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Cette autre crise, gravissime pour l’Eglise, qui se joue derrière le Sommet extraordinaire sur la pédophilie
©Reuters

Le grand Schisme

Un sommet exceptionnel organisé par le pape autour de la question très critique de la protection des mineurs et adultes vulnérables à la suite de nombreuses affaires de pédophilies se tient ce jeudi au Vatican. Il rassemble toute la hiérarchie catholique mondiale.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Jean-Baptiste  Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits. 

Il est auteur notamment de : La Révolte fiscale. L'impôt : histoire, théorie et avatars (Calmann-Lévy, 2019) et Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015)

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Atlantico: La pédophilie ne devrait pas être le seul thème abordé lors de ce sommet. Deux cardinaux, Burke et Brandmüller, ont adressé au pape une lettre ouverte appelant à briser le silence du "fléau de l'agenda homosexuel", remettant en cause l'action vaticane sur les questions de mœurs. Ces mêmes cardinaux avaient déjà ouvertement critiqué le Saint-Père il y a quelques mois. Doit-on voir dans ces "dubias" une affirmation d'une fronde conservatrice contre le pape ? 

Jean-Baptiste Noé: Cette réunion est dans la continuité d’une lutte constante contre les abus sexuels, menée dès la fin du pontificat de Jean-Paul II et poursuivi avec beaucoup d’abnégation par Benoît XVI. Les crimes sexuels qui ont été mis à jour et dénoncés remontent pour la plupart à plusieurs décennies et datent des années 1970-1980. Ils sont dans le mouvement  de la culture hédoniste qui fait suite à la révolution sexuelle post Mai 68. L’Église n’est pas la seule institution touchée, et elle est moins touchée que d’autres institutions. Il faut rappeler, encore et toujours, que la plupart de ces crimes ont lieu dans le cadre familial. Puis viennent les associations sportives, les clubs de jeune, l’Éducation nationale.

Ils ont une résonnance particulière au sein de l’Église d’une part à cause de l’exemplarité morale de celle-ci, d’autre part parce que les ennemis de l’Église exploitent ces fautes pour salir l’institution. Les cas de pédophilie stricto sensu sont rares. La plupart des cas sont des relations avec des adolescents et des jeunes adultes.

Il y a deux lectures au sein de l’Église. Pour certains, ces actes sont la conséquence du cléricalisme et de l’abus de pouvoir, ainsi que de la chasteté que l’on impose aux prêtres. Dans cette vision, qui est soutenue par Frédéric Martel dans son livre, la chasteté est impossible, elle est même contre nature. Il faut donc permettre la libération sexuelle.

La deuxième lecture, qui est portée notamment par le cardinal Burke, mais aussi beaucoup d’autres prélats et intellectuels catholiques, est que ces crimes sont la conséquence d’un manque de tempérance sexuelle. Ils dénoncent un lobby homosexuel, qui essaye d’imposer son agenda au sein de l’Église pour briser la vision traditionnelle de la famille et de la théologie du corps. Ils espèrent aussi que les prélats qui ont commis ces crimes ne seront plus défendus et cachés, mais qu’ils pourront être condamnés, comme cela vient d’être le cas avec Théodore Mc Carrick, exclu de l’état de prêtre.

Ce sont bien deux visions de la théologie du corps, de l’intégration de la sexualité et de l’interprétation de la morale chrétienne qui s’affrontent. Ce n’est pas nouveau, cela remonte au moins aux années 1960 et à l’encyclique de Paul VI Humanae vitae. Mais, à tort ou à raison, l’aile progressiste estime que François est des leurs, et ils veulent profiter de son pontificat pour imposer leur agenda. D’où les tensions de plus en plus fortes depuis les synodes sur la famille.     

Christophe Dickès : Le terme de fronde me semble un peu fort, voire exagéré... Les cardinaux en question ont une influence certaine, mais je doute que cela débouche vers une quelconque remise en cause des buts que s’est assignée la conférence  contre les abus sexuels réunie dès ce jour à Rome.

Au sein de l’institution, et assez schématiquement, il peut y avoir deux façons de voir la situation actuelle de l’Eglise : la première vise à considérer cette crise comme le résultat d’un cléricalisme exacerbé. Derrière ce mot se cache une suspicion systématique à l’égard des structures ecclésiales mais aussi des personnes qui, du fait de leur autorité, refuseraient de faire leur examen de conscience. Elles sont ainsi accusées d’entretenir une culture du silence face aux abus sexuels. Mais depuis plusieurs mois, le cléricalisme est devenu un mot valise où chacun met ce qu’il souhaite y voir afin de promouvoir sa propre conception de l’Eglise.

Une autre conception  - celle ici des cardinaux Burke et Brandmüller- est de considérer plus simplement cette gigantesque crise comme l’expression du rejet des principes évangéliques. La crise ne serait donc pas le résultat d’un abus de pouvoir mais dans les actes contraires à la loi divine et à la loi naturelle pratiqués par des « mauvais serviteurs » qui trahissent le message du Christ. Dis crûment, les deux cardinaux demandent à ce que l’on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain ; que l’examen de conscience ne soit pas dans une remise en cause de l’institution mais dans l’attitude de chacun face à Dieu. 

"La première et principale faute du clergé n'est pas dans l'abus de pouvoir, mais dans l'éloignement de la vérité de l'Évangile", était-il aussi écrit dans la lettre ouverte. Faut-il y voir une critique de l'action papale en tant que telle ? Les accusations à demi découvertes de "pente progressiste" au sein de l'Église sont-elles justifiées ?

Jean-Baptiste Noé: C’est bien de la doctrine catholique dont il s’agit. Cette réunion devra évoquer la question de la confession, que certains prélats considèrent comme dépassée et obsolète. Il faudra aussi évoquer la question du péché et de la morale. Les viols et les agressions sexuels au sein du clergé ne se régleront pas uniquement avec des règlements techniques ou des bonnes pratiques. C’est toute la question de l’ambiance pornographique de la société qui est posée.

On aurait tort de croire que cela concerne uniquement le Vatican et l’Église catholique. Ce qui se joue à Rome en ce moment concerne tout l’Occident. L’ambiance pornographique est diffusée partout, à la télévision, à l’école, dans les films et on en mesure aujourd'hui les effets désastreux. C’est avec beaucoup de lucidité et de courage que l’Éducation nationale tente de lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes, qui est un vrai enjeu de civilisation. Nous pouvons là aussi poser les mêmes questions. Qu'est-ce qui est la cause de cela ? Un abus de pouvoir ou la perte des repères sur les différences fondamentales entre les hommes et les femmes ? La sexualité est-elle un élément périphérique de l’homme ou bien l’élément central autour duquel tourne toute sa vie ?

Les débats qui agitent aujourd'hui l’Église catholique doivent se poser en dehors de celle-ci, car, comme nous le disions, ce sont toutes les institutions sociales qui sont frappées par le fléau de la pédophilie et des crimes sexuels. De nombreuses institutions internationales, dont l’Unicef, ont félicité l’Église pour la façon dont celle-ci avait pris conscience du problème et luttait contre lui. Dans de nombreux pays, les procédures d’enquête et de secours aux victimes instituées par l’Église servent de modèle aux autorités civiles.

L’enjeu de la protection de l’enfance et des plus faibles est beaucoup trop sérieux et grave pour sombrer dans de vaines polémiques.

Christophe Dickès : Non, je ne crois pas qu’elle soit ici justifiée. Le rassemblement de Rome doit être considéré comme l’expression d’une volonté : celle de donner un cadre plus pratique et très concret à la gestion des cas de pédophilies dans l’Eglise. Parce que les victimes ont besoin de ces actes concrets au-delà des simples mots qui ont été prononcé afin d’apaiser leur douleur, ou de l’écoute dont ils ont bénéficié. Il n’y a pas de vérité sans justice. Et cette justice doit faire son œuvre. Le retour à la vie laïque de l’Américain McCarrick est à cet égard un geste très fort pour les victimes américaines. Et il faut s’en réjouir.

D’autres actes doivent être posés : des procédures mises en place, une transparence assurée et systématique, une adaptation du droit canon, une définition des devoirs de chacun, etc. Bref, l’Eglise doit être proactive plutôt que réactive dans la gestion de ces scandales : la création d’une commission indépendante en France sous la direction de Jean-Marc Sauvé fait aussi partie des actes importants qui engage l’Eglise de France sur l’avenir. 

Ceci dit, il est très difficile de gérer de façon universelle une telle question. En effet, l’environnement juridique de chaque pays tout comme les cultures nationales et même régionales sont différentes d’un continent à l’autre. Si bien qu’il peut paraître difficile d’agir de la même façon au Canada que dans un pays asiatique par exemple où la sexualité est un tabou. Sans parler de l’Afrique…

Le Vatican est ces derniers jours sous le feu des critiques, notamment après la publication de Sodoma, enquête sur l'homosexualité au sein de l'Église. Comment s'exprime l'opposition sur cette question au sein de l'Église aujourd'hui ? N'y a-t-il pas une forme de floue ?

Jean-Baptiste Noé: Nous en revenons à ce que nous disions au début de cet entretien. Il y a tout un mouvement dans l’Église qui veut effacer la doctrine morale de celle-ci et tout permettre, mais la position des personnes qui soutiennent ce mouvement est contraire à l’enseignement constant et fidèle de l’Église.

Sodoma ne fait aucune révélation. Pour qui suit les questions vaticanes, ces sujets sont connus de longue date. L’auteur exagère néanmoins beaucoup la présence de l’homosexualité au sein du Vatican, il généralise des cas isolés et il extrapole sur certaines personnes. Son propos n’est pas bienveillant. Il ne cherche pas à alerter l’Église sur ces problèmes mais à diffuser une idéologie. Il ne cherche pas à aider à la résolution d’un problème, mais à jeter du sel sur la plaie. C’est dommage, car la protection de l’enfance est un sujet grave et sérieux que tout le monde doit prendre à bras le corps, les chrétiens comme les autres. Il faut espérer qu’il sortira des choses positives de cette réunion ; afin d’arrêter les criminels et d’aider les victimes à se reconstruire.   

Christophe Dickès : Les tensions sont réelles au Vatican et la publication du livre Sodoma, très étonnamment le jour même du début de la conférence sur les abus sexuels, n’arrange rien. Mais toutes ces tensions sont le résultat de divers intérêts et motivations. On ne peut donc les réduire à un simple conflit entre la gauche et la droite de l’Eglise comme veut le faire croire Frédéric Martel dans son livre. La situation est bien complexe qu’il ne l’affirme et ne correspond pas à sa lecture purement idéologique et partisane. Surtout sa perception relève d’une méconnaissance totale de l’histoire de l’Eglise, jusqu’à l’époque la plus récente.

Cependant, il est vrai que le pape François est entouré de personnes progressistes qui défendent une conception de l’Eglise dans la lignée de l’ancien cardinal Martini ou du cardinal Silvestrini : celle-ci vise à bouleverser le schéma défendu par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI après la crise des années 1960 et 1970. Cette conception progressiste défend une église « plus ouverte », en phase avec « la modernité » : il s’agit pour eux de débarrasser l’institution de son dogme et de sa doctrine –notamment sur l’homosexualité- au profit d’un projet purement pastoral dont on ne sait pas trop sur quoi il reposerait. Le dogme deviendrait une sorte d’idéal inatteignable réservé à quelques parfaits. Mais le dogme reste le reflet de l’enseignement évangélique et donc de l’enseignement du Christ qui appelle chacun des fidèles à devenir saint. Si l’Eglise ne propose pas cet idéal de sainteté fondé sur les vertus de foi, d’espérance et de charité, que va-t-elle proposer ? 

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