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De Siemens-Alstom à Air France-KLM : la gouvernance publique à deux têtes, recette pour l’échec de nos “champions européens”
©Thomas SAMSON / AFP

Syndrome de Frankenstein

Les gouvernements européens défendent la création de géants bicéphales contre la concurrence extra-européenne, mais est-ce bien efficace ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Le contrôle direct des entreprises par les Etats semble devenu de plus en plus courant : les Pays-Bas sont ainsi entrés au capital d'Air France-KLM la semaine passée. Les conflits interétatiques inévitables dans ce genre de situation ne grèvent-ils pas les entreprises concernées ? Cette méthode n'est-elle pas contre-productive pour les entreprises européennes ?

Jean-Paul Betbeze : Les états veulent reprendre la main, dans la mondialisation en cours qui érode leur souveraineté, et ceci se voit d’autant plus que ces états sont relativement petits ! Ce qui se passe entre Chine et États-Unis, avec les guerres douanières, mais aussi politiques et juridiques avec Huawei et la 5G montre, auplus haut niveau, comment se déroule la bataille technologique mondiale, maintenant que la Chine se rapproche des États-Unis dans de nombreux domaines (électronique, calcul, fusées, cyberguerre…). Avec Air France-KLM, entre France et Pays-Bas, c’est une tension semblable qui se joue, toutes proportions gardées, autrement dit : c’est pire.

Nous assistons en effet à des combats catastrophiques quand on voit ce qui se passe au niveau mondial : il s’agit ici de la cinquième compagnie mondiale par le chiffre d’affaires (29 milliards de dollars), mais pas aussi bien classée par les clients, ni par les marchés. L’enjeu est donc existentiel en termes de rentabilité et de positionnement : taille du réseau, positionnement en gamme (qualité, lowcost, image…). Que donc choisir en termes de modernisation de flotte, d’offre business ou non, de qualité de prestations. Le positionnement intermédiaire est le plus complexe : pour une offre business, il faut un réseau mondial ;pour du lowcost, il faut un personnel (pilotes notamment) qui en accepte les conditions, et il faut enfin des actionnaires étatiques qui acceptent les choix : moyenhaut de gamme et lowcost, avec ses conséquences sociales. Les entreprises ne peuvent réussir qu’en choisissant : pas facile pour les états, surtout quand ils sont deux.

L'Union Européenne a longtemps fait de la libre concurrence son cheval de bataille, mais les gouvernements de l'Union semblent de plus en plus favorables à la création de champions européens, comme l'a montré la vaine initiative Altmeier-Le Maire sur le cas Alstom-Siemens. La création de ces géants garantit-elle l'efficacité économique dans la lutte contre la concurrence étrangère, notamment chinoise et américaine ?   

La libre concurrence (régulée) est la base du marché commun, à la fois pour des raisons économiques : permettre la naissance en Europe d’unités  de plus grande taille, réalisant des produits de qualité à un prix correct, mais sans donner naissance auxKonzerns, base politique du Troisième Reich : l’économie sociale de marché définit ainsi une « workablecompetition », prohibant les abus de position dominante. Mais cette économie politique de la concurrence du  Marché unique ne marche plus pour trois raisons :

  • la mondialisation a fait augmenter les tailles des unités, sans faire apparaître de déséconomies d’échelles grâce au fractionnement des supplychains, exploitant au mieux les différences de coûts et de compétences ;
  • les nouvelles technologies, liées à la révolution technologique en cours mettent en avant les plateformes qui drainent et traitent l’information, avec des rendements croissants  en fonction de la taille des réseaux, ce qui fait naître de grandes unités,
  • mais ces grandes unités, nombreuses, cherchent et obtiennent des situations de monopole.

Nous sommes ainsi, dans le monde, face à des situations de concurrence monopolistique. Il faut donc soutenir, au niveau européen, la naissance de champions, dont on sait qu’ils seront temporaires, sauf à développer ici un vaste marché homogène qui sera la piste d’atterrissages des grands groupes mondiaux, et non européens. La garantie de l’efficacité économique n’est jamais acquise, mais ce qui se joue aujourd’hui est la place des grandes unités européennes à la frontière technologique mondiale : c’est la seule frontière qui compte. Elle pilote toutes les autres.

La vente du constructeur de navires français STX à Fincantieri SpA a été néanmoins mollement défendue par Bruno Le Maire. N'est-ce pas le signe que le patriotisme économique consiste moins à s'intéresser aux entreprises européennes et à leur réussite, qu'à défendre son pré carré ?

Attention, nous sommes dans des domaines où intervient aussi le militaire, comme pour Airbus. Toute l’information n’est donc pas connue. En ce domaine le lien est de plus en plus serré entre les innovations technologiques et la défense nationale. On voit les limites du « patriotisme » quand, par exemple, l’Allemagne empêche des ventes d’avions français de combat à certains pays, sous prétexte qu’ils comportent des pièces « sensibles » allemandes. Ce cas est très fréquent avec les États-Unis. Il ne pourra y avoir de solution qu’à quelques pays : France, Allemagne, Italie… Dans un monde de plus en plus tendu, le concept de souveraineté doit donc être repensé : champions oui, concurrence monopolistique oui, mais dans les domaines où se jouent les principaux championnats : ceux de la défense du territoire.

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