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Les singularités des traités de libre-échange
©SAUL LOEB / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Marc Siroën publie "Mondialisation à la dérive. Europe sans boussole". Montée du protectionnisme, Brexit, tensions politiques, l'Europe et l’économie mondiale sont plongées dans un nouveau cycle dont personne ne peut anticiper l'aboutissement. Cet essai prend position en faveur d’un multilatéralisme rénové qui ne peut s’affranchir de l’Europe. Extrait 2/2.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Les réticences américaines étaient pragmatiques. Avant-guerre, les Etats-Unis étaient restés en dehors des grandes zones de préférence qui se confondaient souvent avec les Empires coloniaux. Après-guerre, leur ambition était de conquérir les marchés mondiaux. Les Etats-Unis accepteront donc mal les barrières posées par l'Europe aux importations de produits issus de l'agriculture américaine. Le thème de la forteresse Europe, sera alors récurrent dans le débat politique américain. 

Mais, comme c'est souvent le cas, le pragmatisme et la théorie, sinon l'idéologie, se nourrissent mutuellement. Dans la pop economy (l’économie populaire), les traités commerciaux dits alors « régionaux » sont souvent considérés comme une forme de libre-échange. C’est une étape, même si c’est un détour et ils concourent à l’approfondissement de la mondialisation.  

Il est vrai qu'au XIX° siècle, les traités de libre-échange, orchestrés par la puissance britannique, étaient considérés comme … libre-échangistes d'autant plus d'ailleurs, qu'ils étaient assortis d'une clause de la nation la plus favorisée. Les années 1930, marquent un retournement. Ces traités deviennent protectionnistes car en créant des zones d'autosuffisance, elles rendent économiquement viables le protectionnisme. D'où les réticences américaines.  

Il fallait donc une théorie qui démasque les travers des traités de libre-échange et des Unions douanières. En 1950, l'économiste américain Jacob Viner démontre que si ces zones de préférence « créent » du commerce, elles en « détruisent » aussi. Le débat sur l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union européenne illustre cette contradiction. En entrant dans ce qui est encore la Communauté Européenne, ces pays vont supprimer leurs droits de douane dans leurs échanges avec le reste de la zone ce qui donnera lieu à une création de commerce. Mais les nouveaux entrants devront aussi adopter les droits de douane européens qui pourraient être plus élevés que ceux qu’ils pratiquaient auparavant. Ils importeront donc moins de maïs des Etats-Unis, bon marché, mais lourdement taxé pour en acheter plus en Europe où si les coûts de production sont plus élevés, il s’exonère des droits de douane. C'est un « détournement » de commerce qui pèse négativement sur l’économie de la péninsule ibérique.  

Le gain ou la perte nette de l’intégration commerciale devient alors une question empirique. Néanmoins, les chances de gains seront d'autant plus élevées que les pays échangeaient déjà beaucoup entre eux et qu’ils ont donc moins à « détourner ». C’est généralement le cas lorsque les pays sont, comme dans la Communauté européenne, géographiquement et économiquement proches. Et, de fait, les traités commerciaux ont longtemps été régionaux (Traité de Rome, ALENA, Pacte andin, ASEAN, etc.) même s'ils le sont de moins en moins aujourd'hui. 

D'autres économistes, défenseurs du libre-échange et du multilatéralisme ont souligné que ces « blocs » pourraient atteindre une taille qui leur permettrait de se comporter en quasi-monopole, comme exportateur dominant ou en quasi-monopsone comme importateur principal. Dans le premier cas, la grande union douanière serait tentée de limiter ses exportations en les taxant pour créer de la rareté sur les marchés mondiaux et pousser ainsi ses prix à la hausse à la grande satisfaction des producteurs. Dans le second, en taxant davantage les importations, elle diminuerait la demande mondiale et pousserait les prix à la baisse à l'avantage des consommateurs. Pour un économiste libre-échangiste comme Jagdish Bhagwati, le seul bloc qui vaille serait alors… le Monde.

Dans les faits, il serait pourtant difficile de trouver beaucoup d'exemples qui confirmeraient ces craintes. Avant que la Chine n'entre sur le marché, l'Union européenne fut longtemps le seul importateur de tourteaux de soja qui, loin d'être taxés, comme ils auraient dû l'être pour « maximiser le bienêtre » du pays importateur, entraient librement en Europe.  

Ainsi, contrairement à une idée reçue, les traités de libre-échange, nom d'ailleurs hérité de l'histoire ancienne, ne sont pas le libre-échange. Selon leur contenu, ils peuvent tout aussi bien le promouvoir que s'en affranchir. Or, depuis une vingtaine d'années, ils ont évolué dans un sens qui ne laisse pas toujours espérer les bénéfices que les économistes attendent du libre-échange.  

Extrait du livre de Jean-Marc Siroën, "Mondialisation à la dérive. Europe sans boussole"

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