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Grand coup de froid entre Paris et Berlin : ces dossiers qui plombent la relation franco-allemande
©LUDOVIC MARIN / AFP

Fâcherie

Les motifs de désaccord se sont multipliés en quelques semaines entre la France et l'Allemagne, signe d'une crise profonde entre les deux pays.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Opposition de la France au gazoduc Nord Stream2, annulation de la participation d'Emmanuel Macron à la Conférence de Munich sur la sécurité (en présence d'Angela Merkel), différences stratégiques concernant le Brexit, la politique commerciale européenne etc. Comment en sommes nous arrivés, en quelques semaines, à une telle situation entre Paris et Berlin ?

Edouard Husson : De soudaines inversions de polarité sont l’un des symptômes d’une crise profonde. Paris et Berlin viennent de signer un nouveau “traité de l’Elysée”, affirmait-on encore il y a quelques jours; or, voici que les sujets de discordes se multiplient. Les discours ne peuvent plus dissimuler une mésentente qui n’est pas seulement conjoncturelle. Rappelons-nous, Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir avec une demande de relance de la coopération franco-allemande, d’approfondissement de la zone euro. Et pendant dix-huit mois Angela Merkel n’a rien proposé en retour au président français. N’obtenant rien dans le domaine économique et monétaire, le Président a proposé de donner encore plus: mise à disposition de la dissuasion nucléaire, soutien français à un siège permanent pour l’Allemagne au Conseil de Sécurité; sans rien obtenir en retour. Eh bien tout cela ne résiste pas plus de quelques semaines. Emmanuel Macron est de plus en plus absorbé par une crise politique interne à multiples facettes. Le refus français de soutenir le gazoduc Nordstream 2 est bien entendu renforcé par l’enquête qui démarre sur de possibles liens entre Benalla et des affairistes russes. Emmanuel Macron ne doit en aucun cas apparaître comme ayant un biais pro-russe dans sa politique. Mais le mal est beaucoup plus profond: la classe politique allemande considère que le Traité d’Aix-La-Chapelle n’est guère plus qu’un empilement de mots. Quant aux Français, ils sont vicitimes d’une méconnaissance croissante de la la langue et de la culture allemande. 

Quelles sont les véritables fractures qui se sont révélées entre les deux pays au cours de ces dernières semaines, et quelles peuvent en être les conséquences à court-moyen ou long terme ? 

Ce que nous voyons n’est que la révélation d’une réalité trop longtemps dissimulée. Cela fait longtemps que les relations entre la France et l’Allemagne sont mauvaises. Je pense de plus en plus, pour ma part, que les successeurs du Général de Gaulle n’ont pas tiré les conséquences de l’échec de la tentative gaullienne de faire de l’entente entre la France et l’Allemagne (de l’Ouest) le coeur de la construction européenne. En fait, Schuman et de Gaulle ont réussi la réconciliation mais pas la mise en place d’une coopération. Dès le printemps 1963, le Bundestag ajoutait un préambule atlantiste au Traité de l’Elysée. Fin 1968, le “gaulliste allemand” Franz-Josef Strauss affirme bruyamment la supériorité monétaire allemande. Malheureusement, les successeurs du Général de Gaulle n’ont pas compris que la France avait intérêt à adopter une politique monétaire à l’anglo-saxonne, de change flexible. Pompidou s’appuie sur le Rapport Werner pour imaginer une union monétaire européenne, le projet que Giscard puis Mitterrand mettent au centre de leur engagement respectif . Or, en fait, cette politique monétaire a enlevé toute flexibilité  à l’économie française, au dur et à mesure des années. A partir de la réunification, les malentendus se sont multipliés: cavalier seul d’Helmut Kohl sur la réunification elle-même; élargissement de l’UE sous impulsion allemande, sans tenir compte des voisins; sortie du nucléaire décidé sous Madame Merkel - tout comme sa politique d’immigration incontrôlée. En fait, il faudrait avoir le courage de le dire publiquement et de tenir, pour la première fois depuis longtemps, un discours de vérité entre les deux pays. 

Dans le contexte du Brexit, de la tension existante entre Rome et Paris, comment analyser la situation actuelle en Europe, au regard de ce refroidissement franco-allemand ? 

Les relations avec la Grande-Bretagne sont un excellent exemple. La France et l’Allemagne ont largement profité de relations qui permettaient de constituer un triangle Londres-Paris- Bonn/Berlin. Les Allemands ont toujours considéré, à tort ou à raison, que les Britanniques étaient des partenaires économiques plus sérieux que les Français. Ces derniers ont toujours envisagé l’Allemagne comme un partenaire de moindre calibre que la Grande-Bretagne en matière de défense. France et Allemagne ont aujourd’hui d’importants excédents commerciaux vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Du point de vue de l’Union Européenne, le Brexit est une catastrophe. Et pourtant, Madame Merkel n’a pas voulu voir le lien entre sa politique d’immigration et le vote britannique. De même, la France est actuellement dans une attitude de « punition » de la Grande-Bretagne, dont une majorité de citoyens ont souhaité le Brexit. Mais cette attitude dilettante ou rigide, au choix, ne peut pas tenir dans la durée. Des dissensions fortes apparaissent entre pays européens sur le sujet du Brexit - ou sur d’autres sujets. La rigidité envers la Grande-Bretagne se retrouve désormais au sein de l’UE, maintenant que la Grande-Bretagne est presque partie: après avoir essayé en vain de punir la Grande-Bretagne, on va punir en interne un pays, un gouvernement, qui ne sont pas dans la ligne générale. 

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