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Mais où sont (littéralement) passés les emplois détruits par la mondialisation dans les pays développés ?
©Reuters

Grands gagnants

Un article des économistes Harald Hau, Difey Ouyang et Weidi Yuan, publiée par le CEPR, mesure la corrélation entre le déclin de l'emploi manufacturier aux Etats-Unis et la création d'emplois en Chine.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Selon un article des économistes Harald Hau, Difei Ouyang et Weidi Yuan, publié par le CEPR, analysant le commerce entre Chine et Etats Unis au cours de la période 1999-2007, le déclin de l'emploi manufacturier (soit une baisse de l'ordre de deux millions d'emplois) aux Etats Unis est corrélé avec la création de 12.2 millions d'emplois en Chine, soit un pour 6. Dans quelle mesure cette corrélation peut-elle suffire à tisser un lien de causalité entre les deux phénomènes ?

Sarah Guillou : Le lien ne vient pas seulement de la simultanéité des évènements mais d’une cause commune. L’exposition aux importations chinoises des travailleurs américains a pour seconde face l’exposition du marché du travail chinois aux exportations chinoises vers les Etats-Unis. Ce qui est exporté de Chine vers les Etats-Unis est ce qui est importé de Chine par les Etats-Unis. Les auteurs étudient donc l’impact des exportations chinoises vers les Etats-Unis sur le marché de l’emploi chinois et mettent en évidence une augmentation de plus de 12 millions d’emplois. Le dynamisme des exportations chinoises et l’ouverture du marché américain a permis de créer énormément d’emplois en Chine. C’est assez conforme avec les enseignements de la courbe de l’éléphant de Milanovic qui mettait en évidence que le citoyen moyen chinois avait, plus que tout autre, bénéficié de la mondialisation. Cela autorise à conclure que la mondialisation a été créatrice d’emplois net à l’échelle des deux plus grandes puissances mondiales. Reconnaissons que cela n’est pas forcément un message positif pour l’ouvrier américain de la « Rust Belt ».

Cette même analyse démontre que la valeur totale des exportations chinois à destination des Etats-Unis s'est accrue de 240 milliards de dollars entre 1999 et 2007, tandis que les exportations américaines à destination de la Chine ne se sont accrues "que" de 40 milliards. Si une simple analyse bilatérale de la situation ne suffit pas à expliquer le phénomène, ne peut-on pas considérer que les effets sur l'emploi dus à la rapidité de cette expansion commerciale - comme l'expliquait également Paul Krugman en 2018 - aurait du alerter les autorités politiques ?

C’est plus facile à dire a posteriori. D’une part parce que les effets négatifs sur l’emploi manufacturier américain ont été progressifs, d’autre part parce que les consommateurs américains ont grandement bénéficié des produits manufacturés chinois. Le creusement du déficit commercial est le produit d’une consommation très dynamique notamment à crédit.

En outre, les entreprises américaines ont également bénéficié de l’ouverture aux exportations chinoises car une grande part de celles-ci incorpore  du contenu américain. Les importations américaines de Chine ne sont pas seulement des produits de consommation finale mais des inputs intermédiaires pour les entreprises américaines. Ces dernières ont ouvert de nombreuses filiales en Chine pour y produire des biens revendus ensuite sur le marché américain ou des biens intermédiaires importés et moins chers que s’ils avaient été produits aux Etats-Unis.

Il y avait donc peu d’acteurs pour s’opposer à l’entrée de la Chine dans le capitalisme mondial et à lui ouvrir les portes d’autant plus que cela était conforme à la théorie de la fin de l’histoire et du triomphe du capitalisme sur le communisme. Les Etats-Unis se voyaient en puissance numérique et ne se sont pas forcément inquiété de ne plus produire du textile, des machines à laver et des jouets. La présence croissante de la Chine dans des productions à plus forte valeur ajoutée et de plus en plus proche, sinon au-delà, de la frontière technologique atteinte par les Etats-Unis a rétrospectivement changé la perception vis-à-vis des importations de Chine.

Dans quelle mesure ce phénomène s'est-il également produit en Europe ? 

Le phénomène s’est produit dans une bien moindre mesure. La structure des échanges européens est très différente. Les Européens dépendent plus les uns des autres que des chinois. Bien que la balance commerciale en marchandises soit également déficitaire vis-à-vis de la Chine de 177 milliards d’euros (en 2017) et que la Chine soit le premier client extra-européen, cela ne représente que 7% du total des exportations de l’Union Européenne. En matière d’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales, les entreprises manufacturières européennes se sont déployées en Europe centrale ou de l’Est et autour du bassin méditerranéen. La Chine a été une destination de deuxième plan pour servir le marché européen, l’objectif chinois a surtout répondu à la nécessité d’y pénétrer et donc pas massivement pour alimenter des exportations de la Chine vers l’Europe.

L’avenir pourrait être différent pour deux raisons. La première est que l’intégration européenne rend les pays d’Europe central et de l’Est des localisations moins attractives soit parce que les salaires y augmentent, soit parce les salariés se font rares préférant s’installer ailleurs en Europe. Ainsi en-est-il aujourd’hui dans le textile. La seconde tient à la stratégie offensive des chinois cherchant à pénétrer le marché européen soit en rachetant des entreprises, soit en investissant dans les infrastructures européennes, notamment dans les pays de l’Est dans le cadre du projet des nouvelles routes de la soie. Ces investissements impliquent très souvent des échanges commerciaux en conséquence qui augmentent. Certes les investissements chinois pourraient aussi être créateurs d’emplois en Europe contrairement aux importations. Par exemple, la construction d’une usine de batterie en Allemagne par le chinois CATL va créer des emplois.

Cependant, en Europe – mais aussi aux Etats-Unis – nous entrons dans une nouvelle phase du développement de la Chine où la question du déficit commercial en marchandises sera un problème secondaire.

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