne croule pas sous le capital productif", insistant pour dire qu'on avait "insuffisamment attiré ou gardé le capital productif en France". La France est-elle aussi mal logée que l'affirme le Président de la République ?

Michel Ruimy :L’effort d’investissement des entreprises industrielles françaises n’est, en général, pas plus faible mais, bien au contraire, plutôt supérieur à celui de leurs concurrentes étrangères. Elles investissent environ le quart de leur valeur ajoutée, soit un taux d’investissement du même ordre de grandeur qu’en Suède et en Italie et nettement au-dessus de celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l’Espagne, qui se situe aux alentours de 20%. 
Pourtant, malgré ce taux élevé de l’investissement, l’économie française, depuis plusieurs décennies, n’est pas aussi performante en matière de compétitivité et de productivité que les autres pays européens comparables. 
En fait, il existe un certain contraste entre l’important investissement des entreprises dans l’immatériel - logiciels, bases de données, formation, Recherche & Développement… - et la relative faiblesse de l’investissement en actifs physiques, notamment les machines et équipements. Par comparaison sur ce dernier point avec l’Allemagne, l’écart de taux d’investissement est grosso modo de 1,5 point de valeur ajoutée au profit des entreprises allemandes. Une explication possible serait que les industriels français choisiraient davantage délocaliser à l’étranger une part importante de leur production tout en gardant la conception, et donc l’investissement immatériel, sur le territoire national. Ce moindre investissement dans la fabrication pourrait expliquer la dégradation de la compétitivité de l’industrie française.
Toutefois, on peut penser qu’à l’heure de la dématérialisation et de l’économie de la connaissance, l’investissement immatériel est d’autant plus pertinent et l’investissement matériel moins central comme déterminant des performances des entreprises. Le diagnostic se révèle plus complexe. En effet, les indicateurs de performance habituellement retenus pour apprécier les retombées de ces investissements ne sont peut-être pas les plus pertinents. L’efficacité de l’investissement immatériel est aujourd’hui mesurée au regard des gains de productivité et de l’augmentation des parts de marché des entreprises françaises. Si la stratégie des entreprises internationalisées est de concevoir en France et de produire à l’étranger, il serait alors plus judicieux de mesurer l’impact de l’investissement sur la profitabilité et non en considérant principalement le solde commercial, la productivité et la compétitivité.
Ainsi, si M. Macron constate que notre pays ne croulait pas sous le capital productif, il lui faudrait, comme remède, impulser une autre politique industrielle en incitant les entreprises françaises à produire en France.

En quoi la vision d'Emmanuel Macron peut-elle se rapprocher de celle d'un banquier d'affaire, visant à faire de la recherche du capital productif la pierre angulaire du retour à la croissance et au plein emploi ? 

Le rôle d’un banquier d’affaires est de fournir à vos clients du conseil stratégique de qualité, générer des idées, raisonner d’un point de vue global et considérer les choses sous tous les angles possibles. M. Macron s’inscrit dans cette stratégie à 360 degrés. 
Au plan économique, pour prendre un raccourci, la pensée d’Emmanuel Macron se rapprocherait, dans une certaine mesure, de celle du chancelier social-démocrate Helmut Schmidt qui a prononcé, en 1974, une phrase devenue culte : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». 
Or, cet enchaînement, érigé au rang de théorème sur le terrain politique, qui paraît de bon sens, ne résiste pas à l’épreuve des faits. C’est comme si nous disions que la pluie d’aujourd’hui fera pousser l’herbe demain et fera vendre des tondeuses après-demain. Au-delà de certaines conditions de réussite, les liens de causalité sont nettement plus complexes et incluent notamment la question de la demande et du niveau des taux d’intérêt. 
La formule « en creux » est exacte. S’il n’y a pas de profits, il n’y a pas d’investissements et pas d’emplois. Ceci est souvent oublié en France, pays où on sanctifie l’investissement mais où le mot « profit » révulse. Ce slogan soulève deux sujets de réflexion. Le premier est de savoir ce qui se passe avant le profit, d’où vient-il ? De la baisse des coûts via la productivité ou de la demande ? Des deux évidemment. Selon les périodes, il faut pousser l’un ou l’autre. Deuxième sujet, il peut y avoir beaucoup de « fuites » dans le raisonnement de M. Schmidt. Pour que les profits se transforment en investissements, ils ne doivent être distribués ni aux salaires, ni aux dividendes, ni à la baisse des prix de vente, ni au désendettement. 
Les entreprises ont beaucoup de travail à faire…

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