Gérald Darmanin veut envoyer la facture des services publics à chaque citoyen français, mais poussera-t-il la logique jusqu’à leur permettre de négocier le prix ou de changer de fournisseur ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Gérald Darmanin veut envoyer la facture des services publics à chaque citoyen français, mais poussera-t-il la logique jusqu’à leur permettre de négocier le prix ou de changer de fournisseur  ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Sur le papier

Dans une interview donnée au Parisien, Gérald Darmanin a déclaré vouloir envoyer "chaque année à tous les Français le coût réel des services publics qu'ils ont utilisés".

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

Voir la bio »

Atlantico: Dans une interview donnée au Parisien, Gerald Darmanin déclare "Donc je formule une deuxième proposition : qu’on envoie chaque année à tous les Français le coût réel des services publics qu’ils ont utilisés, sous la forme d’une simulation personnalisée. Non pas pour leur facturer, mais pour que chacun prenne conscience de la façon dont leurs impôts sont employés. Je vais le proposer au président de la République. ". En partant d'un tel constat, ne pourrait-on pas considérer nécessaire d'aller au bout de la logique en proposant aux usagers de choisir leur fournisseur de services en se basant sur les prix et la qualité de ces derniers, comme cela peut être le cas en Allemagne concernant l'assurance maladie ?

Jacques Bichot: Il est assez étrange que Gérald Darmanin parle dans une interview d’une proposition qu’il va faire au président de la République : normalement, la politesse et l’efficacité exigent qu’un ministre parle d’abord de tels projets au Premier ministre, chef du gouvernement, et par conséquent son supérieur hiérarchique. Sauter ainsi un échelon, c’est manifester une désinvolture qui ne peut que soulever des questions : Darmanin est-il tout simplement un gamin mal élevé ? ou bien cela signifie-t-il qu’un vent de disgrâce souffle dans la direction d’Edouard Philippe ? Ou encore que, peut-être depuis le début du quinquennat, le véritable chef du gouvernement est le Président, ce qui serait une entorse assez grave au fonctionnement de nos institutions ?

Quant au fait de s’adresser d’abord à un journal, ou bien ce n’est pas vrai, Gérald Darmanin ayant déjà parlé de cela avec ses supérieurs, ou bien c’est – à nouveau – le signe d’un dysfonctionnement inquiétant de l’équipe gouvernementale. Bref, dans tous les cas, il s’agit d’une forme de ce que Charles de Gaulle appelait la chienlit.

Sur le fond, l’idée d’une simulation personnalisée est probablement irréaliste. Fort heureusement, l’Etat n’est pas au courant des faits et gestes de chacun : combien de fois M. Dupont ou Mme Durant a eu recours aux services de la gendarmerie ou de la police, s’il ou elle a été aux urgences d’un hôpital, s’il ou elle a des enfants dans tel établissement scolaire ou telle université (et dans quelle discipline), et ainsi de suite.

Par ailleurs, il existe des services dont la répartition entre les citoyens est problématique : si j’ai résidé dans tel pays du Tiers-monde, je serai particulièrement heureux qu’il reçoive une aide de la France, tandis que notre action dans un pays que je situe à peine sur une mappemonde aura moins d’intérêt à mes yeux.

Reste ensuite la faisabilité d’une telle opération. Nous commençons tout juste à disposer, comme cela est indispensable pour l’unification de nos systèmes de retraites, de bases de données permettant de savoir ce que chacun possède comme droits à pension. Il a fallu pour cela un travail informatique et administratif gigantesque, qui a pris des années et a coûté assez cher. Darmanin pense-t-il avoir le temps de faire l’équivalent sur une multitude de sujets, et pense-t-il que ce soit une bonne utilisation des deniers que nous versons à l’Etat ?

Bref, la proposition me paraît caractériser Darmanin comme jeune homme ambitieux, rempli de révérence béate envers tout ce qui est « numérique ».

Est-ce que sa proposition aurait du moins l’intérêt de promouvoir une liberté de choix entre divers fournisseurs de services ? Je l’espère, car cela serait un objectif du plus haut intérêt. La question du choix d’une assurance maladie est pertinente, à condition d’être précisée : nous devons rester dans un système où chacun est couvert très correctement, même s’il ne cotise pas en proportion du service qui lui est rendu. En revanche, nous devrions disposer d’un choix astucieux concernant les compléments de couverture maladie. Nous payons beaucoup trop cher les complémentaires, parce que les frais administratifs sont les mêmes pour rembourser 80 % du prix d’un acte médical et chirurgical, ou les 20 % restant. Evoluer vers une gestion simultanée de l’assurance de base et de la complémentaire (librement choisie) permettrait de bénéficier d’un service meilleur et moins cher. Mes estimations de l’économie réalisable sont de l’ordre de 2 Md€, économie presque égale à celle que pourrait nous procurer l’unification de nos dizaines de régimes de retraite par répartition.

Un autre domaine dans lequel la liberté de choix est très importante, c’est l’enseignement. Le système du ticket scolaire, bon que les familles pourraient donner à l’école ou au collège ou lycée ou université librement choisi par elles, permettrait à la fois de réaliser concrètement ce que coûte l’enseignement, qui absorbe une partie importante de nos impôts, et de stimuler les établissements, les moins bons risquant de devoir fermer faute de « clients ».

Quels pourraient les effets d'une telle mesure ? Quelles pourraient être les plus importantes "surprises" des Français sur ces questions ?

Ce serait moins une « mesure » qu’une action d’information. Et en la matière, je crois qu’il y a beaucoup à faire, pas forcément de la façon dont Darmanin l’envisage, pour que les Français se rendent mieux compte de ce que leur apporte le service public. Par exemple, la redevance télé est une bonne institution, qui devrait être améliorée en débarrassant totalement les chaînes publiques de la pub. De même, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui correspond à un service précis et fort utile. Ou encoreil serait intéressant que les taxes sur les carburants soient calculées de façon à équilibrer aussi exactement que possible, ni plus ni moins, les dépenses d’entretien des chaussées et autres services requis pour circuler de manière rapide et sécurisée.

Mieux informés, nous serions certainement surpris par le coût de certains services publics, soit qu’ils nous paraissent bon marché, soit qu’ils semblent hors de prix. Nous parlions des ordures ménagères : pour l’agglomération lyonnaise, une association, la CANOL, calcule à combien cela revient, et c’est nettement moins que la taxe correspondante : intéressant ! Mais ce le serait aussi de savoir à combien revient l’entretien d’un cimetière, le vrai prix d’un logement en HLM à tel endroit, subventions inclues, ou celui d’une cantine scolaire (subventionnée, mais de combien ?)

Attention cependant à ne pas exagérer. Notre capacité à enregistrer et traiter des informations est limitée. Nous saturons déjà. Ce qu’il faudrait, c’est moins accroître encore le flux énorme d’informations que nous recevons, que d’avoir des infos plus pertinentes. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !