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Projet de loi santé : ces autres choses dont l’hôpital a plus besoin que l’argent
©Reuters

Entretien

Le docteur Michel Tsimaratos publie aux éditions Michalon "Repenser l'hôpital. Rendez-vous manqués et raisons d'espérer". Il demande l'abandon de la vision financière court-termiste et plaide pour une meilleure prise en considération des personnels de santé.

Michel Tsimaratos

Michel Tsimaratos

Michel Tsimaratos, professeur de pédiatrie à Aix-Marseille Université, dirige le service de pédiatrie multidisciplinaire à l'hôpital de la Timone à Marseille. 

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Atlantico: Quelle a été votre principale motivation pour l'écriture de ce livre ?

Michel Tsimaratos : Je suis médecin, chef de service, je travaille dans le milieu dans la santé et j'ai 54 ans : j'ai simplement passé en revue tout ce qui s'est passé dans le domaine de la santé et il m'a semblé qu'il y avait très progressivement une perte de sens, un changement de valeurs. Il m'a semblé que l'on était de plus en plus inondé d'injonctions avec des indicateurs que l'on ne comprend pas forcément ou si on les comprend ce n'est pas ce qui doit être au cœur de notre métier. Je me suis donc posé des questions, ces questions ont aboutit à une réflexion et ces réflexions -dès lors que j'ai eu l'impression que l'on avait trouvé des réponses qui pouvaient intéresser un certain nombre de personnes- à un livre. Il faut voir ce livre comme un témoignage pour contribuer à la réflexion sur le malaise de l'hôpital qui repose sur des regards croisés de différents professionnels de la santé.

Aujourd'hui il y a plusieurs problèmes et peu de réflexions structurées sur le management et les fonctions supports à l'hôpital et en particulier peu de réflexions qui se focalisent sur les rapports entre le management, la qualité des soins et le financement de ces soins. De plus, aucune des dernières réformes à part celle Ma santé 2022, qui effleure le sujet, n'a pas réellement abordé le sujet du management de la qualité. Une question se pose alors : comment fait-on mieux ?

Le projet de loi santé porté par Mme Buzyn va être examiné en séance publique à l'Assemblée Nationale dès ce lundi 19 mars. Alors que le gouvernement promet de repenser l'hôpital, vous sembler penser que toutes les raisons d'échouer son réunies ?

Oui, dans notre livre nous disons que les choses ne sont pas univoques. Il n'y pas a un seul responsable, que l'on pourrait identifier, juger et condamné. On dit que toutes les raisons d'échouer sont réunies parce que l'on montre à travers les réflexions que nous développons comment ce marasme -auquel vous faites référence- s'est construit, souvent sans heure et avec l'accompagnement de mesures qui devaient proposer des solutions.

Mais le problème, c'est que ces solutions sont très souvent pensées à court terme bien que personne ne soit mal intentionné. Je ne pense pas qu'il y ait une volonté de nuire, mais il y a une réflexion qui est en silos. Les financiers parlent de la finance, ceux qui parlent de la qualité des soins parlent entre eux mais ne sont pas vraiment écoutés… Or on voit bien que cette réflexion en silos ne répond pas à l'attente ni des professionnels de la santé, ni des patients, ni des contribuables. On est dans une alerte constante portée sur le devant de la scène par de nombreuses personnes et groupes de réflexion.

Avec ce livre, et en partageant notre expérience, nous avons voulu faire une analyse rigoureuse, sans concession des raisons de cet échec.

Comment jugez-vous les premiers éléments apportés par Agnès Buzyn quant à ce projet de lois ?

Franchement sur l'intention et sur l'esprit de la loi, nous avons l'impression que le texte va dans le bon sens. Par exemple, c'est la première fois que l'on nomme l'intéressement en lien avec la qualité. La difficulté c'est que sur le terrain les gens ne sont pas prêts, notamment ceux qui gèrent la courroie de transmission entre l'intention politique qui est contenue dans une loi et la réalisation sur le terrain. On peut prendre beaucoup d'exemples pour montrer que même lorsque l'on désire bien faire, c'est difficile à transmettre au niveau des services de soin.

Aujourd'hui 1/3 des hôpitaux publics sont dans un état d'endettement excessif, vous soulignez que la question de l'argent ne devrait pas être centrale, pourquoi ?

Les règles sont claires pour tout le monde. Aujourd'hui les hôpitaux sont proches du mode de fonctionnement des entreprises. Ils produisent quelque chose qui s'appelle du soin comme d'autres entreprises produisent des voitures ou des télévisions. Ils sont rémunérés pour ça et la plupart des hôpitaux ont des budgets adaptés à leurs activités. Mais la gestion de cet argent est souvent inadaptée à l'objet et semble être devenu plus importants que la qualité des soins en eux-mêmes. Or, cela ne permet pas aux gestionnaires, même quand ils sont bien intentionnés, d'aboutir à un équilibre. Ainsi, à partir du moment où ils ne parviennent à atteindre cet équilibre, le jugement qui porte sur la qualité des soins passe au second.

En outre, vous regardez la masse d'argent qui est dédiée à la santé dans notre pays, elle est considérable, ce n'est donc pas un problème de financement mais un problème de gestion de cet argent. Cet argent ne va pas au niveau des acteurs de premières lignes et il n'y va probablement pas parce qu'une partie est dépensée pour contrôler, vérifier… pour faire beaucoup de choses qui ne sont pas directement lié aux soins.

D'autre part, il existe une autre difficulté c'est que le destin de la sécurité sociale et des hôpitaux ne sont pas liés. Par exemple, imaginons une situation dans laquelle un patient hospitalisé tombe et se blesse parce que personne ne pouvait l'aider pour aller à la toilette -en raison du fort absentéisme qui touche les hôpitaux- : cela générerait de la richesse pour l'hôpital, améliorant donc son équilibre tout en coutant plus cher à la sécurité sociale.

L'idée de mettre la qualité et le management de la qualité au premier plan des préoccupations nous permettrait de nous pousser à tout faire pour que cette personne ne tombe pas, et par conséquent remplacer l'infirmière et l'aide-soignante. Le coût sur la société sera moindre -embaucher une infirmière coûte moins cher à la société que les effets indésirables lié à l'absentéisme- mais évidemment pour l'hôpital si on ne regarde que l'équilibre, cela coutera plus cher. La contrainte pour les hôpitaux est donc double : on voudrait soigner au meilleur prix et au meilleur endroit mais l'hôpital vit son équilibre de façon indépendante de la sécurité sociale.

L'esprit de la loi portée par Agnès Buzyn est donc probablement bon mais s'il n'y pas de stratégie précise pour déployer cette loi, et beaucoup de courage politique pour dire "oui il faut privilégier la qualité des soins au détriment des déficits" cela ne fonctionnera pas. La vocation d'un hôpital n'est pas d'être à l'équilibre mais de bien soigner. Or bien soigner, même lorsque les hôpitaux sont en déficit, coute moins cher à la société.

Dans cet ordre d'idées, vous parlez dans votre livre d'une étude menée par un Docteur américain qui explique que la qualité des soins est supérieure de 25% dans un établissement dirigé par un praticien. N'est-ce pas dans cet état d'esprit qu'il faut avancer ?

Bien sûr, mais en disant cela je suis quelque peu juge et parti. Mon livre est construit un peu comme une réflexion médicale en disant que le patient c'est l'hôpital. Cela étant dit, quand on regarde les éléments qui ont fait la preuve de leur efficacité, finalement il n'y en n'a pas tant que ça.

Dans un pays qui n'est pas du tout organisé comme le nôtre, quand on compare des hôpitaux qui sont souvent privés -comme ça a été fait dans cette enquête américaine- on constate que ceux qui sont le mieux manager sont ceux qui sont dirigés par des praticiens. Lorsque c'est un médecin qui est charge, les arbitrages qui sont donnés sont plus orientés sur la qualité tout en dépensant un peu moins d'argent.

Dans nos hôpitaux il y a un réel problème de discussions entre ceux qui prennent les décisions, ceux qui les mettent en œuvre et ceux qui les reçoivent. Notre propos a été de faire une analyse qui puisse amener à un changement d'état d'esprit. On pense que donner des subventions ne corrige pas les erreurs mais nourrit le système défaillant. On propose donc de renoncer aux indicateurs uniquement économiques et de faire de la qualité l'élément central. L'élément le plus important de cette réflexion c'est que contrairement à ce qu'on a martelé pendant des années : l'hôpital n'est pas un bâtiment mais c'est plutôt ces acteurs (les infirmières, les médecins, les brancardiers…). 

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