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Petit mémo aux désespérés du climat : comment le petit âge glaciaire des XVIe-XVIIe siècles a accéléré l’apparition de l’Europe des Lumières et du capitalisme
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Effet indirect

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'Europe a été frappée d'un petit âge glaciaire. D'après un certain nombre de chercheurs, cette courte ère glaciaire aurait conduit aux progrès techniques et politiques du siècle des Lumières.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : Aux XVIIème et XVIIIème siècles, l'Europe a été frappée d'un petit âge glaciaire. D'après un certain nombre de chercheurs, cette courte ère glaciaire aurait conduit aux progrès techniques et politiques du siècle des Lumières. Quelle est la relation de cause à effet entre âge glacière et progrès ? 

Philippe Fabry : Le « petit âge glaciaire » comme cause, ou du moins comme stimulation ayant précipité l’arrivée des Lumières, est la thèse de Philip Blom développée dans son ouvrage Nature’s Mutiny, où il a tenté de montrer que cette période particulièrement froide a accéléré l’évolution de l’Occident en mettant à mal les sociétés agricoles et féodales qui avaient prospéré durant l’optimum climatique médiéval, période particulièrement chaude entre le Xe et le XIVe siècle, ce qui aurait poussé à la mise en place du modèle capitaliste. Toujours selon lui, elle aurait également instillé le doute et une sorte de désespoir religieux, de perte de confiance dans les explications théologiques du monde et donc favorisé l’essor de la pensée scientifique.

La thèse de Blom est assez fascinante mais je dois dire qu’elle n’est pas vraiment convaincante, ou du moins qu’on ne peut pas donner à ces bouleversements climatiques un rôle véritablement déterminant dans la transformation capitaliste, puis libérale et démocratique du monde occidental après le XVIIIe siècle : la pensée rationnelle, scientifique qui a certes atteint son plus haut point après cette époque était déjà en développement depuis plusieurs siècles : avec la renaissance du droit et la multiplication des universités à partir du XIIe siècle, puis la redécouverte de l’Antiquité et l’apparition de l’humanisme et la Réforme protestante à la Renaissance, fin XVe-début XVIe, soit avant que le changement climatique ne fut vraiment impressionnant. De la même façon, le modèle d’exploitation féodal était déjà sur le déclin dès avant cette crise climatique : l’essor du mouvement communal au XIIe siècle, la raréfication de la main d’oeuvre après la Peste Noire au XIVe siècle, et la construction des Etats monarchiques au détriment de cet ordre seigneurial avaient déjà fortement fait reculer le modèle médiéval - et précisément favorisé les mutations intellectuelles précédemment évoquées, le développement des villes étant favorable à l’émergence de la pensée critique.

Il me semble donc que la corrélation ne signifie pas causalité. Au contraire, j’aurais tendance à soupçonner une inversion causale : si la crise climatique a coïncidé avec un développement accru de la pensée rationnelle et une mutation accélérée des structures économiques, c’est parce que ces phénomènes existaient déjà précédemment, et étaient en phase ascensionnelle.

Si cet âge glaciaire a poussé les scientifiques et penseurs de l'époque à devenir plus rationnels, est-ce à dire que sans lui les révolutions techniques et scientifiques seraient arrivées plus tardivement ? Peut-on également établir un lien entre cet âge glaciaire et les changements politiques qui ont marqué les 18e et 19e siècles (l'apparition du capitalisme par exemple) ? 

Même en écartant un caractère véritablement causal de cette crise climatique, il est bien difficile de nier tout effet : comme je l’ai dit, cela peut effectivement avoir un effet accélérateur, en particulier parce qu’en cas de conflit entre un ordre social, économique et intellectuel ancien, et un nouveau, une crise a souvent tendance à favoriser le second, en lui donnant l’image d’une solution à des problèmes que le premier n’a pas pu empêcher d’apparaître et ne parvient pas à résoudre. Donc, il est possible que certaines des révolutions techniques et scientifiques que nous avons connues auraient été plus tardives si la conservation de l’ancien ordre avait été favorisée par un maintien de températures hautes, qui coïncident généralement avec une certaine prospérité économique et une stabilité politique - on sait par exemple qu’il y a eu un « optimum climatique », similaire à celui du Moyen Âge, entre le IIIe siècle avant J.-C. et le Ve après J.-C, dont le pic a donc correspondu à ce qui est considéré comme l’âge d’or de l’Empire romain.

En outre que doit-on retenir de cette période ? L'actuelle crise du climat pourrait-elle être également source de progrès ? 

Ce qui est intéressant avec la « crise » actuelle, du moins telle qu’elle nous est décrite, à savoir un réchauffement, c’est qu’elle est dans le sens inverse de la précédente : comme je l’ai rappelé, les périodes chaudes, qu’on appelle « optimales », produisent des économies prospères et une relative stabilité politique. A priori, si l’on suit simplement les précédents historiques, nous devrions donc plutôt nous réjouir plutôt que de crier à la catastrophe. Et dans le même temps, ces périodes ne sont pas moins sources de progrès que les siècles du petit âge glaciaire : l’optimum climatique romain a vu l’apogée de la civilisation gréco-romaine, l’optimum climatique médiéval l’apogée de la civilisation féodale, le temps des cathédrales, de l’essor des communes et de la scolastique triomphale. Le XXIe siècle pourrait donc bien être celui de l’apogée de la civilisation occidentale - et dans un monde globalisé, de la civilisation tout court.

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