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Boycott contre boycott : cette “guerre des naissances” à laquelle nous mène la logique des actions de protestation communautaires
©Giovanni ISOLINO / AFP

Qui pèsera le plus demain ?

La polémique sur le hijab vendu par Décathlon a entraîné un appel au boycott de la marque par ses adversaires, mais aussi une "contre-offensive" avec un autre appel au boycott cette fois-ci contre Nocibé, dont un cadre avait proféré des insultes anti-musulmans contre le polémiste Yassine Belattar.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : La sortie du dernier livre de Jérôme Fourquet, L'archipel français, a provoqué une polémique sur la base d'une statistique indiquant que 18.8% des garçons nés en France en 2016 portaient un prénom arabo-musulman. Dans le même temps la semaine a été marquée par des appels au Boycott, dans un premier temps au sujet de la polémique Décathlon, puis dans un second temps, concernant la polémique Nocibé, en surfant sur la polarisation actuelle de la société. Comment mesurer les forces futures en termes de naissances qui s'opposeront dans le moyen-long terme -si le pays ne parvient pas à sortir de cette polarisation - entre ceux qui s'opposent au Hijab de Décathlon, et ceux qui dénonceront le racisme à l'égard des arabo-musulmans comme dans le cas de Nocibé ?

Jean-Paul Gourévitch : « Une tempête dans un verre à dents ! ». Ainsi pourrait-on qualifier la polémique suscitée par l’ouvrage de Jérôme Fourquet L’archipel français dont Le Point du 28 février a publié les bonnes feuilles en mettant en exergue la statistique selon laquelle 18,5% des garçons nés en France en 2016 portaient un prénom arabo-musulman contre 2,5% en 1968. Sauf que cette comparaison se trouve déjà sur le site Fdesouche en janvier 2017 et que la position  de l’auteur était connue depuis son ouvrage Le nouveau clivage (Ed du Cerf avril 2018) et son interview par l’Express en septembre 2018. Mais dans un micro-milieu médiatique hystérisé par trois mois de Gilets Jaunes et fatigué par trois semaines d’omniprésence au petit écran d’un Président qui mouille la chemise dans tout l’hexagone pour promouvoir son Grand Débat, il fallait chercher le nouveau buzz. Le magazine, l’auteur  et l’éditeur ont réussi leur coup. Champagne !

Sur la forme, la statistique des prénoms ne fait pas preuve d’appartenance religieuse  et  traduit simplement une tendance lourde. Il est certain que des parents musulmans préfèrent  donner à leurs enfants des prénoms musulmans par conviction religieuse ou affirmation identitaire,  même si quelques-uns les francisent pour ne pas compromettre leur carrière, l’inverse étant exceptionnel. Ajoutons que de nombreux nouveaux-nés d’Afrique subsaharienne portent des prénoms qui sans être arabo-musulmans et pour cause, connotent leur appartenance à l’islam. Ceci traduit simplement la progression de la religion musulmane en France. 

 Si tout le monde ou presque s’accorde sur le fait qu’il y a environ 4 millions de pratiquants musulmans dans l’hexagone, l’Oumma (la communauté musulmane, enfants et agnostiques inclus) compte aujourd’hui entre 7,5 et 9 millions de personnes comme nous l’avons démontré scientifiquement et non pas 3, 4,  5 ou 6 comme le psittacise la bien-pensance et l’auteur lui-même depuis plus de 15 ans. A croire que l’immigration et le différentiel de fécondité n’auraient eu aucun effet sur la transformation de la population française. 

 Didier Leschi, le directeur de l’Office Français d’Immigration et d’Intégration qu’on ne saurait accuser de complaisance avec la « fachosphère », le démontre clairement. « Notre pays connaît aujourd’hui la plus forte proportion d’immigrés de son histoire contemporaine : aux alentours de 11% de la population résidente est immigrée au sens de l’Insee, c’est à dire composée de personnes nées étrangères à l’étranger ce qui donc inclut ceux qui obtiennent la nationalité française… »,  et  si l’on y ajoute les enfants d’immigrés nés sur le territoire français,  « c’est près du quart de la population française qui a un lien direct avec l’immigration » (Migrations :  la France singulière Fondapol octobre 2018). Un texte de référence qui a connu un silence assourdissant.  Jérôme Fourquet ne dit pas autre chose quand il utilise le terme de prochain « basculement » et le Point celui de « bouleversement ».  

 Sur le fond les polémiques « Décathlon » et « Nocibé », quoi qu’on puisse penser des visées commerciales d’une firme qui cherche d’abord à s’accaparer un marché juteux ou d’un Yassine Belattar souvent accusé de trop de complaisance avec l’islamisme, montrent que dans une France tétanisée et qui confond le respect de la loi et l’envie de laisser éclater sa rage,  les scénarios consensuels du  « vivre ensemble » et du « modèle républicain » laissent place à ceux du « vivre côte à côte »  voire du « vivre face à face », une notion que j’ai explicitée avant Gérard Collomb (mais je ne réclame pas de droits d’auteur). 

 On peut y ajouter la résurgence de l’antisémitisme, la floraison du business halal et des paraboles,  la généralisation de l’économie informelle et le fléchage territorial des nouveaux arrivants. En ce sens la notion d’archipel développée par Jérôme Fourquet mérite  mieux que cette polémique. La question clé qui domine ces territoires si proches et pourtant séparés est de savoir qui est majoritaire. C’est la dialectique des « in » et des « out ». Quand les « out » supplantent les « in », ces derniers  cherchent à devenir  « out » pour échapper à l’assignation à résidence. Ainsi coexistent souvent malgré eux ceux qui voudraient partir mais qui ne le peuvent pas, ceux qui pourraient partir mais qui ne le veulent pas et ceux qui voudraient que les autres partent pour rester, enfin, « entre nous ».

 Les moteurs traditionnels de l’intégration, l’armée, l’école, l’église, la cité, la laïcité, l’esprit républicain, le travail, sont aujourd’hui tous obsolètes ou grippés. Ils ont été remplacés par d’autres valeurs, la solidarité, le plaisir individuel, la fête collective, l’expression libre, la débrouille ou l’embrouille. Aucun  projet n’apparaît capable aujourd’hui de solidariser la communauté nationale (sauf peut-être les jeux olympiques de 2024 ?). Comment s’étonner que la société soit si fragmentée ? Les traditionnels clivages français droite-gauche se sont maillés avec périphériques-urbains-ruraux , gagnants-perdus, légalistes-transgressifs, mobiles-sédentaires, modernes-traditionnels religieux-agnostiques pour transformer la France en une gigantesque gare de triage incontrôlée.  

Dans quelle mesure la question soulevée par Jérôme Fourquet devrait-elle nous inciter à accepter les statistiques ethniques, notamment pour éviter les fantasmes créés par ce qui est parfois perçu comme une dissimulation de la réalité ? Les personnes issues de l'immigration n'y auraient elles pas également intérêt ? 

La question des statistiques ethniques fait débat depuis près de 20 ans en France.  A preuve l’ouvrage de Michèle Tribalat Statistiques ethniques : une querelle bien française (Editions du Toucan 2016).   Paradoxalement, à rebours de ce qui se passe en matière d’immigration, la France est cette fois critiquée pour son refus des statistiques ethniques par les organisations droitsdelhommistes : la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU  (CERD), et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI).

 Certes la définition scientifique du « groupe ethnique » mêle des catégories objectives (le territoire, la langue le nom, l’histoire, les valeurs) et subjectives (l’identité, l’identification, le ressenti d’appartenance). En Europe, le Royaume-Uni dès 1991 a introduit des critères ethniques dans ses statistiques. Il a été suivi par de nombreux pays, Norvège,  Pays-Bas, Danemark, Allemagne, Autriche  et les pays de l‘Europe de l’Est… Au Canada ou au Brésil les recensements comportent une question sur l’origine ethnique.  Environ 100 pays du monde autorisent le recueil d’information  sur une base déclarative avec le plus souvent le respect de l’anonymat des sondés.  

 Mais en France la loi de 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile qui autorisait le dénombrement des groupes ethniques a été censurée par le Conseil Constitutionnel. Les tentatives de Manuel Valls, la proposition conjointe de la sénatrice EELV Esther Benbassa et du  sénateur UMP Jean-René Lecerf n‘ont pas abouti. 

 En tout cas la publication de statistiques ethniques  favoriserait la lutte des immigrés et de leurs descendants  contre les discriminations à l’embauche, leur donnerait toute leur place dans les constructions d’établissements publics  et une visibilité dans les medias correspondant à leur représentation. Il est même permis d’espérer que cette transparence affichée dans la vie publique  ferait justice d’un certain nombre de rumeurs, d’amalgames et de schématisations et contribuerait sinon à pacifier les esprits, du moins à segmenter voire diminuer les « violences ethniques ». 

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