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Mais quelles sont les véritables raisons pour lesquelles Ford quitte son usine de Blanquefort ?
©GEORGES GOBET / AFP

Plus loin que le bout de son nez…

La décision de Ford de se retirer de son usine française de Blanquefort a été vivement condamnée par le gouvernement.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : La décision de Ford de se retirer de son usine française de Blanquefort a été vivement condamnée par le gouvernement. Au-delà de ces accusations, comment expliquer cette décision du constructeur américain ? 

Jean-Pierre Corniou : Ce type de décision industrielle, lourde de conséquences pour la présence de Ford en Europe, ne peut être motivée que par une série de causes complexes dont l’analyse a conduit les dirigeants de Dearborn à décider de mettre un terme à cette aventure industrielle. L’usine de Ford Blanquefort qui fabrique des boîtes de vitesse automatiques a été construite en 1972.  C’est une usine qui depuis vingt ans a connu une série de vicissitudes, coûte de l’argent, environ 1000 € par mois et par salarié, et ne répond plus aux besoins industriels. Aucune entreprise ne peut maintenir durablement un outil inadapté. Tous les conflits conduisant à des solutions forcées de continuité d’activité se sont finalement conclus par des échecs douloureux.

Le rejet de la proposition de rachat par le groupe belge Punch Powerglide, qui avait repris à General Motors son usine de boîte de vitesse de Strasbourg, peut paraître surprenant. Toutefois Ford, échaudé par une première reprise avortée de Blanquefort en 2009 qui avait finalement conduit à une reprise de contrôle en 2011 ne voulait plus assumer le risque d’un nouvel échec dans une usine où le personnel a une moyenne d’âge de 51 ans. Le groupe Punch a en effet changé depuis sa création plusieurs fois de stratégie industrielle ne semblait pas suffisamment robuste pour mener à bien un plan industriel qui passait par une réduction par deux des effectifs et de nouveaux investissements dans un marché européen incertain. En dépit du succès de la reprise de l’usine de Strasbourg, qui emploie 1000 personnes, et des engagements du personnel et des collectivités locales, qui promettait une aide de 12,5 millions €, le dossier Punch n’a finalement pas été retenu par Ford après des mois de discussions, de menaces du gouvernement qui n’a pas hésité à parler de « trahison de Ford »  et de tergiversations.

Ford plaide depuis l’origine pour un plan solide de traitement social des effectifs, et le gouvernement a également demandé que le constructeur contribue à la réindustrialisation du site pour un montant finalement fixé à 20 millions €. Un accord a en effet été trouvé le 5 mars  pour aboutir à la fermeture du site en août 2019 et à la mise en place de mesures d’accompagnement. L’accord donné sur le PSE conclut, provisoirement, un dossier engagé depuis un an alors même que l’usine fonctionne au ralenti. Il est estimé que le budget moyen de reconversion s’élève à 190 000 € par salarié.

Ce mercredi  6 mars, les officiels européens et américains se rencontreront à Washington pour évoquer la question de la mise en place, par les Etats Unis, de tarifs douaniers à l'importation sur le secteur automobile. En quoi le secteur automobile américain peut-il voir l'Europe comme une menace ? 

Les constructeurs américains ont engagé depuis longtemps un repli hors d’Europe. Lorsque Ford a sacrifié ses filiales haut de gamme comme Volvo et Jaguar  Land Rover, en les vendant au chinois Geely et à l’indien Tata, en 2008, c’est tout le système continental qui a été fragilisé. La part de marché de Ford en Europe est de 7,5%. General Motors n’a pas fait mieux en sabordant Saab, puis vendant Opel à PSA. Si leurs produits conçus en Europe ont pu y rencontrer du succès, il n’en a jamais été de même pour les produits exportés des Etats-Unis qui n’ont jamais su trouver un public en Europe. Aujourd’hui on observe que même les produits européens ne rencontrent pas le succès exigé pour  la rentabilité attendue. Ford a dû fermer en 2013 son usine historique de Dagenham en Grande-Bretagne et celle de Gand. Ford vient de fixer à 6% de marge opérationnelle le niveau de performance exigé pour ses produits européens, ce qui implique, à nouveau, un sévère plan de réduction des coûts et donc une restructuration. Ford produisait  1 590 000 voitures en Europe en 2000, volume tombé à 965 000 en 2017 et emploie encore 53 000 personnes.

Au début de l'année 2017, Donald Trump déclarait "quand vous descendez la cinquième avenue, tout le monde a une Mercedes", mais "combien de Chevroletsvoyez vous en Allemagne". Si cette déclaration a été moquée par les dirigeants allemands, invoquant la qualité de leurs produits, quels peuvent être les autres causes, notamment concernant les prix, pouvant expliquer cette situation ? 

Si c’est l’Europe qui a inventé l’automobile à la fin du XIXe siècle, ce sont les Etats-Unis qui en ont fait, avec la Ford T, puis l’émergence du groupe General Motors aux méthodes marketing puissantes, le produit de grande consommation qui a marqué l’économie occidentale du XXe siècle. L’histoire automobile mondiale est ainsi dominée par le rôle prééminent des Etats-Unisà la fin de la seconde guerre mondiale. L’automobile est perçue aux Etats-Unis comme un vecteur stratégique de puissance économique.

Toutefois, depuis la crise de 1974, et celle de 2008, rien de va plus pour les constructeurs américains. Si Ford  a mieux résisté que son rival GM en 2008, la situation s’est renversée grâce au succès remarquable de GM en Chine, qui y vend 4 millions de voitures,soit 8% du marché, avec des marges de 9 à 10 %, alors que Ford n’y joue qu’un rôle plus secondaire avec 4,2% de part de marché. De plus, les constructeurs américains, comme leurs concurrents européens, sont tenus de développer activement leur gamme électrique en Chine, ce qui implique des investissements lourds pour imaginer ces nouveaux véhicules et les produire.

Très dépendants du succès de leurs rémunérateurs pick-up et SUV aux Etats-Unis, qui représentent pour Ford 77% des ventes aux Etats-Unis, les constructeurs y subissent de plein fouet la désaffection du public pour les berlines et doivent engager de coûteux et douloureux plans de restructuration en baissant leurs capacités de production de berlines. General Motors comme Ford s’y sont engagés, mais la solution consistant à produire en dehors des Etats-Unis pour y réexporter s’avère désormais plus complexe.  Les constructeurs américains (sans Tesla, qui ne fait encore que 1,1% en 2018)  sont devenus minoritaires, avec 44% des ventes sur l’année 2018,  sur leur marché national au profit des japonais (39%), des coréens (7,4%)  et des allemands (7,8%). Les USA n’ont exporté que 20 000 voitures au Japon en 2018.

L’administration Trump y voit une opportunité pour les forcer à réinvestir aux Etats-Unis. Ford a décidé d’engager un plan  de restructuration de 14 milliards $ sur 5 ans (2018-2022), intégrant une vaste reconversion des véhicules à moteur à combustion interne vers les véhicules électriques et hybride, ce qui peut paraitre paradoxal pour le champion des trucks avec son F-150. Simultanément, l’administration agite la menace de droits de douane élevés sur les voitures importées pour pousser les constructeurs, nationaux comme étrangers, à produire aux Etats-Unis, notamment les allemands.

C’est donc une partie complexe qui se joue pour les constructeurs américains, qui explique largement les motifs du retrait de Ford de Blanquefort, qui n’est en fait qu’un enjeu marginal dans la bataille mondiale qui se joue.

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