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Match des tribunes européennes...et enlisement collectif : y-a-t-il un parti français (ou européen) capable de rassembler une majorité à Strasbourg sur son projet ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Élections

Suite à la tribune consacrée à la Renaissance européenne d'Emmanuel Macron, et à la réponse de nouvelle tête de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, c'est au tour de Jean-Luc Mélenchon, après Laurent Wauquiez, de se prêter à l'exercice dans une tribune intitulée "Sortez des traités, stupides". Mais quel projet pourrait suffisamment fédérer au niveau européen pour s'imposer à Strasbourg?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico :  Au regard de ces initiatives françaises, comment peut-on évaluer la capacité des partis politiques français à produire une ligne politique permettant de transcender les logiques nationales, et ainsi éviter que la France ne se retrouve minoritaire dans la démocratie européenne ? 

Edouard Husson : Je propose que nous ne nous arrêtions pas trop longtemps sur la tribune de Jean-Luc Mélenchon. L’ancien candidat à la présidentielle invente une nouvelle chimère politique: le populisme bobo. Il dénonce à juste titre les violences policières du gouvernement contre les Gilets Jaunes mais c’est pour tomber aussitôt dans une logorrhée écologiste qui n’a rien à envier à celle d’Emmanuel Macron. Rien dans sa tribune sur le grande aspiration qu’a révélé le mouvement des Gilets Jaunes : reprendre en main son destin, participer à la décision politique, c’est-à-dire libérer les forces entrepreneuriales locales et renforcer subsidiarité et démocratie. Laurent Wauquiez, lui, est incisif pour dénoncer l’inefficacité européenne d’Emmanuel Macron; mais que recouvre son plaidoyer pour une Europe des nations? Il semble qu’il soit plus proche de la vision d’Annegret Kramp-Karrenbauer mais il est bien moins explicite qu’elle concernant l’équilibre entre le principe intergouvernemental et le principe fédéral dans la construction européenne. Laurent Wauquiez ne parle pas beaucoup plus que Jean-Luc Mélenchon du reste de l’Europe. Ils ne sortent pas du défaut de la tribune de Macron: plaquer la vision top down d’une Europe à la française sur la réalité d’une Union européenne à 27.  Chacun vient avec son Europe, sans appeler, comme le fait la présidente de la CDU, à la confrontation entre visions de l’Europe. Aucun ne dit précisément comment il entend que les députés européens de sa tendance coopèrent avec ses collègues d’autres pays européens. Au fond, aucun de nos trois tribuns n’aime les peuples concrets. Il est tellement facile de se réfugier dans l’abstraction populiste, la langue de bois post-gaulliste ou l’européisme technocratique. 

Florent Parmentier : Les politiques français se piquent souvent d'avoir une vision propre et grandiose pour leur pays, mais également pour l'Europe. Pour autant, nos hommes politiques ne se trompent-ils pas en espérant voir l'Europe comme une France en plus grand ? En faisant cela, ils oublient souvent que la France a des racines mondiales, qui s'expriment à travers une vision universaliste qui lui est propre, une présence océanique sur quatre océans pour un domaine maritime comparable à celui des États-Unis, et, enfin, la France dispose avec la Francophonie d'un réservoir naturel d'influence au niveau mondial. Mais, c'est là le paradoxe, en oubliant cette dimension proprement française, ils ne sont pas à même, pour autant, de peser sur les débats européens. On ne retient de la France en Europe que ses résultats économiques relativement médiocres, avec des déficits importants. Le vrai défi consiste donc à articuler ces visions afin qu'une France forte permette d'accoucher d'une Europe plus forte, avec un moteur franco-allemand rééquilibré, mais non exclusif d’autres rapprochements au niveau européen. De même que l'Allemagne entretient les relations particulières avec les pays du Nord, la France a dans le fond plus intérêt à se rapprocher des Espagnols et des Italiens que de s'en éloigner.

Les partis politiques français paient leur faible l'investissement dans le Parlement européen : les hommes politiques expérimentés sont souvent placés là en récompense des services rendus plus que leurs compétences en matière européenne. Alors qu’il faut rester plusieurs mandats pour prendre des positions dans les commissions « qui comptent » (affaires intérieures, marché intérieur, etc.), les eurodéputés français ne font pas l’investissement nécessaire sur le long terme. La France partage avec l'Italie un faible intérêt politique pour ces élections, nuisible pour ses intérêts, d’autant que les députés RN ne bénéficient pas d’influence au Parlement européen. A titre de comparaison, les députés allemands ou britanniques se trouvent beaucoup plus à l’aise dans ce système.

Comment les partis politiques français pourraient-ils produire une ligne politique permettant d'aller au-delà des frontières ? Il faut observer que le Parlement européen a ses propres spécificités, puisque, à côté des logiques partisanes, se juxtaposent par moment des logiques purement nationales. Le débat français manque souvent d'ouverture sur ses partenaires européens : nous sommes beaucoup plus intéressés par les résultats d'une primaire dans l'Iowa que des résultats électoraux en Estonie, Etat-membre pourtant pionner en matière technologique dont les Français pourraient apprendre ! Il ne peut y avoir d'influence européenne que s'il existe une vision, des réflexes et un intérêt pour le développement de l'Europe.

Selon cette logique, la France est-elle dès lors contrainte à agir dans une logique intergouvernementale ? Quelles seraient les possibilités ouvertes pour la France pour parvenir à créer une ligne politique dépassant ses propres frontières ?

Edouard Husson : La France dominait l’Europe à 6 et même à 12 car le moteur allemand était encore bridé. Et puis la méthode technocratique pouvait encore passer. Jacques Delors, d’ailleurs, amenait une façon de faire qui passait bien en pays de “modèle rhénan”: il savait écouter, présider des réunions, mobiliser positivement des collaborateurs nombreux au sein des institutions européennes. Depuis que Delors a quitté la présidence de la Commission, la France n’a cessé de perdre du terrain. Nos gouvernements successifs n’ont pas su placer leurs représentants aux postes clé de l’administration bruxelloise. Comme les députés européens français sont parmi les moins assidus et comme nos gouvernements ne condescendent pas à consulter sérieusement les petits pays quand ils veulent faire passer leurs projets, la France oscille entre l’inefficacité à la Hollande, par faiblesse et l’inefficacité à la Macron, par arrogance. Seul Nicolas Sarkozy a réussi à faire un peu autrement en se retroussant les manches et en apprenant à parler avec tous au cours de la crise de 2008-2009. Il faudrait surtout comprendre que, sur la plupart des sujets en Europe, il n’y a plus de cadre prédéfini; l’Europe à 27 est devenue si diverse que les marges de maneouvre sont réelles pour organiser des coalitions qui mettent, quand cela est nécessaire, l’Allemagne en minorité - Mario Draghi a su le faire sur l’euro - mais les responsables politiques français ne s’en rendent même pas compte. 

Florent Parmentier : Il est vrai que les faibles capacités des partis politiques français au niveau européen constituent un handicap certain. A quoi peut-on les mesurer ? Très simplement, il suffit d'observer que les partis politiques français ne disposent pas de fondations politiques comparables aux principaux partis politiques allemands. Les partis politiques allemands ont su développer une influence conséquente en Europe centrale et orientale, là où les relais d'influence français n’ont pas produit les mêmes effets. Là où l'Allemagne a su intervenir dans les débats publics et faire jouer sa présence économique, la France a souvent cru que son poids politique lui permettrait d'échapper à une perte d'influence relative en Europe.

De ce point de vue, le système politique français produit Naturellement une pensée de nature intergouvernementale plutôt que parlementaire. Or, la logique de l'évolution des institutions européennes est de passer par une parlementarisation d'un certain nombre de processus de décision, ayant accru les pouvoirs législatifs et budgétaires. Ce qui ressemblait au départ à une Assemblée générale des Nations Unies plus qu'à un véritable Parlement est devenu au fil du temps une structure de plus en plus parlementaire.

Toutefois, il faut observer que la position d'Emmanuel Macron s'est plutôt affaiblie depuis son élection en 2017 : le mouvement des gilets jaunes a nui à son aura internationale. Dans ces conditions, il n'est pas certain que la logique intergouvernementale soit la bouée de sauvetage rêvée par les dirigeants français.

Cette situation de difficulté des pays à produire de telles lignes transcendants les frontières ne conduit-elle pas l'Europe au statu quo et à l'enlisement ?

Edouard Husson : La fixation incorrigible de la France sur le préalable franco-allemand est l’une des raisons pour lesquelles l’Union Européenne, actuellement, est largement paralysée. Quelle idée de la part d’Emmanuel Macron, d’aller demander à l’Allemagne d’abord la réforme de la zone euro. Alors que Mario Draghi a montré comment on met l’Allemagne en minorité sur cette question, en ne laissant pas le choix à Berlin de faire prévaloir un intérêt allemand sur l’intérêt européen ! Emmanuel Macron a caricaturé, à cet égard, la méthode française traditionnelle: non seulement il n’a pas compris que pour faire aboutir une option française il faut créer des coalitions mais il a snobé les pays d’Europe du Nord, mieux gérés que la France, passé son temps à faire la leçon à l’Europe centrale, trop nationaliste à son goût, et regardé de haut l’Europe du Sud, dont la France, pourtant, devrait être profondément solidaire, vu qu’elle lui ressemble profondément dans son incapacité à rentrer dans les critères allemands de gestion de la monnaie. Répondre efficacement à Emmanuel Macron, de la part d’un politique français qui veut être pris au sérieux dans le cadre des élections au Parlement européen, cela consiste à proposer une toute autre méthode, respectueuse des autres pays, s’appuyant sur leur diversité et se proposant de créer des majorités au Parlement et au Conseil Européen qui permettent une réforme en profondeur de l’UE. Quant à la question de la future Commission, il faudrait aller voir Emmanuel Macron à l’Elysée et lui demander sa liste de noms pour peupler les cabinets des commissaires européens. 

Florent Parmentier : Il est vrai que l'on trouve un Parlement européen un grand nombre d’opinions divergentes sur la direction que doit prendre l'Europe : certains la veulent plus sociale, d'autres plus libérale, d'autres plus favorable à l'environnement, et certains veulent même ne plus réellement voir d'Europe. Il devient dès lors extrêmement difficile de s’y retrouver quand, face à ces grandes orientations, on doit en plus ajouter au moins 27 prismes nationaux ! Au Parlement européen, il n’est pas rare que des sociaux-démocrates d'un pays peuvent s'entendre davantage avec des libéraux d'un autre pays qu’avec ses propres homologues.

Est-il pour autant impossible de trouver des lignes fortes au Parlement européen ? Il faut observer qu'un pouvoir avec un exécutif fort ne garantit en rien l'impossibilité de l'enlisement où la force des conservatismes. Il faut plutôt voir le système politique européen comme un système politique équilibré où existent de nombreuses possibilités de compromis, un peu à l'image de ceux qu'on peut observer au sein du Sénat français. Par la diversité des opinions qui sont représentées, le Parlement européen constitue de fait un laboratoire permettant aux Européens de trouver des positions de plus en plus convergentes sur le changement climatique comme sur l'intelligence artificielle. Si l’on prend ce dernier thème on observera que les Européens entendent promouvoir une conception de l'intelligence artificielle éthique prenant en compte les valeurs européennes. Le Parlement européen permet de débattre de ce type de thème, pouvant légiférer pour un vaste marché intérieur, nécessaire pour faire face aux mastodontes américains et chinois. Si les Européens veulent exister en matière d'intelligence artificielle pour les prochaines années, ils ont tout intérêt à se mobiliser le 26 mai prochain afin de se doter de représentants efficaces et compétents en la matière, à même de savoir négocier des compromis au niveau européen.

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