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LR : une nouvelle charte des valeurs… sans véritable logiciel économique et social
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Trou dans la raquette

Rédigée en 2002 puis révisée une seule fois en 2012, la charte des valeurs des Républicains devrait connaître une nouvelle mouture. Jean Leonetti a été chargé de sa rédaction et validation par les instances du parti, et a annoncé qu'il comptait partir de la version précédente pour la modifier.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico: Dans cette charte on trouve de nombreux ajouts notamment sur les questions de laïcité, d'héritage judéo-chrétien, d'immigration, d'égalité des territoires notamment. Quelle est la ligne directrice de cette nouvelle charte des valeurs ? Vous semble-t-elle logique étant donnés les défis que représentent pour LR la situation complexe dans laquelle le parti se retrouve aujourd'hui, enserré entre LREM et le RN ?

Frédéric Mas: La modification prochaine de la Charte des valeurs du parti de centre-droit se fait d’abord en réaction à la nouvelle configuration politique imposée par le triomphe d’Emmanuel Macron. Pris en étau entre le populisme du Rassemblement national qui ne cesse de monter dans les sondages et la République en Marche qui a rassemblé le centre autour de la personne du Président, Les Républicains n’ont pas d’autre choix pour survivre politiquement que de réaffirmer haut et fort leur personnalité distincte.

LR a donc fait le choix d’adopter une stratégie identitaire. Pour reprendre l’analyse de Francis Fukuyama, la droite rééquilibre clairement sa plateforme idéologique en faveur de la culture et de la défense « thérapeutique » des demandes de reconnaissance de sa base électorale. Le centre-droit a intégré les critiques du « tout économique » qui réduisait la politique à de la gestion par des experts et des bureaucrates, et reparle de nation, d’héritage judéo-chrétien et tonne contre l’immigration massive. Ce n’est pas pour rien que François-Xavier Bellamy a été choisi pour incarner le parti pour les prochaines européennes.

La droite a également modulé son discours sur l’Union Européenne, en proie à sa crise la plus grave depuis sa création. Il y a comme un retour aux sources du RPR des années 80 dans leur défense d’une gouvernance de l’Europe sous le contrôle des Etats Nations : on est loin des appels à la gouvernance de la zone euro chère à Nicolas Sarkozy. La crise du consentement des peuples, ce divorce entre Demos et kratein évoqué par le philosophe Pierre Manent, a été entendue et la réponse des Républicains se veut une réaffirmation identitaire. La stratégie identitaire n’est cependant qu’une mesure conservatoire : elle témoigne du manque d’imagination d’un Etat major LR qui au lieu de viser la reconquête se concentre sur ses acquis.

La défense de l’égalité des territoires est un autre aspect marquant de l’éventuelle modification de la charte. Il y a là comme une traduction idéologique du clivage entre d’un côté l’exécutif et la représentation nationale, et de l’autre les collectivités, le sénat et les élus locaux fatigués par la présidence impériale macronienne. 

Comment expliquer que la partie économique et sociale de cette charte soit jugée moins importante que précédemment ?

Frédéric Mas: Il me semble possible d’avancer plusieurs raisons. Premièrement, une Charte n’est pas un programme idéologique directif, mais plutôt un ensemble de compromis qui reflète les intérêts, les passions et les rapports de force qui traversent LR en ce moment. Aujourd’hui, très clairement, l’aile gestionnaire et plus libérale incarnée par Juppé et ses alliés a pratiquement disparu, emportant avec elle une partie de ce discours susceptible de séduire le centre-droit.

Deuxièmement, la crise que traverse l’État providence en est arrivée à un point critique, ce qui fait de sa réforme nécessaire une source d’anxiété pour l’ensemble des Français. La fiscalité désormais confiscatoire ne cherche qu’à maintenir en état un modèle économique condamné, mais qu’aucun homme politique n’a le courage de réformer par crainte de se voir écarté du pouvoir. Qui est prêt à entendre qu’il faut se serrer la ceinture si on veut limiter le déclin du pays ? Quel homme politique peut espérer être élu sur un tel programme quasi churchillien, ne promettant que des larmes et de la sueur ?

Troisièmement, la base électorale de la droite et du centre est profondément divisée sur le sens à donner à la mondialisation et au libre-échange, et donc aux politiques publiques à adopter dans le domaine. D’un côté la petite classe moyenne et les indépendants font cause commune avec les classes populaires pour la condamner au nom de l’insécurité et de l’immigration, de l’autre les classes moyennes supérieurs et les mieux lotis la célèbre comme une source de prospérité incomparable.

Parler d’identité plutôt que d’économie est donc une autre manière d’éviter les sujets qui fâchent. C’est une stratégie à court terme, mais qui se révélera toujours plus payante électoralement que de passer pour un prophète de malheur… Seulement, les problèmes économiques de demain ne disparaîtront pas d’un trait de plume. Comment absorber le choc de l’économie numérique ? Quel impact de la robotisation sur l’emploi de demain ? Comment endiguer le déclin européen en matière d’innovation ? La droite laisse à ses adversaires de LREM le terrain de la compétence économique.

Michel Ruimy :Même si, de manière générale, on peut repérer des Droites, des Centres et des Gauches qui constituent comme des familles de pensée sur le long terme, les solutions politiques proposées sont donc très différentes d’une période à l’autre. Il n’y a pas véritablement de contenu universel et pérenne associé à ces catégories.

René Rémond parlait dans un ouvrage de trois Droites : une droite légitimiste et contre-révolutionnaire, une droite libérale, une droite bonapartiste. Existent-elles encore car, aujourd’hui, les enjeux du débat politique sont peut-être moins ciblés sur une question unique ?Le débat économique et social clive toujours entre Gauche et Droite, même si les solutions libérales et socialistes ne sont plus exactement les mêmes que par le passé.

Quand on parle de la Droite, on ne peut même pas dire, aujourd’hui, qu’elle est pour l’ordre et la Gauche pour le mouvement, comme on l’a parfois prétendu. Par rapport à l’État providence, c’est la Droite qui est réformatrice alors que la Gauche est pour la défense des acquis sociaux. A chaque période, Gauche, Centre et Droite sont des repères qui permettent de classer les partis, les hommes politiques et les idées qu’ils défendent.

Il n’en demeure pas moins qu’il y a incontestablement une différence importante entre une Droite conservatrice, plus autoritaire, favorable à une économie où l’État conserve un rôle régulateur et protecteur, et une Droite libérale en économie qui veut déréguler, libérer le travail et les dynamiques entrepreneuriales, très présente chez Les Républicains, de Raffarin à Sarkozy. La Droite bonapartiste, autrefois rapprochée du gaullisme, peut aujourd’hui, en partie, l’être du Rassemblement national qui maintient le culte du chef, de l’ordre et du patriotisme.

L’élection d’Emmanuel Macron a favorisé le brouillage des frontières entre la Droite et la Gauche. Ces derniers temps, Les Républicains ont été accusés de courir après le Rassemblement national. Dans la même semaine, Alain Juppé reprochait au parti de s’être déporté à droite tandis que Thierry Mariani d’être trop à gauche, trop centriste. On voit bien que la cacophonie s’est installée et que personne ne s’y retrouve. Le moment de réécrire le socle des valeurs du parti est nécessaire à partir des quatre thèmes que sont le travail, l’autorité, la nation, la transmission, qui ne sont pas, pour autant, des valeurs économiques et sociales.

Mais, la question à se poser est de savoir si Les Républicains correspond à l’attente des Français et si ses valeurs restent immuables. Or, le parti n’est pas assez audible et crédible parce qu’il n’avance pas d’idées neuves. La dernière grande idée de la Droite a été la défiscalisation des heures supplémentaires et elle date de… 10 ans !

Sur quelles valeurs économiques et sociales Les Républicains pourraient aujourd'hui incarner son rôle de parti de droite capable d'unir un électorat sociologiquement en scission ?

Frédéric Mas: Il me semble urgent de desserrer l’étreinte de l’Etat sur l’économie, et d’accorder à la décentralisation économique et politique la place qu’elle mérite, ce qui serait tout à fait conforme à l’esprit d’une formation libérale et conservatrice moderne. Contre l’esprit autoritaire et jacobin de LREM, la droite a une carte « girondine » à jouer en faveur des libertés locales et du marché libre créateur d’entreprises et d’emplois, qui marchent de pair au sein de ce que Friedrich Hayek appelait la Grande société. Les pouvoirs de proximité sont plus faciles à contrôler par les citoyens, et la création d’emplois productifs passe par l’initiative privée, et seulement par elle.

Comme l’a montré le sociologue américain Robert Putnam, l’Etat providence, à un certain stade de développement se fait destructeur du capital social, c’est-à-dire du ciment moral et civique qui aide à la coopération pacifique des individus au sein de la société. En remplaçant les échanges volontaires et la coopération spontanée des acteurs sociétaux par ceux hiérarchiques de l’Etat redistributif, la défiance s’installe entre citoyens et groupes sociaux. La droite aurait tout intérêt à se faire protecteur du capital social nécessaire au bon fonctionnement d’une société libre.

Endiguer la démarche de centralisation politique et social demandera un peu d’introspection de la part des dirigeants de LR, qui se veulent encore en partie les héritiers du colbertisme gaulliste. Mettre à jour le logiciel de la droite pour la rendre plus réceptive aux impératifs de la société ouverte sera peut-être la prochaine étape de son évolution politique.

Michel Ruimy :  En fait, pour Les Républicains, il y a deux écueils : le premier est celui de Mme Le Pen ou de M. Mélenchon qui sont dans l’ambiguïté sur la sortie de l’Europe et de l’euro. M. Bardella a ainsi affirmé qu’il ne fallait pas sortir de l’euro « pour l’instant » mais qu’il souhaitait que la France retrouve « une souveraineté monétaire ». Le deuxième est le projet d’Emmanuel Macron : une Europe fédérale. Alors que la France doit être leader dans le projet européen, elle n’a plus la crédibilité, notamment du point de vue économique.

Le parti a été conscient de cette situation et il a précisé sa position à l’occasion de la publication de son programme pour les prochaines élections européennes. Il s’est affirmé comme pro-européen, mais ni pour l’Europe de M. Macron, ni pour celle de Mme Le Pen.

Mais au-delà des idées, le vrai problème du parti est le manque de leader charismatique. Laurent Wauquiez ne parvient pas à s’imposer à ses rivaux, qui font bande à part : Valérie Pécresse avec Libres ! Bruno Retailleau avec Force républicaine et François Baroin avec l’Association des maires de France, sans oublier Xavier Bertrand, qui observe son ancien parti depuis ses Hauts-de-France. Les grands élus ne sont plus tournés vers Paris. Ils sont petits barons, libres dans leurs prés carrés et plus personne n’a envie de devenir ministre. On a l’impressionqu’au lieu d’être sur le même bateau, chacun est sur son canot de sauvetage.

Dans ces conditions, la reconstruction risque de prendre du temps et beaucoup de Français sont dans l’attente. La Droite risque de continuer à patauger longtemps.

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