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Europe à la Draghi :  le sauveur de l’euro a une idée très politique pour consolider l’Union
©Ilmars ZNOTINS / afp

Union européenne

Dans un discours prononcé à Bologne le 22 février dernier, sous l'intitulé "Souveraineté dans un monde globalisé" Mario Draghi s'est prononcé en faveur d'un transfert de pouvoir exécutif au profit des institutions, tout en pointant l'inefficacité d'une approche basée sur les gouvernements et le respect de la règle.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Si l'analyse de Mario Draghi semble conforme à la nature du projet européen, ne peut-on pas ici souligner une dichotomie entre cet objectif d'un transfert de pouvoir exécutif au profit des institutions, et la réalité des souhaits de l'opinion européenne ?

Christophe Bouillaud : Il me semble que Mario Draghi y fait lui-même allusion lorsqu’il évoque les difficultés possibles que rencontrerait une telle réforme institutionnelle qui donnerait plus de poids politique à des institutions de nature fédérale, comme celle qu’il préside (la BCE), la Commission européenne ou la Cour de Justice. Comme il le dit, « Ce processus d’ajustement |des institutions] a rencontré jusqu’ici de la résistance en raison des inévitables difficultés politiques nationales qui ont toujours paru être plus importantes que le besoin que l’on en avait » (This process of adjustment has so far encountered resistance because the inevitable national political difficulties always seemed to be above such need. ») Tout le discours de Mario Draghi constitue un encouragement donné à ceux qui disposent en pratique de « la souveraineté de la souveraineté » de l’Europe, à savoir les dirigeants des Etats membres, à rouvrir le dossier de la réforme institutionnelle de l’Union européenne.  
Le problème de sa proposition est qu’effectivement elle rencontrerait des « inévitables difficultés politiques nationales ». Il me parait en effet très difficile actuellement de proposer plus de transferts de souveraineté des Etats vers des institutions fédérales, existantes ou à créer. Il n’existe pas de demande politique en ce sens, surtout si l’on regarde non pas les sondages où cela n’engage à rien de répondre que l’on veut plus d’Europe, mais les votes effectifs pour tel ou tel parti dans tel ou tel pays. Dans un pays fondateur, comme la France, en mai prochain, l’électorat va encore une fois voter majoritairement pour des listes proposant plutôt un rapatriement de compétences ou une « autre Europe ». On devrait avoir la même chose en Italie, avec une Ligue de Matteo Salvini probablement à des scores inédits pour elle, et, même en Allemagne, malgré tous les efforts de la CDU-CSU pour couvrir leur droite, il y aura tout de même une percée de la droite extrême, de l’AfD, par rapport à l’élection européenne de 2014.  Toutes les analyses à base de compilations de sondages nationaux prédisent une nette poussée de la droite radicale et souverainiste au sein du Parlement européen. Ils ne seront pas majoritaires certes, mais ils risquent de donner le ton à la situation d’après mai 2019 et de peser dans la formation de la nouvelle Commission. 

D'un point de vue plus politique, le quotidien allemand FAZ serait, selon l'analyse Wofgang Munchau, sur le point de publier le résultat d'un sondage mené auprès des parlementaires français, allemands, et italiens, montrant que les pays s'opposeraient sur l'idée de "plus d'Europe", entre des Français et des Italiens (à l’exception de la Ligue) qui se montreraient favorables tandis que les

Allemands seraient plus sceptiques. Soit une inversion des rôles sur les 10 dernières années. Comment expliquer ce qui pourrait ressembler à un isolement Français sur cette question ? Ne peut-on pas voir une forme d'aveuglement, entre Emmanuel Macron et Mario Draghi, sur la réalité actuelle des rapports de force ? 
Ce sondage auprès des parlementaires ne fait que confirmer ce que l’on a vu pendant toute la crise ouverte depuis 2008 : les électeurs allemands dans leur majorité et les parlementaires qu’ils élisent en conséquence sont totalement hostiles à un haut niveau de transferts budgétaires entre pays européens. « L’Allemagne ne veut pas payer », pas question d’une « Union de transferts », et inversement, et fort logiquement, les parlementaires français et italiens veulent que leur pays reçoive des transferts. 
Il y a certes dans cette affaire un isolement français due en particulier à la brouille durable avec l’Italie depuis l’entrée en fonction du gouvernement M5S/Ligue en juin 2018, mais il y a le constat plus général que les opinions des parlementaires des différents pays restent structurés par l’anticipation d’avoir à payer ou d’avoir à recevoir en cas de budgets européens communs plus importants. C’est la conséquence inévitable de la voie prise dès les années 1970-80 lorsque la Communauté économique européenne commence à se financer plus par des contributions nationales que par une fiscalité propre. Depuis lors, tous les pays raisonnent en termes de « juste retour », de « contribution nette », etc. 
Donc, pour l’instant, toute proposition visant à centraliser plus les budgets publics au niveau fédéral sera refusée, ou aboutira au final à une somme modeste, comme pour les propositions d’Emmanuel Macron qui ont débouché sur un tout petit plus. Il n’y a pas de volonté de partage de la richesse entre contribuables des pays européens qui aille au-delà du strict minimum. Et, par ailleurs, la mise en garde de Mario Draghi, tout à fait classique à mon sens, ne donne pas une piste pour dépasser ce blocage, qui, il faut le dire et le répéter, date d’au moins quarante ans. 
En outre, comme le montre le relatif isolement d’Emmanuel Macron dans ses grands projets de refondation de l’Europe énoncés en 2017, personne n’a envie de rouvrir à ce stade une phase de redéfinition des traités. Force est de constater qu’il a été tout de même bien seul à proposer d’avancer dans cette direction. Aucun dirigeant européen ne lui a répondu par un discours fondateur similaire au sien. Au contraire, sans trop épiloguer sur leurs propres raisons égoïstes, des pays se sont groupés autour des Pays-Bas pour bloquer ce qu’Emmanuel Macron proposait.  En fait, la plupart des dirigeants nationaux sont satisfaits du statu quo actuel, ou, s’ils veulent une révision des traités, une minorité voudrait acter plutôt le droit de n’en faire qu’à sa tête chez soi… Il faut bien se dire que personne ne se voir rejouer le scénario de 2004-2005 avec l’échec de la ratification du TCE.

Si chacun tend à constater l'impasse actuelle d'une Europe au milieu du gué, et en considérant les difficultés politiques de résoudre cette question, comment envisager la poursuite du projet européen ? Ne peut-on compter que sur une crise pour "déboucler" cette question, que cela soit dans un sens ou dans l'autre ?

D’une part, il ne faut négliger l’importance de tous les petits ajustements qui ont lieu, ne serait-ce que de facto. Par exemple, les pays qui ne voulaient pas accueillir de réfugiés sur leur « sol sacré » lors de la crise de 2015 ont réussi à jouer de l’inertie. L’Union européenne n’a pas de forces armées fédérales pour imposer sa volonté aux autorités récalcitrantes d’un Etat membre, qui refusent de se plier à la loi commune, la BCE et le MES ont certes la main sur les capacités de financement d’un Etat récalcitrant, mais elles ne peuvent pas grand-chose contre un Etat autonome financièrement hors zone Euro, comme la Hongrie ou la Pologne. Le caractère au final  mou et peu respecté des règles que dénonce Mario Draghi comporte aussi beaucoup d’avantages. Il n’est pas sûr que, si l’on veut protéger l’intégration européenne, il ne faille pas devenir beaucoup plus sensible aux idiosyncrasies nationales. Il faut savoir faire des exceptions. Une des leçons du Brexit est ainsi qu’il aurait peut-être été plus sage de laisser tomber la libre circulation des personnes en ce qui concerne les flux entrants dans les îles britanniques pour éviter d’irriter l’électorat britannique au point qu’il finisse par voter pour quitter l’Union en 2016. 
D’autre part, pour passer à un stade où existerait une autorité fédérale avec de forts moyens budgétaires, au-delà de 5% du PIB européen, il ne faut espérer  - ou craindre – qu’un passage à ce stade d’intégration qu’en raison de nécessités pressantes qui feront taire toute contestation nationale. Par analogie avec ce qui a pu se passer dans d’autres fédérations, ou avec ce qui a amené la centralisation de ressources financières à un niveau plus élevé de gouvernement dans les Etats nationaux, cela ne laisse donc guère comme possibilité que la guerre ou la débâcle économique. Rappelons que l’Etat fédéral américain n’est devenu vraiment important qu’à la faveur de la crise des années 1930, puis de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre Froide. On pourrait ajouter à ces scénarios les conséquences possibles de l’urgence climatique. Ce n’est pas certes une perspective très réjouissante, et, par ailleurs, tout dépend de la volonté de tous les Etats d’affronter ensemble le défi. Les dernières années de l’intégration européenne laissent une impression pour le moins mitigée sur ce point. 

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