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Emmanuel Macron porte le Grand Débat dans la France des grandes villes et des quartiers… mais au fait, où en est-elle depuis la crise des Gilets jaunes ?
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Et pendant ce temps là au pied des HLM

Dans le contexte de la crise des Gilets jaunes et le cadre du Grand débat national, Emmanuel Macron se rend à Evry-Courcouronnes.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico: Il va y rencontrer une France qui semblait avoir disparue de l'agenda politique depuis quelques semaines, celle des zones périurbaines et des banlieues. Il serait tentant d'opposer cette France des cités, des "quartiers", de la banlieue à la France périphérique. Existe-t-il un lien entre la France des Gilets jaunes et celle des périphéries urbaines ?

Bruno Cautrès: La plupart des analyses réalisées par les géographes ou les spécialistes de géographie électorale montrent que la répartition du mouvement a reflété, en tout cas à ses débuts, une série d’oppositions et de clivages territoriaux profonds. Dès le début, Hervé le Bras avançait que la carte de la mobilisation correspondait aux zones de France les moins peuplées, la « diagonale du vide », s’étendant des Ardennes aux Hautes-Pyrénées. Il indiquait d’ailleurs que cette répartition géographique couvrait deux types de territoires ; le rural délaissé et le péri-urbain, des anciens départements ruraux à une cinquantaine de kilomètres de Paris. Le trait d’union entre des territoires isolés et de territoires peri-urbains était la question des déplacements domicile-travail. Plus récemment, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach ont analysé eux-aussi la mobilisation de départ (17 novembre) et parviennent au même constat : c’est le rapport qu’entretiennent les territoires avec la voiture qui été la clef de voute de la mobilisation de départ et notamment pour la grande périphérie des principales métropoles. On peut citer la Seine-et-Marne mais aussi le Nord de l’Isère ou le sud de l’Ain comme des exemples de ces territoires. Ils citent également les grands axes de circulation que sont la vallée du Rhône ou de la Garonne, de la Seine ou la Loire. Enfin, ils notent aussi, comme Hervé Le Bras, les zones rurales « excentrées » avec des actions dans des villages et de petites villes peu habitués aux mobilisations politiques ou syndicales. On voit donc que les périphéries urbaines constituent bien un des foyers du mouvement même s’il faut prendre soin de définir ce que l’on entend par « périphérie urbaine » : l’étalement urbain, c’est-à-dire la densification d’espaces situés autour du cœur de la ville ou de la métropole.

Serait-il dès lors possible de jouer la carte "France périurbaine" contre "France périphérique" ?

Je ne suis pas sûr que cette opposition soit pertinente ici. Le concept de « France périphérique », particulièrement popularisé par les travaux de Christophe Guilluy est basé sur une opposition un peu binaire entre une France des métropoles (où se concentrent les richesses et les emplois qualifiés) et une France frappée par la désertification des emplois: petites et moyennes villes et zones rurales, la « France périphérique » vers laquelle seraient reléguées les classes moyennes en déclin social et les milieux populaires. L’opposition recouvre en partie le conflit entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation. Les géographes ne sont pas tous d’accord avec cette approche et font également remarquer que les emplois peu qualifiés, la précarité et les inégalités sociales sont aussi présentes dans les métropoles et parfois même dans leurs centres. On peut plutôt voir dans le mouvement des gilets jaunes une explosion liée aux inégalités sociales et à la double question pouvoir d’achat/justice fiscale ; cette explosion a été d’autant plus forte dans les territoires où l’on compte beaucoup de « pendulaires », des personnes dont la vie sociale, familiale et professionnelle est très dépendante de la voiture. Ces personnes vivent dans différents territoires mais surtout aux périphéries des grandes métropoles et en rural profond.

La façon dont nous percevons ces territoires et la diversité sociale qu'ils recouvrent peut être problématique. La vision qu'en donne Emmanuel Macron est-elle proche de la réalité ?

Emmanuel Macron n’a pas, pour le moment en tout cas, mis ce dossier en haut de la pile des dossiers prioritaires. Il avait « retoqué » le plan ambitieux, mais très budgétivore, qu’avait préparé Jean-Louis Borloo. Il avait alors indiqué qu’il ne fallait plus faire comme « avant » c’est-à-dire traiter la question du développement péri-urbain à coup de grands plans et d’infrastructures. Mais il n’avait pas non plus précisé avec beaucoup de détails son plan alternatif. Il a pourtant confié le portefeuille ministériel de la ville et du logement à un jeune talent de la macronie, Julien Denormandie qui a porté la loi Elan (pour l’évolution du logement, l’aménagement et le numérique). Jean-Louis Borloo avait axé son plan sur les « quartiers sensibles » et avait évoqué l’absolue nécessité d’une « réconciliation nationale » et territoriale en France, on voit qu’il s’agissait d’une approche beaucoup plus globale et sans doute beaucoup plus ambitieuse. Pour le moment, je ne parlerais pas d’une « vision » développée par Emmanuel Macron sur la question des banlieues spécifiquement. Son approche est en fait insérée dans la thématique plus large de la mobilité et « l’émancipation » vis-à-vis de l’assignation à résidence. On aurait pu s’attendre à ce que ces questions soient le pivot et le centre de son action car la question du désenclavement et de la mobilité structure fortement son discours, en tout cas du temps de la campagne électorale. Cette tonalité est, me semble t’il, moins présente dans ses discours de Président qu’elle ne l’était dans ses discours de candidat.

Emmanuel Macron insiste souvent sur son ambition pour les banlieues, notamment quand il avait parlé de la Seine-Saint Denis comme "laboratoire de la start-up nation". Cependant comment celles-ci perçoivent-elles l'action du Président ?

Il existe sans doute une déception, voire une grande déception, des acteurs de la politique de la ville et des banlieues vis-à-vis d’Emmanuel Macron pour le moment. La « start-up nation » est une belle formule, prometteuse et sans aucun doute porteuse de projets positifs pour les jeunes générations vivant en France. Mais pour le moment, ce beau projet ne se traduit pas vraiment dans des modifications spectaculaires pour ceux qui vivent à la périphérie des grandes métropoles. Je ne suis pas sûr que la Seine-Saint-Denis ait vu, pour le moment, sa situation sociale et économique bouleversée…

 Le sujet des zones périurbaines avait été particulièrement évoqué lors de la présentation avortée du plan Borloo pour les villes. La grogne des maires avait été terrible par la suite. Emmanuel Macron ne prend-il pas un risque en écartant tout décisionnaire entre lui et l'action politique dans ces espaces ? Que sait-on de ses relais ?

Oui et l’on a bien vu que ce risque a fini par arriver… La politique c’est beaucoup de lien. Dans le tissage complexe du lien politique, les acteurs locaux (élus locaux, associations, société civile), jouent un rôle crucial. Leur rôle est d’autant plus important que tout est devenu comme un gigantesque « streaming permanent » : une information, une actualité, un évènement, une annonce gouvernementale, en chasse une autre. Nous sommes submergés par le flux incessant de déclarations gouvernementales et surtout présidentielles : il devient très difficile à un moment donné de s’y retrouver, de savoir si tel plan, telle annonce, telle politique publique a été mise ou œuvre ou pas. On constate souvent que des ministres sont obligés de rappeler que des dispositifs existent, beaucoup de choses passent inaperçues ou sont à peine audibles. Si les acteurs publics et politiques intermédiaires ne sont pas impliqués ou sont mis à l’écart, alors cela devient très compliqué pour le pouvoir, voire très dangereux.

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