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Pourquoi la France et l’Allemagne n’ont jamais cessé de promouvoir avant tout leurs intérêts nationaux derrière les grandes envolées lyriques sur l’Europe
©Kay Nietfeld / POOL / AFP

Relation libre

Emmanuel Macron et Angela Merkel se rencontrent une nouvelle fois ce 27 février à l'Elysée, dans un objectif de préparation du Conseil européen.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Alors que le discours européen d'Emmanuel Macron, dans un contexte électoral, s'oppose au retour des "nationalismes", comment analyser la réalité de cette accusation ? En quoi Paris et Berlin, derrière des discours pouvant parfois être qualifiés de "post-national", restent ancrés dans une perspective de préservation de leurs intérêts nationaux avant tout ? Que cela sur la question de l'EPR, de l'avion spatial européen, Airbus, ou d'autres grands projets, qu'ils soient franco-allemands ou européens, comment cette recherche des intérêts nationaux reste la force dominante de ces coopérations ? 

Edouard Husson : Partons d’abord de la vision que les Allemands ont de l’Europe. Ce que les politiques français n’ont pas vraiment compris - sauf de Gaulle, qui a voulu, pour cette raison, renforcer les régions et la participation - après 1945, c’est que vous avez d’abord des Sarrois, des Bavarois, des Rhénans, des Saxons etc....Non pas qu’il soit possible pour la France, comme en rêvaient Adolphe Thiers et Jacques Bainville, de diviser les Allemands. Mais il faut bien voir que les Länder sont la pierre de base de l’édifice. Il s’agit d’une construction mi-historique, mi-artificielle (construite en 1949 puis, en 1990 pour l’ex-RDA) mais elle est fondamentale parce que la plupart des ministres gouvernements et, même les chanceliers (avant Merkel) viennent des gouvernements des Länder. Ce sont les Länder qui lèvent l’impôt, ce sont eux qui nomment les présidents des « banques centrales de Land » qui constituent ensemble la Bundesbank; ce sont eux qui dirigent l’éducation, les universités etc.... Là où les Allemands sont très forts, c’est qu’ils ont fait en sorte que l’Union Européenne soit organisée sur le même modèle, avec un Conseil européen qui est l’équivalent du Bundesrat, la Chambre des Länder. Du Land au Bund et du Bund à l’UE, il n’y a pas de solution de continuité pour un Allemand. le patriotisme bavarois se transforme à la demande en patriotisme allemand et européen; ce sont trois formes possibles d’un même comportement politique. Et, jusqu’à récemment, il y avait même un prolongement occidental évident, au sein de la communauté transatlantique. 

C’est très déconcertant pour les Français, qui voient les mêmes questions en partant toujours d’un niveau supérieur. Emmanuel Macron ne comprend pas mieux l’Allemagne que ses prédécesseurs. Il était sincèrement convaincu qu’en s’adressant à Madame Merkel pour demander une réforme de la zone euro, il allait obtenir gain de cause du fait de son volontarisme réformiste; et à Paris on s’étonne, dix-huit mois plus tard, qu’elle n’ait pas bougé, on se demande ce qu’on a raté. Mais la Chancelière n’a pas levé le petit doigt parce que personne, parmi les Ministre-présidents de Land, ne lui a envoyé un signe dans ce sens !  A Paris on peut bien rouler des mécaniques et expliquer que ça ne va pas se passer comme cela, après le refus, par la Commission Européenne, de la fusion Alstom-Siemens, les Allemands, eux, ne comprennent pas ce que cela signifie: ils n’ont pas besoin de créer un « champion européen » pour avoir des champions industriels: leurs Entreprises de Taille Intermédiaire deviennent souvent des champions mondiaux sans un seul subside du Land  ni de l’Etat fédéral! 

Qu'est ce qu'Emmanuel Macron aurait à gagner à adopter un discours plus adapté à cette réalité du caractère central de la nation dans le cadre européen ?

Il faut partir de l’idée que l’Europe, ce sont des nations très différentes les unes des autres, de par leur histoire. Oui, la nation est centrale dans la construction de l’Europe; mais on n’arrive à rien si on ne voit pas que chaque nation est un système très spécifique. Par la force de ses régions, par exemple, l’Italie ressemble plus à l’Allemagne qu’à la France. Il faudrait que nos élites comprennent qu’il n’y a qu’en France que l’on fabrique des énarques. C’est une force dans la construction européenne si nos hauts fonctionnaires sont conscients de la force qu’ils peuvent donner à une position française - rien à voir avec la capacité qu’ont les Länder allemands de tirer la couverture à eux. Mais cela ne dispense pas, bien au contraire, de conquérir ensuite les autres à une « solution française » sans leur donner l’impression que l’on veuille imposer une solution centralisatrice. Il y a une humilité de la tractation européenne à laquelle nos énarques ne sont pas préparés du tout - et le fait de déménager l’Ecole à Strasbourg n’a pas changé les choses de ce point de vue. L’actuel directeur, Patrick Gérard, est le premier qui emmène les élèves juste de l’autre côté de la frontière, à Karlsruhe, pour visiter le Tribunal Constitutionnel. C’est un bon début ! Mais il faudra aller beaucoup plus loin. Nos dirigeants, le plus souvent issus des classes préparatoires et des grandes écoles, n’ont jamais l’occasion d’être sensibilisés à la diversité des cultures de négociation en Europe ! 

Faute de comprendre cela, nos dirigeants passent d’un excès à l’autre. Au lieu de faire en sorte que les ministres-présidents les plus puissants (Rhénanie du Nord-Westphalie, Bade-Wurtemberg, Bavière, Saxe) soient convaincus par son projet de réforme de l’Europe et fassent pression sur Angela Merkel, Emmanuel Macron a décidé d’en rajouter avec la Chancelière, de lui offrir les bijoux de la famille - abandon éventuel de l’avantage sur l’Allemagne que donne un siège permanent au Conseil de sécurité, mise à disposition de la dissuasion nucléaire - pour obtenir, enfin, un ralliement à ses plans. Mais plus il ouvre la porte aux solutions allemandes en renonçant aux façons de faire françaises sur le terrritoire français (cela s’appelle la souveraineté), plus les Allemands lui demanderont d’accepter les règles allemandes ! 

En quoi le couple franco allemand est-il justement le fruit de cette confrontation des intérêts de chacun, et non le résultat d'une coopération "post-nationale" ? 

Quand les Allemands font l’éloge de l’âge post-national, il faut comprendre l’époque d’après les nationalismes. Un de nos drames actuels, c’est que notre président de la République, comme s’il n’avait pas assez à faire en politique,  se pique de philosopher; il s’enthousiasme par exemple pour Habermas. Mais appliquez la pensée d’Habermas à la réalité politique française et il faut commencer par fermer l’ENA, revenir aux institutions de la IVè République et, en plus, abolir une partie de l’héritage républicain puisqu’on devra faire une place beaucoup plus forte aux régions dans la décision politique française. A vrai dire, à moins que vous vouliez faire revenir Napoléon ou Bismarck, aucun système n’est meilleur que l’autre. Chacun est le fruit d’une histoire. L’Union Européenne, et pour commencer la relation franco-allemande, ne peut être que le fruit d’un compromis entre des cultures politiques très hétérogènes. A mes yeux, l’âge d’or des relations franco-allemandes, c’est la période Pompidou-Brandt: aucun des deux n’appréciait vraiment l’autre, ils ne mettaient aucun sentiment dans leurs négociations et ils sont allés chercher ensemble le troisième larron, la Grande-Bretagne, Pompidou pour contrebalancer le poids économique croissant de la RFA et Brandt pour ne pas être confronté en permanence au seul centralisme français. Les années Brandt-Pompidou, ce sont aussi les années où la première tentative d’union monétaire européenne échoue. Il aurait fallu en rester là et adopter, en ce qui nous concerne, une culture monétaire à l’anglaise. Ah ! Si seulement le normalien devenu banquier avait fait école et s’était trouvé un successeur pour continuer dans la voie de son conservatisme pragmatique ! Au lieu de cela, à partir de Giscard, nos présidents sombrent dans l’idéologie franco-allemande ou se laissent phagocyter par des technocrates qui projettent leur vision de la France sur l’Europe et, devant l’impossibilité de refaire l’empire napoléonien, se rallient par esprit de système à un empire post-bismarckien. 

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