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Brexit : tension… et impuissance politique maximum au Royaume-Uni
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

"Dernier effort"

Alors que le Brexit est encore prévu pour la date du 29 mars, et quelques jours avant les votes qui auront lieu dès le 12 mars, Theresa May a appelé, ce vendredi 8 mars, les européens à "faire un effort supplémentaire pour répondre aux dernières inquiétudes très spécifiques de notre Parlement. Alors, allons-y !"

Michael Bret

Michael Bret

Michaël Bret est économiste, président de Partitus. Il a travaillé ces dernières années pour le Collège de France, l'Institute for Fiscal Studies de Londres, BNP Paribas à Hongkong, l'OCDE et AXA Investment Managers. Il enseigne à Sciences Po et à l’Inalco.

Son compte Twitter : https://twitter.com/m_bret

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Atlantico :  Comment interpréter cette déclaration, et peut-on imaginer que les européens fassent "cet effort supplémentaire" réclamé par Theresa May ? 

Michael Bret : Ce que pourrait donner la Commission n’est que minimal, et certainement insuffisant à remporter l’adhésion de l’European Research Group, l’aile eurosceptique du parti conservateur que la Première Ministre tente de rallier à son accord. L’objectif de Theresa May est double, et joue sur l’urgence de l’échéance du 29 mars. D’un côté, commencer à préparer le terrain pour rejeter la faute d’un éventuel désastre sur Bruxelles : c’est dans ce sens qu’allait il y a deux jours la démarche de Geoffrey Cox, ministre et Procureur Général du gouvernement. Celui-ci a renversé son analyse pour aller présenter à Michel Barnier que l’accord conclu par son propre gouvernement mettait en danger jusqu’aux droits de l’homme des habitants d’Irlande du Nord.
De l’autre côté, convaincre autant les eurosceptiques partisans d’un Brexit le plus rapide possible et d’une relation la moins intégrée possible, que les membres modérés des deux partis travailliste et conservateur partisans d’un Brexit le moins disruptif possible. L’incertitude des votes de dernière minute, sans cesse repoussés, permet de dire aux uns que ne pas soutenir l’accord est prendre le risque de voir le Brexit purement annulé, et aux autres que c’est prendre le risque de se précipiter “par accident” vers un Hard Brexit, désiré uniquement par les plus radicaux des eurosceptiques. Demander des concessions substantielles de dernière minute que la Commission a déjà annoncé ne pas pouvoir donner est avant tout un moyen de continuer à faire courir la montre pour faire monter la pression de l’urgence, et à présenter à domicile cette urgence comme le résultat de l’intransigeance bruxelloise.

Lors d'un déplacement à Washington, Martin Selmayr, secrétaire général de la Commission européenne a déclaré "Barnier, notre meilleur avocat en matière de divorce, a montré qu'il n'était pas très attrayant de divorcer de l'Union européenne". Les européens ne prennent-ils pas un risque, avec ce types de déclarations, de renforcer le camp des brexiters, pour en arriver une probabilité toujours plus forte d'un No Deal que personne ne souhaite ? 

Les déclarations de Martin Selmayr s’adressent certainement plus aux oreilles bruxelloises qu’aux Britanniques ni même aux autres opinions publiques européennes dont plus aucune ne songe à suivre l’exemple du Royaum-Uni et obéissent à des impératifs d’influence et de positionnement internes à la Commission. Faut-il craindre un dommage collatéral outre-Manche ? L’ERG se saisit évidemment d’une déclaration susceptible de jeter l’huile sur le feu, mais il n’est pas certain que cela prenne beaucoup de poids et que quiconque y prête grande attention dans la scène politique britannique sursaturée depuis des mois de déclarations et de postures radicales, et de renversements complets d’options politiques.

Pour prendre un peu de recul et voir le fond de ce qui est évoqué à savoir le coût de sortie et les divers cataclysmes du paysage politique qu’un tel processus provoque : Barnier a-t-il eu un rôle sur la façon dont s’est déroulé le drame politique des Commons ? Voyons pour cela le dernier épisode des demandes de concessions que May formule à Bruxelles Ces concessions de la Commission seraient soit juridiques sur la question du Backstop de la frontière irlandaise, mais ne pourraient renverser légalement ce qui a été négocié pendant deux ans et demi, soit politiques sur la déclaration de relation future, mais à nouveau avec une valeur uniquement déclarative. Le premier ne satisferait pas les eurosceptiques et les parlementaire nord-irlandais du DUP, le deuxième ne satisferait pas les travaillistes, qui demandent des assurances que Brexit se dirige vers un "alignement étroit sur le marché unique”, c’est à dire un changement des lignes rouges qui ont sous-tendu toutes les négociations, et dont l’accord est le reflet. Theresa May a refusé de modifier ces lignes rouges, même après la défaite historique de son projet d’accord devant le Parlement.

Dans les deux cas, ce sont plutôt les évolutions internes des forces politiques britanniques qui définissent les points de blocage du débat, que les possibles évolutions ou refus de la part de la Commission.


Dans la configuration actuelle, quels sont encore les scénarios envisageables pour le 29 mars ? 

Avec l’incertitude entretenue activement par Theresa May, par le ERG et par Corbyn, impossible d’assigner des probabilités aux différents scénarios. Le plus grand danger est celui d’un Hard Brexit, présenté comme résultat d’un possible “accident” si le Parlement met trop de temps à adopter l’accord de May ou trop de temps à le rejeter définitivement. Je pense au contraire qu’un Hard Brexit se matérialiserait différemment : par un accident dérivant de l’ignorance générale, au Parlement britannique, des besoins de la Commission pour faire avancer les choses. Corbyn s’est tardivement converti à demander un second référendum, mais le soutien à cette option n’y est probablement pas suffisant aux Commons. Une coalition des modérés ne pourrait donc se fédérer qu’autour de l’idée d’une demande d’extension de l’article 50 (une demande de son annulation pure et simple est impensable à ce stade). Seulement, il est impossible à la Commission d’accepter une extension dont le seul motif serait de donner plus de temps à une éventuelle majorité de se matérialiser au Parlement britannique : outre qu’aucune garantie ne pourrait être donnée que cette majorité recherchée en vain depuis deux ans et demi se trouverait en deux mois, cela poserait à la marche des institutions européennes des problèmes techniques qui prendraient… justement des mois à résoudre, en négociation d’ailleurs avec les britanniques.  Par exemple, en lien avec l’organisation des élections européennes, y aurait-il des députés européens envoyés par le Royaume-Uni, qu’auraient-ils le droit de voter et, si le Royaume-Uni n’est toujours qu’en cours de sortie de l’Union, l’élection de la nouvelle Commission européenne serait-elle tout simplement valide ? C’est sa propre sécurité juridique que la Commission joue là.

Le plus grand danger me semble donc que le Parlement se fédère enfin derrière une option : se donner un peu plus de temps, mais sans réaliser que les termes dans lesquels cette demande serait faite ne permettrait tout simplement pas à la Commission de l'accorder, indépendamment de la volonté fantasmée ou non de punir le Royaume-Uni d’avoir enclenché l'article 50. Cela conduirait à un Hard Brexit “par accident”, mais pas en raison des stratégies des eurosceptiques de l’ERG : en raison de l’incapacité du gouvernement et du parlement britannique dans leur ensemble à tenir compte des réalités européennes.

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