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Construction européenne : pourquoi Philippe de Villiers n’est pas complotiste mais un historien incomplet
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

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Si l'impulsion des Etats-Unis dans la construction européenne est un fait, cette dernière est aussi le résultat d'une vraie volonté des nations européennes de rebâtir après 1945.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico :Dans son dernier livre "J'ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu", Philippe de Villiers fait des Etats-Unis le véritable créateur de l'Union Européenne. Entre influence de la CIA et continuation de l'Europe hitlérienne, l'ADN de l'Europe serait donc "vicié" à l'origine.Philippe de Villiers prétend apporter de grandes révélations sur la construction européenne. Derrière l'épouvantail de la CIA, quelle est la réalité de l'influence américaine dans la construction de l'Europe ? Qui seraient les vrais pères fondateurs européens ?

Edouard Husson : Il y a quelques faiblesses de présentation dans le livre de Philippe de Villiers. Quel besoin a-t-il de se mettre en scène ainsi comme un fouilleur d’archives? Il aurait été bien plus efficace s’il avait, à la manière d’un procureur, choisi de s’effacer derrière ce qu’il décrit. Par ailleurs, Philippe de Villiers n’est pas le premier à s’emparer de ce dossier. J’ai traduit dès la fin des années 1990 le livre extraordinaire de John Laughland, The Tainted Source, qui rassemblait déjà la plupart des arguments à charge: la contribution des fascistes européens à l’idée européenne; la volonté de tuer la politique qui animait Jean Monnet, héritier du saint-simonisme; les incarnations successives d’un discours qui pense que les nations européennes sont trop petites et doivent être remplacées par une autre réalité etc.... J’avais publié cette traduction, intitulée La liberté des nations chez un éditeur très lucide et courageux, François-Xavier de Guibert, qui a publié entre 1992 et 2007 une bonne cinquantaine d’auteurs souverainistes de droite et de gauche: extraordinaire témoignage de résistance intellectuelle et de liberté de l’esprit alors que nous étions soumis au rouleau compresseur de la pensée uniformisée et de la connivence politique au centre. Cela dit, Philippe de Villiers fait oeuvre de salut public en publiant ce livre. C’est un bon conteur et il tient son lecteur en haleine d’un bout à l’autre. 
On regrettera juste qu’il n’aille pas au bout de ce qu’il esquisse. Contrairement à ce qu’il dit, Monnet, Schuman, Hallstein ne sont pas des marionnettes: ils ont leur personnalité propre. C’est d’ailleurs ce qui ressort du portrait que dresse l’auteur lui-même. Les trois ont choisi de se mettre au service des Etats-Unis; ils étaient habités par une véritable passion antinationale. Sans des personnages comme eux, jamais les Américains mondialistes n’auraient pu à ce point influencer la politique européenne. Ils sont de vrais “pères fondateurs”, habités par la passion de substituer l’administration des choses au gouvernement des hommes, la technocratie européenne aux nations. 

Le rejet de la technocratie européenne peut-il expliquer cette vision à posteriori de l'Europe ? Comment d'une Europe des Nations, l'Union Européenne s'est-elle transformée en Europe de Bruxelles ?

Nous nous faisons des illusions quand nous croyons que le projet européen a dévié d’une trajectoire qui au départ était bonne. Ce que le livre montre très bien, c’est la manière dont l’Union Européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui est sortie du cerveau des pères fondateurs. Il y a eu une parenthèse: la présidence du Général de Gaulle puis celle de Georges Pompidou, où la France tend à construire une Europe confédérale des nations plutôt que des « Etats-Unis d’Europe ». Ensuite, VGE, membre du « Comité d’Action des Etats-Unis d’Europe » puis François Mitterrand, pilier du Mouvement Européen depuis l’origine, recommencent avec la « méthode Monnet » dont Villiers dit très bien que c’est celle du « voleur de vase » telle que le raconte une histoire chinoise: un individu se rend chaque jour dans un magasin pour déplacer de quelques centimètres le vase qui se trouve sur le comptoir et qu’il entend s’approprier. Un jour il n’a qu’à tendre la main et emporter le vase sans être vu. Eh bien, la méthode Monnet consiste à avancer masqué, en faisant bouger progressivement les politiques nationales, avant de les faire tomber dans le sac européen. 
Il manque aussi un portrait de Jacques Delors en synthèse des trois principaux personnages de l’ouvrage: il a brillamment repris à son compte la méthode Monnet; il était l’héritier de la démocratie chrétienne schumanienne; et il avait la passion organisatrice d’un Walter Hallstein. 

Alors que les Etats-Unis semblent être dans une stratégie de désengagement à l'échelle internationale, ces débats sur les origines de l'Union Européenne plutôt que sur son potentiel avenir ne sont-ils pas vains ?

Je trouve le livre de Villiers intéressant quand il laisse ses personnages prendre leur autonomie. La vie de Jean Monnet, banquier d’affaires mondialiste, est comme la première incarnation de ces élites françaises devenues profondément indifférentes à leur propre pays. Trichet le dit à sa manière quelques décennies après Jean Monnet: « I am not French ». De ce point de vue le livre nous parle autant de notre présent et de notre avenir que du passé. 
A sa lecture, j’ai compris aussi le drame du macronisme: au fond Macron aurait pu devenir une sorte de nouveau Monnet: ancien banquier d’affaires, agissant dans l’ombre  et poussant silencieusement l’avancée des « Etats-Unis d’Europe ». Mais Macron, dévoré d’ambition politique, a porté sur la place publique le programme que les européistes aiment en général tenir caché, avec un président français qui joue la comédie de la droite ou de la gauche pour amuser l’électorat pendant que les élites font des affaires. Macron a choisi de porter dans l’arène l’agenda européiste secret. Ce faisant, il a déclenché une réaction de rejet dans la société française. Il a aussi braqué ses partenaires, à commencer par la Chancelière allemande, qui a tout fait pour éviter un débat démocratique sur le sujet d’un approfondissement de la zone euro. Il est probable que le programme du « Discours de la Sorbonne » aurait dû passer, à condition de ne pas le porter sur la place publique. 

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