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SOS crédibilité politique en danger : 67% des Français ne sont plus sensibles aux discours sur la République ou les valeurs républicaines
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Sondage

Un sondage exclusif Ifop pour Atlantico qui montre aussi que les discours sur l’identité nationale portent moins qu’il y a 3 ans.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : 67% des Français ne sont pas sensibles aux discours politiques relatifs à la "République" ou aux "valeurs républicaines. Une question qui divise la société, entre sympathisants en Marche (69% y sont sensibles), au reste du corps électoral, tandis que seuls les catégories supérieures (50%) y sont majoritairement sensibles. Comment comprendre ces écarts ? 

Jérôme Fourquet : Cette enquête a déjà été menée à deux reprises par le passé par l'IFOP pour Atlantico, qui donnaient des résultats relativement proches puisque nous étions entre 65 et 75% de Français qui disaient que le discours républicain était une langue qui tournait un petit peu à vide et qui ne parvenait plus vraiment à les toucher. Nous sommes aujourd'hui à 67%, ce qui marque que le référentiel est considéré comme ayant été galvaudé et ne touche plus la corde sensible des citoyens. De ce point de vue là, l'avènement d'une nouvelle majorité présidentielle et la promesse de l'entrée dans un nouveau monde n'a pas sensiblement fait bouger les choses. Ce que l'on constate également, c'est que cette relative indifférence ou ce manque de sensibilité à cette rhétorique républicaine concerne plus spécifiquement les catégories populaires et politiquement les publics qui ne sont pas en soutien de la majorité présidentielle. Ce registre de la "République" est donc assez consubstantiellement décodé comme étant celui des institutions et du pouvoir en place. Il suscite une sensibilité d'abord dans les rangs de ceux qui soutiennent cette majorité présidentielle. Les sympathisants LREM sont à l'opposé de la moyenne des Français. A l'inverse, les électorats des partis les plus contestataires, le Rassemblement national et la France insoumise, et dans une moindre mesure le PS et les LR, sont majoritairement insensibles à ce discours. Il y a donc des choses qui relèvent de la longue durée avec un registre républicain qui apparaît usé jusqu'à la corde et des choses plus récentes qui ont trait à la configuration politique actuelle et le fait que ce discours est rattaché, à tort ou à raison, à la rhétorique officielle de la France des ministères et de la France gouvernementale. Les électorats sceptiques ont donc une raison supplémentaire de se sentir assez peu sensibles à cette thématique.

Maxime Tandonnet : Il me semble qu'il faut distinguer deux choses: le monde de l'abstraction et celui des réalités. Quand la France d'en haut, politico-médiatique, parle des valeurs de la République en général, les gens éprouvent un sentiment d'hypocrisie. Ils ont le sentiment que les élites dirigeantes parlent de valeurs républicaines qu'elles ne respectent pas elles-mêmes. Voyez la succession des scandales depuis quelques années. Chaque nouvelle équipe au pouvoir promet l'exemplarité républicaine avant de sombrer dans le scandale. On voit bien dans ce sondage que ceux qui disent croire aux valeurs républicaines sont les catégories privilégiées, les plus proches socialement et idéologiquement de la classe dirigeante. Celles-là ne ressentent pas la même impression de mépris que les classes populaires. En revanche, si l'on demande aux Français leur avis sur des valeurs précises (et non plus les valeurs républicaines en général) par exemple, le suffrage universel, ou droit de vote, la liberté d'expression ou d'association, l'égalité des chances, la laïcité – le résultat sera complètement différent car dès lors, on parle de choses concrètes qui interviennent dans la vie quotidienne de chacun, sont perçues comme des réalités et non des leurres ou des mystifications lancés par les milieux dirigeants. Sur ces droits et ces libertés en tant que tels, les Français partagent à 80% au moins, un profond attachement.   

De la même façon, la notion "d'identité nationale" n'obtient pas une plus grande attention par les Français (34%) contre 38% pour la "République", un score en baisse par rapport à 2015 (38%). Ne peut-on pas voir ici une preuve d'absence de dynamique réelle de cette notion "d'identité nationale" ? 

Jérôme Fourquet : On voit que la dimension d'identité nationale fait aujourd’hui quasiment jeu égal avec la rhétorique républicaine. On peut considérer que cela est beaucoup mais les résultats de la question précédente nous ont montré qu'il y avait une sensibilité assez peu importante pour la République. Par association, on peut considérer que  la thématique de l'identité nationale n'est pas non plus de nature à ouvrir la porte des cœurs des Français. Cela ne touche qu'une partie minoritaire de la population. Plus globalement, cela reflète que nous sommes aujourd'hui en panne de grands récits collectifs fédérateurs et que l'on constate, scrutin après scrutin, que nous sommes dans la plus grande difficulté à réinventer un imaginaire ou un récit collectif qui serait de nature à toucher ou à sensibiliser les Français. Que cela soit sur la "République" qui est très ancien, ou sur "l'identité nationale" façonnée plus récemment dans le discours politique, il y a une 15e d'année, l'un comme l'autre semblent marquer le pas. Cependant, ces discours portent auprès de certains segments, notamment chez les électeurs du RN. 

Maxime Tandonnet : Parce que là aussi, "l'identité nationale" est perçue comme un slogan de propagande. Or la parole politique est en crise. Les Français n'y croient plus et se méfient des slogans. Cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas attachés à leur pays. Ils ne demandent qu'à en être fiers. Ils seraient, dans leur immense majorité, fiers que la France réussisse dans la lutte contre le chômage et la pauvreté, qu'elle donne l'image d'un pays uni et stable, maîtrisant les phénomènes de délinquance et combattant avec succès la haine sous toutes ses formes. Ils seraient fiers d'une nation rassemblée et unie. Ils seraient fiers d'une classe dirigeante qui travaille pour le bien commun plutôt que de s'adonner au grand-guignol permanent et à un culte de la personnalité d'un autre âge. Ils seraient fiers que leur pays donne un modèle de dynamisme industriel, que sa parole soit écoutée et respectée en Europe et dans le monde. Mais aujourd'hui, l'image que donne la France est plutôt celle de la déchirure et du déclin, et sa vie politique, de gesticulation vaniteuse et stérile. Alors dans ce contexte, les termes d'identité nationale sont parfois ressentis comme pompeux et en décalage avec la réalité.

Le détail du sondage laisse apparaître un écart très important entre "identité nationale" (65%) et République (5%) pour les électeurs de Debout la France, soit 60 points d'écart contre un écart de 31 points pour le RN. Ne peut-on pas en conclure que DLF se situerait finalement plus à droite que le RN ? 

Jérôme Fourquet : Il était intéressant de voir que DLF s'appelait Debout la République il y a encore quelques années pour devenir Debout la France en 2014, en mettant donc la thématique nationale au cœur, en lieu et place de la thématique républicaine. Manifestement, ce changement sémantique a été complètement validé par son électorat qui est beaucoup plus polarisé la-dessus. On voit la traduction d'un aggiornamento, du logiciel de Nicolas Dupont Aignan, qui se réfère un peu moins au gaullisme social et au séguinisme, auquel cas la thématique républicaine continuerait d'irriguer ce discours, et qui se positionne davantage aujourd'hui sur la thématique de l'identité nationale. Il est ici en osmose avec son électorat quand l'électorat du RN - majoritairement plus sensible à la question de l'identité nationale, mais avec une thématique républicaine qui a été injectée dans le discours du RN, notamment du temps de Florian Philippot. Même si cela n'est pas le discours majoritaire et central mais on voit que cela touche quand même une partie de son public. 

Maxime Tandonnet : Ce n'est pas une affaire de situation plus ou moins à droite sur l'échiquier politique mais plutôt de différence de sensibilité. Il faudrait voir quelle est l'interprétation de ces termes. Il me semble que la Nation, l'indépendance et sa souveraineté sont les notions clés de l'engagement en faveur de Debout la France surtout au regard de la critique de la supranationalité. Pour certains électeurs potentiels de RN, les préoccupations centrales sont peut-être davantage tournées vers l'intérieur, et notamment la crainte de l'immigration et de la désintégration de la société par le multiculturalisme. Le mot République, tel qu'interprété par une partie des électeurs RN, sera compris comme une antidote à la diversification de la société – l'indivisibilité de la République ou la laïcité contre le morcellement. Ces valeurs républicaines ne seront sans doute pas comprises dans le même sens par des sympathisants socialistes ou LREM qui mettront au contraire l'accent sur les principes d'égalité des droits et la non-discrimination. Cela dit, alors que la vie politique ne cesse de sombrer dans le grand spectacle narcissique, de l'extrême gauche à l'extrême droite,  avec l'obsession de gagner ou des préserver des prébendes, l'immense majorité des Français ne se retrouve dans aucune personnalité publique ni aucun parti pour incarner les principes de la res publica, la chose publique ou le bien commun de la nation, plutôt que des intérêts particuliers, électoraux, partisans ou sectaires. C'est bien là qu'est l'essentiel.

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