Sur quels alliés Emmanuel Macron pourra-t-il compter en Europe après les élections de mai 2019 ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Sur quels alliés Emmanuel Macron pourra-t-il compter en Europe après les élections de mai 2019 ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Combien de divisions ?

Le vrai casse-tête pour le président est quantitatif : il lui faudra assez de partenaires pour avoir de l'influence. Or son style et son positionnement peuvent poser problème.

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

Voir la bio »

Atlantico : La brouille entre la France et les Pays-Bas sur Air France - KLM met en exergue le double discours qu'Emmanuel Macron doit tenir sur l'Europe, à la veille des élections. Ménager la chèvre et le chou en comptant, d'un côté, sur les alliés potentiels et de l'autre, sur les intérêts de l'Etat. Sur quels alliés Emmanuel Macron pourra-t-il compter en Europe après les élections de mai 2019 ? 

Yves Bertoncini : Tous les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE portent une double casquette : celle de promoteur des intérêts de leur pays d’une part, notamment en siégeant au Conseil européen ; celle de membre d’une famille politique, nationale et européenne, d’autre part – ils se rencontrent à ce titre en marge des Conseils européens.

Il peut bien sûr y avoir contradiction entre ces deux casquettes : Emmanuel Macron doit par exemple s’entendre avec Angela Merkel alors que leurs candidats respectifs seront concurrents lors des élections européennes de mai 2019.Cette contradiction n’a pas empêché des leaders issus de familles politiques différentes de bien s’entendre au niveau européen, tels le socialiste François Mitterrand et le Démocrate-Chrétien Helmut Kohl, au-delà de tensions ponctuelles. A l’inverse, il peut y avoir des crispations entre leaders de partis présumés proches, comme l’illustre la crise franco-néerlandaises autour d’Air France-KLM, qui découle d’abord d’une opposition entre intérêts nationaux.

Le problème principal d’Emmanuel Macron n’est pas tant de devoir jongler avec son béret étatique et son chapeau partisan : c’est surtout qu’il ne sait pas à quel porte-manteau accrocher son chapeau partisan. LREM n’a en effet pas d’affiliation claire au niveau européen – même si quelques signaux de ralliement à la famille libérale-démocrate (ALDE) ont été émis. Dans ce contexte, il serait d’autant plus délicat d’invoquer une forme de solidarité politique auprès de Mark Rutte puisque, si son parti est membre de l’ALDE, tel n’est pas le cas de la LREM.

Le casse-tête pour trouver des alliés est réel. Quels sont les autres points d'achoppement qui peuvent mettre en opposition les intérêts de l'Etat et la nécessite de gagner des alliés au Parlement européen actuellement en France, pour Emmanuel Macron ? 

Le casse-tête d’Emmanuel Macron n’est pas d’abord de trouver des alliés : il en trouvera, notamment au sein de la famille libérale-démocrate (« Ciudadanos » en Espagne, le « FDP » en Allemagne, une partie des Démocrates italiens, les libéraux belges et luxembourgeois, etc.). Emmanuel Macron devra aussi trouver des partenaires, puisqu’il faut de toute façon forger des compromis très larges afin d’atteindre la majorité au Parlement européen et au Conseil : là aussi il en trouvera, au sein des groupes conservateurs (PPE), sociaux-démocrates et Verts en particulier.

Le vrai casse-tête d’Emmanuel Macron est quantitatif : il s’agit de réunir suffisamment d’alliés au Parlement européen pour faire le poids au regard des autres groupes politiques et ainsi exercer une influence à la mesure des ambitions européennes qu’il affiche avec constance. A ce stade, les sondages ne conduisent pas à anticiper un raz de marée libéral-démocrate en mai prochain – même si la LREM va par définition améliorer son influence, puisqu’elle est quasi-nulle dans l’hémicycle actuel.

Deux autres pierres d’achoppement peuvent atténuer le renforcement de l’influence d’Emmanuel Macron au Parlement européen et au niveau communautaire.

La 1ère pierre d’achoppement est idéologique : le libéralisme d’Emmanuel Macron est souvent perçu comme très étatiste, et donc très français, par nombre des partis qui font figure d’alliés naturels. Quant on milite pour la création d’un budget de la zone euro, l’harmonisation fiscale ou l’Europe sociale, il est souvent plus facile de convaincre d’autres partis en France qu’au-delà de nos frontières, où ces objectifs sont loin d’être aussi consensuels que chez nous. Sans doute mettre l’accent sur les défis à relever en matière de sécurité collective serait-il plus rassembleur…

La 2ndepierre d’achoppement est « stylistique » : Emmanuel Macron a parfaitement raison d’affirmer des ambitions élevées pour la construction européenne, via des discours programmes successifs, reprisurbi et orbi par les médias de toute l’UE. Je ne sais cependant pas si nous mesurons, nous Français, combien nombre de nos « concitoyens » européens peuvent percevoir ces adresses comme des tentatives de caporalisation sous notre égide - et d’ailleurs comment nous réagirions si un autre chef d’Etat ou de gouvernement tentait de s’arroger un tel leadership intellectuel et politique.

D'autres éléments amènent aussi à penser que le Parlement européen pourrait être remodelé. Par exemple, le PPE pourrait accueillir Victor Orban et une frange radicale populiste. A quoi pourrait ressembler le Parlement post-élections ? 

La vie politique européenne se déploie dans un milieu solide, sinon fossile : elle est pour une large part le sous-produit de 28 élections nationales, y compris lorsqu’il s’agit de désigner nos députés européens. Il est donc beaucoup moins fréquent d’y enregistrer des tremblements de terre qu’au niveau national : cela n’empêche pas le mouvement des plaques tectoniques partisanes, et donc quelques glissements de terrain de survenir.

Si l’on en croit les sondages actuels, le principal fait marquant devrait être la fin du duopole PPE-SD, qui formait la majorité à Strasbourg depuis 1979. Il faudra donc forger des majorités parlementaires en ralliant une 3ème famille politique, voire une 4ème : c’est dans ce contexte que la famille centriste-libérale est sans doute appelée à jouer un rôle charnière, ce dont pourront bénéficier les élus de la LREM.

Le PPE est semble-t-il appelé à garder la 1ère place au Parlement européen, mais son érosion relative va-t-il l’amener à être toujours plus tolérant envers ses membres les plus radicaux, comme Victor Orban, ou au contraire moins conciliant vis-à-vis de leurs dérives? Exclure Orban peut le conduire à s’allier avec les conservateurs polonais et à former la nouvelle colonne vertébrale du groupe de droite eurosceptique, jusqu’à lors formé autour des conservateurs britanniques. Ne pas exclure Orban pourrait exposer le PPE à des défections démocrates chrétiennes, au bénéfice du groupe centriste-libéral. L’affaiblissement programmé du groupe social-démocrate va-t-il être accentué par des défections en direction de la famille centriste-libérale? Enfin, les partis de droite radicale et d’extrême droite vont-ils former une improbable « internationale des nationalistes », alors qu’ils sont aujourd’hui dispersés entre trois groupes différents à Strasbourg ?

Beaucoup d’incertitudes demeurent en vue des élections européennes de mai 2019, d’autant que les campagnes n’ont pas encore vraiment commencé. Une seule chose apparaît certaine : compte-tenu du mode de scrutin, à la fois inter-national et proportionnel, il n’y aura sans doute pas de brusque virement de bord à Strasbourg, plutôt un changement de cap, plus ou moins marqué – en fonction de ce que les électeurs auront exprimé dans les urnes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !