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Emmanuel Macron tente de préserver l’influence française dans la Corne de l’Afrique face aux Chinois
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Voyage présidentiel

Le président Emmanuel Macron entame sa tournée africaine. Il s'envole pour Djibouti ce soir avant de rallier l’Ethiopie le 12 puis le Kenya le 13. Pendant cette tournée africaine seront abordés les enjeux climatiques, économiques, stratégiques et culturels.

Sonia Le Gouriellec

Sonia Le Gouriellec

Sonia Le Gouriellec est Maître de conférences à l'Universite Catholique de Lille (Faculté Libre de Droit).

Auteure du blog Good Morning Afrika.

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Atlantico : La Chine a installé une base à Djibouti et voit ce pays comme l'extrémité ouest de sa Route de la Soie. Pour la France, en quoi cette visite est une opération stratégique et quels en sont les enjeux ?

Sonia le Gouriellec : Djibouti est effectivement stratégiquement située à l’entrée de la mer Rouge sur une véritable « autoroute de la mer » dont la piraterie a révélé l’importance et l’enjeu d’en contrôler l’accès. Dès lors de nombreux pays se sont installés à Djibouti ou, lorgnent sur le contrôle des ports de la région. La Chine en a fait sa porte d’entrée vers le reste de la Corne de l’Afrique et sécurise ses intérêts économiques et ses nombreux investissements dans les infrastructures par une présence militaire dans la capitale. La France a, quant à elle, la possibilité de capitaliser sur une présence bien plus ancienne. Elle y dispose de sa plus grande force permanente stationnée en Afrique. Cette base opérationnelle avancée se compose de 1 350 militaires (contre 4 300 en 1978 et 2 000 au milieu des années 2000). Le réservoir de forces qu’elle représente lui permet d’être projetée rapidement en cas de crise, comme ce fut le cas avec les opérations « Barkhane », « Tamour », puis « Chammal », en Jordanie et en Irak (2014-2015), « Sangaris », en RCA (2014), « Artémis » en RDC (2003), etc. La majorité des opérations conduites par les forces françaises prépositionnées depuis plus de trente ans l’ont été avec la participation des FFDJ  (Forces Françaises stationnées à Djibouti). Au-delà des opérations extérieures, cette présence vise aujourd’hui à répondre à deux objectifs stratégiques majeurs : la capacité à intervenir sur les lignes de communication maritimes et la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, cette présence semble, au fil des ans, de plus en plus débattue en France, et cette dernière perd déjà de son influence. L’enjeu de cette visite est donc de réaffirmer l’importance du territoire djiboutien. Djibouti est un facteur de puissance pour la France, acteur de sécurité dans l’océan Indien. Contrairement à l’océan Atlantique, la liberté de navigation y est plus menacée. Pourtant, et c’est tout l’enjeu de la visite du Président, la France semble, ces dernières années, ne plus avoir les moyens ni la volonté politique de trouver un avantage évident à sa présence historique dans la région. De plus, la France a conservé une image de protecteur du pays, dont les autres partenaires ne bénéficient pas. Mais cette image a été en même temps assombrie par le sentiment d’un désengagement militaire, politique et économique de celle-ci.

Quel poids a Djibouti aujourd'hui dans la corne de l'Afrique ? 

Djibouti est un Etat de petite taille (23000km² et moins d’un million d’habitants) et ne semble pas peser lourd face à son géant voisin éthiopien de près de 120 millions d’habitants. Pourtant le pays est depuis le début des années 2000 le seul point d’accès à la mer de ce géant en pleine croissance. La Chine ne s’y est pas trompée et a financé la construction d’un nouveau chemin de fer entre les deux pays et la création de nouveaux ports à Djibouti pour absorber cette croissance économique. Djibouti s’est aussi créé une identité d’îlot de paix dans une région en conflit. Néanmoins, depuis l’été 2018 un processus de pacification est en cours dans la région sous la médiation des Etats du Golfe et des Etats-Unis. De façon surprenante, Djibouti est restée en marge de ces rapprochements. Il est possible que son différents commercial avec DP World, l’entreprise émiratis soit au cœur de cette disgrâce, tout comme les difficultés à régler son différents frontaliers avec l’Erythrée voisine. Et cette nouvelle configuration régionale ouvre des nouvelles opportunités d’accès à la mer à l’Ethiopie (via l’Erythrée).

Quelles sont les concurrents auxquels la France doit faire face dans la région ?

La mer Rouge est actuellement un symbole des évolutions en cours au sein du système international.  Ainsi s’y retrouvent de nombreux rivaux : Chine, Japon et Etats-Unis à Djibouti ; Turquie, Qatar, EAU  et Arabie Saoudite en Somalie…. Même si le centre de gravité de la France en Afrique s’est déplacé dans la zone sahrao-sahélienne, la France doit capitaliser sur ses atouts dans la région. En effet, il n’existe pas (encore) de sentiment anti-Français à Djibouti et en Afrique de l’Est, contrairement à ce qu’on peut constater dans certaines franges de la population d’Afrique de l’Ouest. À Djibouti, la France ne peut pas concurrencer des puissances comme la Chine ou les États-Unis, dont les contingents sont déjà plus nombreux sur place. En revanche, si elle ne peut pas être la force la plus puissante, elle se doit d’être présente, et de capitaliser à partir de ses avantages : une présence historique, la demande de protection qui demeure, la francophonie, ainsi qu’une solide intégration dans le tissu social (bien que compromise par le fort taux de missions courte durée)… De plus, les forces françaises sont les seules à disposer de tout le spectre des capacités militaires, et disposent d’atouts que les autres forces convoitent (champs de tir et espaces de manœuvre pour l’entraînement, piste de déroutement de Chabelley, quai permanent au port). Si la France souhaite conserver une forte capacité d’action en Afrique, sa présence à Djibouti sera pour elle déterminante. Les partenariats établis avec les autres puissances présentes dans la gestion des tensions régionales en Afrique de l’Est apparaissent donc comme un réel atout au cœur des opérations françaises en Afrique de l’Ouest. La visite du Président à Djibouti, en Ethiopie et au Kenya est peut-être le signal d’une nouvelle politique. Celle-ci ne serait pas uniquement tournée vers les aspects militaires et sécuritaires mais prendrait enfin en compte le potentiel économique de la Corne de l’Afrique à un moment historique de son évolution politique. 

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