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Grand Débat : ce double piège qui menace le gouvernement malgré son habileté politique
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Grand Débat national

Dans le prolongement du Grand Débat, Emmanuel Macron semble se diriger uniquement vers une réponse institutionnelle.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico: Alors qu'Emmanuel Macron semble de plus en plus se diriger, dans le prolongement du Grand Débat, vers une réponse institutionnelle (« Si être Gilet jaune, c’est vouloir moins de parlementaires et que le travail paie mieux, moi aussi je suis gilet jaune ! »), ne peut-on pas y voir un risque d'impasse pour Emmanuel Macron, entre une réforme institutionnelle  - pouvant être portée par référendum - qui ne changerait finalement rien au fond de la politique menée ou un refus de sa part d'entamer une telle réforme qui serait alors vu comme une défiance suite au Grand Débat ? 

Maxime Tandonnet: Le retour aux urnes à l'issue du grand débat est dans une logique démocratique. Il signifie que l'on n'a pas parlé pour rien et que la discussion débouche sur une décision politique. Cette solution bat en brèche la critique de palabres inutiles uniquement destinés à gagner du temps. Il reste à savoir sous quelle forme cette issue démocratique interviendra. Plusieurs personnalités ont réclamé des élections législatives anticipées. A coup sûr, sur le modèle de mai-juin 1968, cette option mettrait un terme au mouvement social en focalisant l'attention du pays sur les urnes. Le chef de l'Etat semble l'avoir écartée. L'autre voie est celle du référendum. Sur le fond, on ne pourrait que se féliciter d'un appel au peuple et à la démocratie directe. Mais reste à savoir quel référendum. Le président, sur un mode gaullien mettra-t-il en jeu son mandat? Ce serait un choix courageux et républicain, mais aussi une sorte de quitte ou double: quitter le pouvoir par la grande porte, celle de la démocratie, ou bien obtenir une nouvelle légitimité lui permettant de poursuivre son action sur des bases nouvelles. Un tel coup d'audace est fort peu probable. Autre question: sur quoi portera le référendum? S'il concerne les graves problèmes institutionnels qui favorisent l'impuissance publique et le déclin de la France, ce sera une œuvre salutaire: sortir le régime de sa dérive narcissique en rétablissant le septennat et en le rendant non renouvelable, renforcer le rôle du Parlement, faciliter les référendums, mieux définir les rôles entre le Chef de l'Etat, responsable de la politique étrangère et de défense, et celui du Premier ministre et des ministres, chargés du gouvernement de la France, sous le contrôle d'un parlement souverain. En revanche, si l'objectif est de vendre aux Français une mesure démagogique telle que la réduction du nombre de députés et de sénateurs, un tel référendum, vécu comme un leurre, serait un pas de plus dans la déchéance de notre vie politique nationale

En quoi l'architecture actuelle du Grand Débat, qui ne permet pas de parler à tous les Français, aussi bien en raison de la sociologie des participants (les jeunes sont absents ) que des niveaux de contributions variant en fonction des appartenances politiques, peut-elle conduire justement à une situation qui pourrait se retourner contre le gouvernement ? 

Il semble, grosso modo, que la sociologie de la participation au grand débat corresponde assez largement à celle de la France urbaine et privilégiée, le noyau de la France qui participe encore aux élections. Le niveau d'implication des couches populaires, rurales, de la banlieue ou des jeunes, de la France périphérique, paraît moins élevé. Si ce phénomène était confirmé, cela signifierait que le grand débat ne permet pas de résorber la fracture démocratique, qui se manifeste dans la poussé croissante de l’abstentionnisme et par un taux de défiance envers la politique considérable (81% des Français en ont une vision négative selon le baromètre CEVIPOF 2019). Cette hypothèse, si elle était confirmée, signifierait que le grand débat ne touche principalement que la fraction de la population à l'aise avec le régime, ses institutions, ses dirigeants, sa politique. Elle impliquerait que le reste de la population, sa vaste majorité, demeure en marge d'un processus qu'elle analyse comme une opération politicienne et un coup de communication supplémentaire, sans conséquence pour l'avenir. Plus que jamais, cette frange du pays aura le sentiment d'avoir été une fois encore manipulée. Son scepticisme et sa colère en sortiront encore grandis, tout comme la fracture du pays.  C'est le danger pour l'équipe dirigeante.

En quoi l'habileté d'Emmanuel Macron dans l'instauration du Grand Débat national pourra-t-elle réellement, et durablement, faire l'impasse d'un véritable changement de politique ? Quels sont les risques ?

Le président Macron sent bien que le pays connaît une crise extrêmement profonde. Voit-il juste sur les causes de ce malaise? Sans doute pense-t-il que le pays réagit négativement aux quelques aménagements réalisés sur le droit du travail ou la SNCF. Or, tel n'est absolument pas le cas. Les Français n'ont pas peur des réformes si elles sont utiles et bien expliquées. En revanche, au cœur du problème, il y a ce sentiment, à l'origine de toutes les révolutions, d'une élite dirigeante qui n'a de cesse que de servir ses intérêts, matériels ou de vanité, au détriment de la nation qu'elle a tendance à mépriser. Les mesures vécues comme injustes contre les retraités (CSG), les étudiants (APL), la taxe carbone, etc., ont été les détonateurs de cette révolte. Dans la logique ultra-narcissique – jusqu'à l'absurde - du régime, le personnage élyséen lui-même est devenu l'incarnation même de cette injustice qu'il a favorisée par une multitude de provocations verbales ou gestuelles. Un changement de politique consistant à écouter désormais les demandes profondes de la nation, authentiquement et sincèrement, sur les modalités de la construction européenne, le fonctionnement de la démocratie, l'allègement de la fiscalité, l'immigration, le pouvoir d'achat, l'école, les frontières, la sécurité, paraît impossible avec la même équipe au pouvoir. Il ne serait pas crédible: on ne peut demander aux mêmes hommes et femmes d'appliquer une politique contraire à celle qu'ils ont suivie. Rien ne sera possible sans une profonde rupture politique. Ce changement radical devrait passer par des élections législatives, l'émergence d'une nouvelle majorité et d'un Gouvernement chargé de gouverner le pays. Il passe aussi par une transformation des méthodes d'exercice du pouvoir qui devraient être désormais fondées sur une présidence modeste et discrète, déléguant la politique intérieure à un véritable gouvernement et un parlement incarnant au plus près la nation. Le risque sinon est de voir se prolonger, pendant les 3 ans qui restent, la descente aux enfers de la politique française et aux élections générales de 2022, une véritable explosion se traduisant par l'arrivée de démagogues au pouvoir et le naufrage de la France dans un chaos indicible. 

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