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L’issue à la crise du Brexit se trouve en Grande-Bretagne et nulle part ailleurs
©Jonathan Brady / POOL / AFP

Disraeli Scanner

Afin d'obtenir un nouveau report du Brexit, Theresa May doit rencontrer aujourd'hui ses 27 homologues européens.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Theresa May, le 9 avril 2019, a rencontré Angela Merkel puis Emmanuel Macron, cherchant un soutien auprès des responsables des deux premières puissances de l’Union (à part la Grande-Bretagne....) avant le sommet européen du 10 avril. Hier soir les gazettes des capitales de l’UE se perdaient en conjectures diverses: on tâchait de savoir s’il y avait plus qu’une gaffe dans le retard d’Angela Merkel à accueillir Theresa May et laissant celle-ci s’avancer seule sur le tapis rouge avant de ressortir avec alle au pas de charge pour les photographes. Quant à Emmanuel Macron, il s’agissait de savoir, s’il est simplement « la brute » dans un trio où Angela joue « le bon » et Donald Tusk « le truand ». Mais plus j’observe ce Brexit interminable, plus j’ai tendance à penser que cela a de moins en moins d’importance - je ne suis même pas sûr que l’attitude des Européens continentaux en ait jamais eu, d’ailleurs. Ce à quoi nous assistons, c’est à une tragicomédie purement britannique, un mélange d’incapacité, de refus et de peur des élites politiques britanniques à mettre en oeuvre le mandat confié par le peuple, à deux reprises, le 23 juin 2016 puis le 8 juin 2017. 

Comment peut-on expliquer que Theresa May se retrouve une nouvelle fois dans la situation humiliante de demander à l’Union Européenne de l’aider à sortir des difficultés politiques dans lesquelles elle s’est elle-même jetée? Cela n’a rien à voir avec l’Union Européenne ! La première grande leçon de la crise du Brexit, c’est que l’Union Européenne n’a rien maîtrisé du tout. N’allez surtout pas chercher des complots, des desseins machiavéliques, des plans dessinés à l’avance. Si c’était le cas, nous aurions un scénario lisse, parfaitement huilé, qui se déroulerait comme un mécanisme implacable. Mais, depuis le départ, le Conseil européen a abdiqué ses responsabilités tant il avait peur des divisions en son sein et laissé la Commission mener les négociations. Celle-ci a fait ce que peut faire une technocratie: elle a avancé sans inspiration aucune, à coups d’arguments techniques. Il n’y a ni habileté particulière de Michel Barnier ni implacabilité d’un monstre bureaucratique. La Commission a négocié avec ses homologues britanniques, les civil servants, à commencer par Oliver Robbins qui a ficelé le Withdrawal Agreement avec Sabine Weyand, l’adjointe de Michel Barnier. Alors oui, il y avait un état d’esprit: qui reprochera à la Commission Européenne d’avoir espéré adoucir, sinon empêcher le Brexit? Qui s’étonnera que, profitant de l’incapacité d’Emmanuel Macron, diplomate en herbe, à comprendre les intérêts de la France à long terme - une alliance solide et durable avec la Grande-Bretagne - et devant l’inefficacité de la méthode politique d’Angela Merkel - ne jamais prendre parti jusqu’à ce qu’un rapport de forces durable se dessine - un poids plume comme Leo Varadkar soit devenu l’homme-clé des négociations politiques? Le backstop est une gentille imposture, la prétendue centralité de la question irlandaise une foutaise. En revanche, le manque de vision et la faible envergure des chefs d’Etat et de gouvernement de toute l’UE - y compris la Grande-Bretagne est bien une réalité. 

On ne peut pas imaginer une position de négociation plus favorable que celle de Theresa May, au départ. Le Brexit avait stupéfié l’Union Européenne, incapable de le prévoir. Angela Merkel manque tellement d’esprit de synthèse qu’elle n’a pas pensé un seul instant que sa décision d’ouvrir les frontières massivement aux migrants en septembre 2015 allait faire basculer l’électorat britannique du côté du Brexit. Les diatribes contre l’électorat britannique à l’été 2016 ne pouvaient pas dissimuler le fait que l’on ne savait pas comment s’y prendre, à Paris (c’était encore François Hollande), Berlin ou Bruxelles. L’Allemagne en particulier était devant la réalité d’un excédent commercial supérieur à 50 milliards d’euros vis-à-vis de la Grande-Bretagne; et l’UE en général de plus de 100 milliards. C’est-à-dire que Londres était en position de force. Mois après mois, la force de la position britannique a été de plus en plus évidente: on avait annoncé un cataclysme économique en cas de Brexit. C’est le contraire qui s’est passé ! La livre a baissé un peu mais pas trop, suffisamment pour relancer les exportations; le chômage a baissé, le taux d’emploi a monté, les salaires ont augmenté. On avait annoncé des déménagements massifs depuis Londres, en particulier depuis la City. Il ne s’est rien passé de tel. Ce n’est pas un hasard si le président chinois a confié à Londres le soin de travailler à l’internationalisation du yuan. le savoir-faire monétaire et financier britannique reste incomparable. 

On peut difficilement imaginer un enchaînement plus catastrophique que la politique de Theresa May. Au lieu de dissoudre immédiatement le Parlement, pour disposer d’une majorité solide et mettre en oeuvre le Brexit rapidement, elle a attendu un an après le référendum et perdu sa majorité. Elle avait commencé par des paroles grandiloquentes « Brexit means Brexit » et elle a soudain sorti, en juillet 2018, un plan absurde, pur produit des technocraties de Londres et de Bruxelles, au centre duquel se trouvait, tel un tabou ancestral, la question de la frontière entre les deux Irlande. Alors que Theresa May était dépendante d’un parti nord-irlandais unioniste radical pour faire voter son accord, elle mettait au coeur de cet accord ce qui rendait impossible le vote de ce même parti. Il est normal que l’accord May, que l’on devrait d’ailleurs appeler, plutôt, l’accord Robbins-Weyand, du nom de ses deux artisans, ait été rejeté par un noyau intransigeant du parti conservateur. C’est tout à l’honneur de ce parti d’abriter en son sein quelques individus qui ne se laissent pas intimider. Il reste quand même à expliquer que les Brexiteers, les modérés comme les intransigeants, n’aient pas été capables de contrôler les opérations et de mettre Theresa May sous pression. Il reste aussi à expliquer que le chef de l’opposition, Jeremy Corbyn, n’ait pas su sortir autre chose de lui-même que la « politique du chien crevé au fil de l’eau ». Lorsqu’une Theresa May à bout d’astuces politiques lui tend la main, le chef du parti travailliste ne sait pas sortir autre chose de son chapeau qu’une union douanière avec l’UE, qui n’est guère autre chose que le plan May sous un autre nom. 

L’honnêteté du Parlement britannique, composé majoritairement de Remainers mais déclenchant l’Article 50, était réjouissante, en 2016. La vitalité et l’esprit de liberté des discussions ont rappelé utilement à l’Europe la supériorité du modèle parlementaire britannique.....à condition de s’en servir jusqu’au bout. Theresa May n’a jamais été vraiment mise sous pression par son parti; il aura fallu attendre qu’elle tende la main à Jeremy Corbyn et qu’on se dirige tout droit vers une participation britannique aux élections européennes pour que le parti conservateur commence à envisager l’ampleur de la débâcle électorale qui l’attend. On commence seulement à envisager de retirer à Theresa May la présidence du parti, à défaut de pouvoir la remplacer comme Premier ministre. Contrairement aux apparences, le Parlement n’a pas retiré le pouvoir des mains de Theresa May. Il a beau voté l’autorisation d’un délai de prolongation de l’article 50, il accepte la date choisie par Theresa May, le 30 juin 2019. John Bercow peut bien faire la une des journaux, il navigue à vue comme les autres. 

La réalité, c’est que le Premier ministre, le chef de l’opposition officielle, la Chambre des Communes n’ont pas produit autre chose, au bout de deux ans et demi, qu’une confirmation de la coupure du pays entre Brexiteers et Remainers. Une pétition de Remainers rassemble 6 millions de signatures, 400 000 Anywheres (pour reprendre la terminologie de David Goodhart) manifestent dans les rues de Londres.  Mais les Brexiteers organisent une marche à travers le pays qui témoigne que la popularité de la sortie de l’Union Européenne reste intacte et que la tentation d’ignorer le fait que les Somewheres ont gagné le référendum de 2016 et ont donné un mandat clair aux députés en juin 2017 aurait un effet en retour terrible sur la classe politique. Personne n’aura envie de réveiller la question irlandaise. Et Nicola Sturgeon, Premier ministre écossais, n’est pas faite d’une autre trempe que Theresa May ou Angela Merkel: elle ne prendra aucun risque pour faire avancer la cause de l’indépendance écossaise. 

J’aimerais croire que le parti conservateur sera capable d’un sursaut dans les prochains jours. J’aimerais voir qu’il soit possible à un pays européen d’échapper à cette crise politique qui les menace tous. Le vote du Brexit a confirmé ce que disait le référendum français de 2005: les peuples veulent « reprendre le contrôle de leurs affaires ». Mais, entretemps, en France, trois présidents se sont succédés, qui se sont assis sur le résultat du référendum de 2005. Emmanuel Macron s’est même payé le luxe de déclaré le 21 janvier 2018 à Andrew Marr, à la BBC, qu’un Frexit l’emporterait s’il y avait un référendum en France. Moins d’un an plus tard, le présomptueux président a vu surgir une révolte sociale de grande ampleur, le mouvement des Gilets Jaunes, qu’il n’a toujours pas réussi à endiguer, cinq mois plus tard. Faudra-t-il que nos amis britanniques passent par les mêmes affres? Un référendum contourné puis une révolte populaire? Le conservatisme britannique - au sens d’un retour régulier aux libertés fondatrices de la nation - a jusqu’ici dans l’histoire du Royaume-Uni, toujours aidé à trouver une issue parlementaire aux crises politiques. Cependant, les traditions politiques ne sont pas des automatismes; elles peuvent s’étioler. L’histoire actuelle de l’Occident, c’est aussi bien l’émergence d’un nouveau leadership démocratique, aux Etats-Unis, en Hongrie, en Italie, que le blocage de cette même démocratie par le progressisme, en France ou en Allemagne. 

Nous vivons tous dans la mémoire de la Grande-Bretagne héroïque, résistant seule, pendant des mois, à la tyrannie nazie. Nous nous souvenons de la « Dame de fer », héroïne de la lutte contre les bureaucraties de toute sorte et négociatrice intelligente de la fin de l’URSS. Mais la Grande-Bretagne, c’est aussi l’appeaser Lord Halifax, qui faillit, fin mai 1940, renverser Churchill. C’est aussi le renversement de Margaret Thatcher, en 1990, parce qu’elle avait courageusement décidé de s’opposer à l’Europe de Mitterrand, Kohl et Delors. C’est aussi les mensonges de Tony Blair pour déclencher la guerre en Irak. Rien n’est jamais écrit d’avance dans l’histoire d’un peuple. 

Tout est affaire de volonté politique. Les prochaines semaines, les prochains mois vont nous révéler si les héritiers des  appeasers et des wets sont en mesure de prolonger la crise ou bien si l’esprit de liberté, celui d’Edmund Burke et de Benjamin Disraeli, celui d’Enoch Powell et de Margaret Thatcher, qui n’a pas déserté les électeurs britanniques, est capable de trouver rapidement une traduction politique. 

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