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L’Union en Bleu Blanc Rouge : l’esprit profondément français qui inspire la «Renaissance européenne” souhaitée par Emmanuel Macron peut-il être un moteur pour l’Europe ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Cocorico

Dans une tribune adressée à tous les citoyens européens, et publiée ce 5 mars, Emmanuel Macron appelle à une "Renaissance européenne".

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi est économiste, directeur général du think-tank GenerationLibre.

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Atlantico : Dans quelle mesure les propositions formulées par le chef de l'Etat pourraient-elles être perçues comme "typiquement françaises" ? En quoi cette approche diffère-t-elle de ce qu'est la réalité européenne actuelle ?

Maxime Sbaihi : Tout d’abord, il faut saluer cette tribune pour sa forme. On peut être en désaccord avec son contenu mais force est de constater qu’Emmanuel Macron est un des seuls en Europe à essayer de faire avancer le débat avec ce genre d’initiative. La France est redevenue une force de proposition. Cette tribune vise juste en voulant européaniser un scrutin européen qui a trop souvent été nationalisé par des politiciens pour qui l’Europe est un moyen plutôt qu’une fin.

Sur le fond, ses propositions peuvent être effectivement perçues comme typiquement françaises dans la mesure où on retrouve partout la patte de l’interventionnisme étatique. Si j’extraie les idées concrètes de la tribune, est proposée la création d’une agence européenne de protection des démocraties, d’un office européen de l’asile, d’un conseil européen de sécurité intérieure, d’une force sanitaire européenne, d’un salaire minimum européen, d’une banque européenne du climat et d’une Conférence pour l’Europe. Avec autant de nouvelles initiatives publiques, j’entends les dents grincer dans les chancelleries voisines.

Dans sa tribune, la liberté est immédiatement évoquée mais aussi rapidement évacuée au bout d’un paragraphe, qui finit d’ailleurs par demander des règles européennes pour « bannir d’Internet tous les discours de haine et de violence ». J’ai bien peur que ce genre d’ambition accouche de mesures liberticides. Les premiers effets de la loi Netzwerkdurchsetzungsgesetz sur la régulation du web en Allemagne, que la France cherche à copier, fait craindre le pire pour la liberté d’expression.

La politique d’immigration commune, que Macron appelle de ses vœux, est d’une nécessité absolue pour enfin harmoniser les règles et procédures d’accueil. En revanche, je ne suis pas sûr qu’on combatte efficacement les nationalistes en empruntant, comme il le fait, leur obsession pour la frontière et la protection. Sur la défense commune, les ambitions sont bonnes mais les modalités manquent. On retrouve en filigrane de cette tribune l’idée, juste, qu’aucun pays ne peut surmonter ces défis seul. Sur l’immigration, la défense, le climat, le numérique ou l’énergie, l’action purement nationale est inefficace. Autrement dit, la réelle souveraineté sur ces sujets n’est plus nationale mais supranationale. L’Europe est donc le cadre optimal pour les traiter. Macron avait déjà développé cette idée intéressante de souveraineté européenne lors de son discours d’Athènes en 2017.

L’idée d’un « salaire minimum européen, adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement » est mauvaise. Elle pourrait nuire gravement à la convergence économique entre les membres. Quelle ironie de voir la France, pays qui a le salaire minimum le plus élevé d’Europe mais aussi un des plus hauts taux de chômage, vouloir l’imposer aux autres. De manière générale je pense que c’est précisément cette volonté d’exporter nos échecs, nos impôts et notre chômage, qui agace nos voisins. Nos Gilets Jaunes et nos performances économiques ne les font pas rêver.

Quelle serait la part "d'esprit français" qui pourrait être perçue positivement par les européens ? 

Je pense que les politiques français doivent cesser de voir l’Europe comme une grande France sur laquelle il suffirait de plaquer nos réflexes nationaux pour la faire marcher. C’est contre cet esprit-là qu’il faut d’abord se battre chez nous. Il dessert l’autre « esprit français », celui qui est salué mondialement et qui reconnait notre excellence mathématique, nos réseaux diplomatiques, nos bibliothèques, notre panache, notre art de vivre, nos traditions et la fierté de notre patrimoine.

Quand Emmanuel Macron écrit que « l’Europe n’est pas qu’un marché, elle est un projet », il a raison. L’Europe est avant tout un projet de liberté, bâtit autour de la garantie des libertés individuelles et économiques. La réalisation des quatre libertés fondamentales que sont la libre circulation des personnes, marchandises, services et capitaux a permis une période inédite de prospérité et paix. L’esprit français, pour reprendre vos mots, devrait davantage s’employer à le rappeler et le défendre.

Dénoncer les mensonges et les impasses du Brexit ça fait du bien mais il faut aller plus loin et en profiter pour rappeler les bénéfices de l’Europe que nous avons oubliés parce qu’ils sont devenus des habitudes. Les 100 000 entreprises exportatrices britanniques qui se demandent si elles pourront encore commercer avec l’UE réalisent soudainement tout ce que l’Europe permet. Travail saisonnier, vols internationaux, examens sanitaires, traités de libre-échange : tous ces obstacles qui réapparaissent au Royaume-Uni à l’heure de quitter l’UE devraient être rappelés partout ailleurs. On reconnait le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va, disait Prévert. C’est pareil pour l’UE : on reconnait ses bienfaits au chao qui advient quand on la quitte. La France ferait bien d’en tirer des leçons plutôt que se moquer des britanniques.

La France devrait surtout remettre l’Europe sur le chemin de la liberté et lui redonner le gout de l’innovation. Pourquoi pas créer un DARPA européen, mais le meilleur moyen de promouvoir l’innovation c’est surtout de terminer le marché unique. Il doit encore être approfondi et décloisonné pour faciliter la circulation des capitaux et donc le financement de l’économie de demain.

Je pense que la France devrait aussi pousser dans la voix de la démocratisation de l’Europe. La proposition de Conférence pour l’Europe ressemble trop aux conventions que Macron avait annoncées en 2017, avec le résultat que l’on sait. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Je suis déçu de constater que Macron semble avoir abandonné son idée de parlement de la zone euro. En tous elle ne figure pas dans sa tribune. Doter la zone euro d’un véritable parlement dédié, pour faire contrepoids à l’Eurogroupe, est une idée à pousser. La France a créé l’union monétaire, elle doit œuvrer à sa finition.

A l'inverse, à quelle part de cet "esprit français" devrions-nous renoncer pour permettre une réelle avancée européenne ?

Il faut résister à notre obsession de vouloir mettre de l’Etat et des impôts partout. Cessons de croire que ce qui ne marche pas chez nous marchera en Europe. J’ai constaté, avec un certain soulagement je dois l’avouer, que Macron n’a pas proposé de nouvelle taxe dans sa tribune. Néanmoins, il suffit d’écouter deux minutes son ministre de l’économie pour qu’il fasse rimer Europe avec harmonisation fiscale et taxe GAFA.

Prenons justement l’exemple de la taxe GAFA : c’est une énorme occasion manquée pour la France. Elle a fait du forcing pour l’imposer au niveau européen mais, face aux réticences légitimes de nos voisins, a dû battre en retraite. On s’inflige une idée dont presque personne ne veut. Comment reprocher à nos voisins européens d’accueillir avec suspicion une nouvelle taxe de la part du champion européen de la pression fiscale ?

Mais surtout, quel manque d’ambition et d’imagination ! Plutôt que taxer ces nouveaux champions, l’UE devrait premièrement se demander pourquoi ils ne sont pas européens, pourquoi son économie ne permet pas l’émergence de tels champions. La deuxième question à se poser est celle du cadre de régulation adéquat face à une nouvelle économie. L’UE a déjà innové l’année dernière avec le RGPD qui inspire désormais d’autres pays. Il faut aller plus loin. Ces plateformes font leur beurre avec nos données personnelles. Entre l’autoritarisme numérique chinois et la surveillance privée de la Silicon Valley, l’Europe peut inventer un nouveau modèle. Comment ? Par exemple avec un tout nouveau cadre juridique autour de la propriété privée des données personnelles, défendue par Génération Libre Voilà un beau projet que la France devrait porter au niveau européen plutôt que déballer, puis remballer, une nouvelle taxe inefficace et naïve. L’Europe ne manque pas d’idées, ce sont ses décideurs qui manquent d’imagination. Le fameux esprit français a ici un joli coup à jouer.

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