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Comment la droite française a été incapable de répondre au mouvement des Gilets jaunes
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Mauvaise récupération

Benjamin Disraeli revient sur l’incapacité de l'opposition "officielle" à se poser en représentant de la grogne des Gilets jaunes.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 17 mars 2019, 

Mon cher ami,

L'incompétence poussée de votre gouvernement.....

Je vous remercie pour toutes les informations que vous m'envoyez sur la journée de samedi en France. Je vous donne mon sentiment: Emmanuel Macron vient de reperdre à peu près tout le terrain qu'il avait regagné dans l'opinion. Mais que diable allait-il faire dans  ce télésiège? Quel était son motif de partir skier au moment où les réseaux sociaux annonçaient une mobilisation particulièrement importante? 

J'ai, comme vous regardé plusieurs des vidéos qui montrent comment les incidents ont commencé sur les Champs-Elysées. A vrai dire, je suis assez étonné de voir l'incompétence de votre actuel Ministre de l'Intérieur et de ses subordonnés immédiats. Comment peut-on disposer en T, comme ils l'ont fait, sur l'avenue des Champs-Elysée les camions de la gendarmerie mobile, comme c'était le cas au moment où commençaient d'affluer les Gilets Jaunes? Rapidement, on s'est retrouvé dans une situation où des manifestants remontaient l'avenue tandis que d'autres, arrivés par la place de l'Etoile, voulaient la descendre mais ont butté sur trois camions de gendarmes garés perpendiculairement à la chaussée. Pouvait-on imaginer plus rouge chiffon? En plus, les camions n'occupant pas toute la largeur de l'avenue, ils ont, au bout de quelques minutes été contournés par les manifestants qui descendaient, venant effectuer leur jonction rapidement avec ceux qui montaient. C'est alors que les esprits ont commencé à s'échauffer: au bout de quatre mois de répression des forces de l'ordre, leur seule présence, massive et visible, excitait des Gilets Jaunes aguerris. Et puis, il s'est passé que des militants du "bloc noir", venant se nicher dans l'exaspération montante des Gilets Jaunes, ont surgi au milieu des manifestants et commencé à s'en prendre aux camions de gendarmes; au point d'amener ces derniers à abandonner le terrain et remonter vers la place de l'Etoile. Cette victoire trop facile à fait monter l'excitation d'un cran. La foule est entrée en ébullition et a commencé à vouloir forcer d'autres barrages de police ou de gendarmerie à l'entrée des rues adjacentes. L'engenage de la violence était enclenché. En profitant de cette tension montée bien plus vite que prévu, d'autres militants du bloc noir, plus nombreux, s'étaient rassemblés sur la Place de l'Etoile et ont commencé à attaquer les gendarmes stationnés autour de l'Arc de Triomphe. Après avoir été repoussés, au terme de plusieurs attaques, ils ont fait demi-tour et commencé à descendre une avenue en pleine ébullition et se sont joints aux premiers casseurs de magasins, militants anarchistes comme eux ou Gilets Jaunes emportés par la violence et l'attrait du pillage. En moins d'une heure et demi, la place de l'Etoile et l'avenue des Champs-Elysées étaient devenues le lieu d'une anarchie quasi-totale. Bris de verre et jets de pavés répondaient aux gaz lacrymogènes et aux jets d'eau des camions de la police. J'imagine comme les vidéos se sont répandues, de manière virale, dans le monde entier a vu le chaos provoqué par le macronisme. On était loin de la cérémonie du Louvre un dimanche soir du début mai 2017; ne s'improvise pas Pharaon qui veut. Paris offrait soudain l'image d'une capitale livrée à l'anomie. 

Ce sont les images que l'on retiendra; et en particulier parce que vos chaînes de télévision n'ont pas filmé grand chose d'autre. Tous vos médias mainstream étaient attirés par le saccage du Fouquet's comme les papillons vers la lumière. Votre gouvernement lui-même n'a cessé, hier, par déclarations ou sur les réseaux sociaux, de faire de l'anarchie parisienne le centre de leur monde rétréci. Ce faisant, ils ont complètement ignoré qu'à quelques centaines de mètres de ces événements violents, d'autres Gilets Jaunes étaient allés manifester pacifiquement, certains inventant leurs propres trajets, d'autres rejoignant, en début d'après-midi la "Marche du Siècle" pour la défense de l'environnement. Les mêmes médias ont, à quelques exceptions près, complètement ignoré a fortiori  ce qui se passait en dehors de Paris. Alors que le Ministère de l'Intérieur a donné le chiffre ridicule de 32 000 manifestants Gilets Jaunes. Je fais confiance à cette page Facebook que vous m'avez indiquée, qui montre ses sources et a compté, hier 270 000 manifestants, en avouant ne pas pouvoir distinguer, dans plusieurs cas, entre manifestants Gilets Jaunes et manifestants pour l'environnement. Mais c'est précisément ce qu'il faut retenir de la journée d'hier, non seulement la mobilisation massive, comme les samedis précédents, de Gilets Jaunes pacifiques; mais aussi la rencontre avec les cortèges écologistes, marquée par de nombreuses scènes de fraternisation. Hier en France, il y a eu au moins 210 endroits où des Gilets Jaunes ont manifesté et, dans une bonne moitié d'entre eux, avec des militants de la défense de l'environnement et, quelquefois, des syndicalistes. 

Votre gouvernement est bien embarrassé. Vendredi après-midi, les lycéens manifestaient sur l'environnement; et samedi, les militants de la "Marche du Siècle" ont accueilli les Gilets Jaunes dans leurs cortèges, y compris à Paris. Le président qui avait roulé les mécaniques face à Donald Trump, sur le thème "Make Our Planet Great Again" est désormais comme un gringalet coincé entre deux colosses: l'un le frappe quand il fait mine de relever les impôts; et l'autre quand il oublie la cause du climat; les deux sont accompagnés d'un Gavroche qui suit le président en sifflotant insolemment. Franchement, mon cher ami, je ne crois pas exagérer le point de vue d'un observateur étranger en disant que votre président et son gouvernement ont perdu la maîtrise de la situation. Comment peut-on laisser faire une telle casse en plein Paris? Beaucoup crient au cynisme, pour disqualifier, une fois de plus, les Gilets Jaunes. Cela donne plutôt l'impression de l'incompétence et du dilettantisme. Non seulement parce que ce n'est pas très sérieux de la part de votre président, au sortir du grand débat, d'aller se faire photographier détendu et souriant à une terrasse de chalet de montagne ou sur un télésiège. Ensuite, parce que l'ensemble des mensonges d'Etat construits à propos des Gilets Jaunes sont en train de s'effondrer: rappelez-vous comme Christophe Castaner dénonçait l'extrême-droite; à présent, il hurle, impuissant, contre les casseurs et les anarchistes. Hier, place de l'Etoile ou sur les Champs-Elysées, ce sont des slogans d'extrême-gauche que l'on entendait. Les anarchistes étaient le moteur d'une violence largement limitée au centre de Paris; ailleurs, les Gilets Jaunes sont restés pacifiques. 

.... n'a d'égale que l'inconsistance de l'opposition

En fait, ce n'est pas seulement le gouvernement qui est définitivement déconsidéré après la journée d'hier. C'est aussi l'opposition officielle de Sa Majesté. Je ne sais pas ce qui est le plus sidérant depuis 18 semaines: l'activisme incompétent de votre président ou bien l'inexistence politique du président des Républicains, Laurent Wauquiez. Je suppose qu'on ne connaît pas dans l'histoire de votre pays d'individu qui ait eu à ce point un boulevard devant lui et qui ait ainsi renoncé à l'emprunter. Même Boulanger avait essayé; pas votre Wauquiez. Samedi soir encore, sur twitter, il se faisait commentateur, reprochant au gouvernement d'être spectateur quand les casseurs se déchaînent. Comme s'il n'était pas responsable, et lourdement, lui aussi, de ce qui se passe. Au plus tard après le 1er décembre, il aurait fallu que M. Wauquiez réclame une session extraordinaire du parlement pour le samedi qui allait suivre. Il s'agissait de placer sous contrôle le gouvernement, qui avait mis en place la sécurité inepte et inique que l'on sait: laisser faire les casseurs; taper sur les Gilets Jaunes. C'est le schéma de base de ce gouvernement progressiste. Samedi 16 mars, on a peu tapé sur les Gilets Jaunes parce qu'ils étaient le plus souvent protégés par les manifestants écologistes. Mais les samedis précédents, la répression a été violente. Imaginons que le Parlement ait siégé à partir du début décembre, demandé des comptes à la police, utilisé la crise des Gilets Jaunes pour critiquer fondamentalement les options majeures du Gouvernement, en particulier sa fiscalité inepte, hostile aux peites gens et à la transmission des patrimoines: ne croyez-vous pas que si, samedi après samedi, M. Wauquiez avait amené le Parlement à siéger, le mouvement se serait arrêté avec les vacances de Noël? Les Français auraient eu le sentiment d'être représentés au Parlement. Monsieur Wauquiez serait sur orbite pour l'élection présidentielle de 2022. Sans brûler les étapes, on aurait la garantie d'un bon débat à l'élection européenne puisqu'évidemment la France ne peut pas, dans l'état de ses finances publiques, répondre adéquatement à la crise sans accroître, au moins provisoirement, le déficit budgétaire. 

Si vous regardez bien, d'ailleurs, la question dont nous parlons ne concerne pas seulement Les Républicains mais l'ensemble de la droite. Je ne trouve pas que Madame Le Pen ait été vraiment meilleure que Monsieur Wauquiez. Elle aussi a laissé un mouvement qui était fondamentalement de droite, les Gilets Jaunes, être récupéré progressivement par les réseaux de gauche. La journée du samedi 16 mars le dit bien: il y a eu tous ceux qui ont été mêlés à la violence du "bloc noir". Et tous ceux qui ont pu manifester pacifiquement à la faveur de la "Marche pour le Climat". Alors que le mouvement était au départ soit poujadiste (révolte fiscale) soit gaulliste (référendum d'initiative civique), il est en train de s'engluer dans les contradictions de la gauche qui cherche à le récupérer.. Ces deux revendications fondamentales n'ont pas disparu de chez les Gilets Jaunes mais elles sont manipulées soit par la violence de quelques milliers de jeunes métropolitains nihilistes, soit par une approche de l'écologie le plus souvent abstraite et hostile à la croissance économique dont les classes populaires ont tant besoin.

Comment les conservateurs pourraient reprendre la main 

Tout n'est pas perdu pour la droite; mais il faudra que ce soit avec d'autres chefs. Votre pays a besoin d'une opposition qui s'oppose, d'un parlement où l'on débatte des enjeux du présent. Il a besoin d'une grande force politique qui assume les intérêts des territoires - y compris leur développement écologique. Après tout, il est normal que la gauche soit plus habile à récupérer des manifestations; elle ne sait pas faire grand chose d'autre que revendiquer, manifester, "pousser un cri" comme aurait dit Jean-Paul Sartre. Il n'est pas étonnant que des militants islamo-gauchistes se soient glissés dans les manifs parisiennes au point d'insulter Finkielkraut. Il est plus facile de se faire peur à propos de la fin du monde que de se demander comment, concrètement, on va fonder une subsidiarité véritable dans un pays rongé par le centralisme depuis au moins 250 ans. Précisément: une fois retombées les exaltations du moment, il va falloir s'occuper de sécurité publique, de contrôle de l'immigration, de croissance et création d'emplois, d'amaigrissement et déconcentration de l'Etat, de suppression de couches administratives, de réforme de l'Union Européenne. La gauche actuelle est trop éclatée et incapable de cohérence pour apporter les réponses dont votre pays a besoin. La droite pourrait mieux s'en sortir, à condition de pousser les dirigeants actuels vers une retraite bien méritée. 

Mon cher ami, la crise des Gilets Jaunes ne sonne pas seulement le glas du progressisme désincarné qui a empoisonné le XXè siècle et se survit laborieusement dans votre pays. Elle doit être, pour la droite, l'occasion d'une reformulation complète de ses objectifs, d'une réunification des forces artificiellement divisées par François Mitterrand et la lâcheté ambiante et d'une nouvelle organisation, moderne et décentralisée. 

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli           

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