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Manifestants d’Alger – Gilets Jaunes, même défi politique ?
©BERTRAND GUAY / AFP

French connection

Le retrait de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika et le succès du Grand débat national, de part et d’autre de la Méditerranée, n'ont pas encore suffit à faire rentrer chez elles les foules en colère contre un pouvoir jugé distant, méprisant, arrogant et dans le fond, incapable d’obtenir des résultats concrets pour améliorer le quotidien.

Guillaume  Labbez

Guillaume Labbez

Guillaume Labbez, après avoir été conseiller ministériel préside l’agence de conseil en conseil en communication et analyse politique CommStrat.fr . Il est également Maître de Conférences et directeur pédagogique à Sciences Po

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De part et d’autre, surtout, la colère se cristallise contre la présidence de la République. Avec un mimétisme saisissant : quand ces dernières semaines, les manifestants décrochaient les portraits d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie, des Gilets Jaunes en faisaient de même avec ceux d’Emmanuel Macron. 

Il est devenu difficile d'ignorer les parallèles entre les deux mouvements, nées de mobilisations – spontanées ou non, nous y reviendrons - via les réseaux sociaux, qui marginalisent en quelques semaines les corps intermédiaires traditionnels, comme les partis et les syndicats.

 En France, les quinze semaines consécutives de contestation imposent ce constat : l’élan « populaire » initial a laissé place à des groupes plus politisés, et radicaux, désireux de récupérer la contestation, comme la France Insoumise à l’extrême-gauche, et de factieux d’extrême-droite, comme le bloc identitaire ou des figures telles qu’Alain Soral.

 En Algérie, le même risque de récupération par des extrémistes existe. En amont des manifestations. La chaîne qatarie Al-Jazeera – interdite en Algérie pour avoir diffusé en 2011 des images du printemps tunisien en prétendant qu’il s’agissait d’Alger – a fait le choix de mettre en avant l’islamiste Abderrazak Makri, candidat du MSP (les Frères Musulmans algériens), et ce dès la première marche du 22 février. La chaîne privée Al Magharibia était, elle, la seule antenne à diffuser en direct les manifestations. Installée à Londres, la chaîne, qui a déménagé son siège à Paris l’an dernier, est financée, entre autres, par l’un des fils de Abbass Madani, ancien dirigeant du Front Islamique du Salut (FIS) … exilé au Qatar !

 En amont des rassemblements, c’est Ali Belhadj, lui aussi ancien dirigeant du Front Islamique du Salut, qui galvanise les foules en appelant à renverser le régime dans des prêches 2.0, qui rassemblent plusieurs centaines de milliers de spectateurs sur Facebook Live. Autres influenceurs très actifs : les ex-candidats aux présidentielles Ghani Mehdi et Rachid Nekkaz. Le premier est lui ancien un ancien du FIS, le second s’est fait connaître en France en payant les amendes des femmes verbalisées car elles portent la burqa.

 Plus étonnant encore, le rôle du mouvement Rached, lui aussi fondé par des anciens du FIS. Comme l'a révélé Jeune Afrique ce dimanche, l’organisation revendique publiquement la paternité de certains mots d’ordre des manifestations, comme « Silmiya » [« pacifique.] Par le passé, ce même mouvement avait essayé d’infiltrer d’autres conflits sociaux, dont un collectif des chômeurs dans le sud du pays. 

A défaut de pouvoir améliorer la vie quotidienne des citoyens, en France comme en Algérie, les Gouvernements ont choisi d'apporter une réponse institutionnelle à ces révoltes. 

Trois pistes pour répondre à la colère :

Dans les mairies, la rue, les places ou les ronds-points, permettre un dialogue démocratique entre citoyens.

 Si la légitimité du pouvoir central est profondément contestée, les maires et les élus locaux ne sont pas remis en cause. Au contraire, comme l’illustre le succès du grand débat en France, les communes ont leur rôle à jour dans le dialogue démocratique que les manifestants souhaitent voir renforcé. En France comme en Algérie, le pouvoir politique local est la dernière institution en qui les citoyens conservent leur confiance : un mouvement de décentralisation est certainement une des réponses possibles.

 Les participants au Grand Débat en ressortent souvent surpris par la vitalité et l’implication de leurs concitoyens, dont ils ne connaissaient pas l’intérêt pour la chose publique. La démocratie ne peut plus s’exercer uniquement par l’élection de dirigeants, auxquels le citoyen n’accepte plus de donner un blanc-seing. La démocratie de demain doit certainement retrouver la voie des « agoras » et des « forums » antiques, permettant le débat, l’échange, entre des citoyens impliqués dans la vie publique.

Réaffirmer le caractère représentatif du pouvoir législatif jusqu’alors traité en supplétif :

 En Algérie comme en France, les manifestants ont le sentiment que la rue est le seul moyen de contrôler l’action du Gouvernement, qu’ils accusent de ne défendre que leurs propres intérêts, voire même d’être corrompus. Il est d’autant plus surprenant en Algérie que les citoyens manifestent, sans se rallier à des candidats à l’élection présidentielle, alors que les élections présidentielles sont dans seulement deux mois. 

Pour répondre à cette exigence de contrôle démocratique du pouvoir, les institutions représentatives doivent exercer réellement cette mission, au nom du peuple. L’Assemblée nationale française et l’Assemblée populaire nationale algérienne doivent cesser de jouer le rôle de chambres d’enregistrement. Le moyen le plus sûr de lutter contre l’antiparlementarisme des manifestants est de rendre aux parlementaires leur rôle originel : celui de porte-voix des citoyens et de défenseurs indépendants des intérêts des citoyens, exerçant leur esprit critique, comme contre-pouvoir à un exécutif qui est perçu par les manifestants comme replié sur soi evt autoritaire. Mettre fin à la concomitance entre élections législatives et mandat présidentiel pourrait être un premier pas.

Un pouvoir exécutif prêt à co-construire :

 Les manifestants algériens, comme les gilets jaunes, se révoltent contre le caractère autocratique et irresponsable d’un pouvoir sourd aux préoccupations « du peuple ». Le temps des technocrates, des grands commis de l’État paraît en effet révolu. Les citoyens attendent des dirigeants qu’ils maintiennent l’ordre public et gèrent au mieux l’État, tout en co-construisant avec la population, dans les territoires. Emmanuel Macron et son Gouvernement en France, semblent avoir compris - au moins partiellement - cette demande populaire de gouvernants à l’écoute, prêts à un dialogue ouvert, au contact des citoyens et non protégés dans leurs palais républicains. Il reste à savoir si le pouvoir algérien saura en tirer les mêmes conséquences.

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