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Pourquoi la France a digéré le terrorisme mais pas les djihadistes
©LUDOVIC MARIN / AFP

Terrorisme

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet a confirmé que 130 djihadistes devraient bientôt être rapatriés de Syrie. Selon la ministre, 75% des détenus retenus dans les camps kurdes seraient des mineurs. Les majeurs, eux, feront l'objet d'interpellations à leur arrivée.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico :  Le retour des djihadistes français transférés notamment par les Kurdes sur le territoire français nous pousse à considérer deux options: la première consisterait à aller jusqu'au bout d'une logique de "guerre contre le terrorisme" pour reprendre les mots de François Hollande et à traiter ces prisonniers "spéciaux" avec une particularité (mais comment faire, avec l'aide de quels dispositifs? Un "Guantanamo" français est-il si aberrant ?). La deuxième opterait pour une version plus optimiste, dans une société capable de digérer ces anciens détenus terroristes dangereux et pousserait à considérer des conditions de résidence "normales". Quels seraient les avantages et les inconvénients de ces deux options ?  

Guillaume Jeanson : Dire que l’expérience de Guantanamo n’a pas honoré les autorités américaines est évidemment une litote. Pour mémoire, six personnes de nationalité française y ont été incarcérées. Elles ont été libérées entre juillet 2004 et mars 2005 et ont alors été renvoyées en France ou elles ont été placées en détention provisoire. Une première tentative de procès s’est tenue en 2006. Il a été repoussé pour des problèmes de procédure à 2007. Pour résumer grossièrement, condamnés pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, elles ont alors écopé autours de quatre à cinq années de prison dont les trois quarts assortis d’un sursis. Elles ont interjeté appel de leur condamnation et ont alors tous été relaxées pour vice de procédure devant la cour d’appel. Ce petit rappel illustre assez clairement deux extrêmes. D’une part, des conditions inhumaines et dégradantes qui ont choqué le monde entier et d’autre part un juridisme pointilleux aux conséquences particulièrement généreuses pour des personnes dont la dangerosité mériterait peut-être qu’on y regarde à deux fois. Des conséquences qui, nous le remarquons au quotidien, peinent en outre à être bien comprises, en dehors des rangs des professionnels du droit. 

Non je ne suis pas pour un Guantanamo à la française. Pour autant, je suis pour qu’on améliore au plus vite notre système actuel en nous dotant de moyens conséquents. D’abord construire des places de prison réellement étanches. Faut-il rappeler que le président actuel s’était fait notamment élire sur la promesse de construire 15.000 nouvelles places de prison, et qu’après un premier reniement en mars dernier ramenant ce chiffre à 7.000, le Figaro a révélé à l’automne dernier que seules 3.000 places seraient vraisemblablement construites au cours de ce quinquennat ? Un bilan qui, sur ce point, mériterait pour Nicole Belloubet, actuelle garde des Sceaux d’être rapproché de celui de Christiane Taubira. Arrêtons-nous à cet égard un instant sur les éléments de langage du pouvoir avancés pour tenter de justifier ce reniement. Il a été prétendu honteusement que cette promesse serait quand même tenue, mais sur deux quinquennats au lieu d’un seul… Un tour de passe-passe rhétorique assez grotesque pour qui se souvient que cette promesse portait bien littéralement dans le programme LREM sur 15.000 places en 5 ans et pour qui s’autorise de surcroît à douter de l’évidence d’une telle réélection en 2022 - ce qui aurait alors, pour ces derniers, l’intérêt de pouvoir imputer l’absence de réalisation d’un tel programme de construction à leurs successeurs…

Le problème tient de plus au fait que la plupart de ces nouvelles places de prison seront construites pour des quartiers de préparation à la sortie. C’est à dire des structures très légères. Si nous nous sommes toujours prononcés en faveur d’un parc carcéral diversifié (incluant bien sûr les structures les plus légères et responsabilisantes -sur le modèle notamment de la prison Corse de Casabianda, rebaptisée par certains « prison ouverte » et trop peu développées à ce jour en France), on ne peut pas non plus raisonnablement faire l’économie avec la menace terroriste, à l’inverse, de prisons avec un niveau de sécurité élevé. Il faut absolument des prisons disposant des moyens réels pour qu’une étanchéité réelle y soit assurée. A en croire, les parquetiers de l’anti-terrorisme, elles sont bien trop rares aujourd’hui . Nous pourrions notamment nous inspirer du modèle existant en Italie sous l’expression de « 41bis », ce régime de détention particulièrement strict qui n’a pas son équivalent en France, mais qui a néanmoins toujours été jugé compatible avec les exigences de la cour européenne des droits de l’homme. Un régime développé pour les mafieux et les terroristes qui accroît sur eux la surveillance et l’isolement. 

Pour votre deuxième option, et puisque vous évoquiez Guantanamo, il n’est peut-être pas inutile de se souvenir qu’en janvier 2009, le département de la défense américain avait annoncé que 61 des détenus de Guantanamo avaient repris le combat à leur sortie et que parmi eux, dix-huit s’adonnaient à nouveau à des activités terroristes. Tous les spécialistes du terrorisme le savent, la question du désengagement de ces profils est particulièrement délicate. David Thomson, qu’on ne présente plus, l’a lui-même répété : on n’a aucun moyen d’être sûr de leur repentir, encore moins avec la pratique de la taquiya. Il n’est pas avare en exemples. Citons ici au moins ces personnes montées au pinacle lors des tâtonnements de la « déradicalisation » qui, après avoir été exposées sur les plateaux TV comme modèles de réussite des politiques naïves et couteuses de l’ère Hollande, sont finalement reparties une nouvelle fois rejoindre Daech peu après… Quelles seraient alors ces conditions de résidence « normales » que vous évoquez ? Derrière les murs, au contact des autres détenus qui, séduits par l’aura de ceux qui ont connu la guerre, auront tôt fait d’être embrigadés pour commettre d’autres atrocités ? Ou, à l’extérieur des murs, moyennant des dispositifs de sécurité électronique du même acabit que ceux portés par Adel Kermiche le jour où il a assassiné lâchement le père Hamel à Saint Etienne du Rouvray ? Gardons bien en tête que beaucoup sont rentrés de Syrie déçus mais non repentis. Que beaucoup pensent avoir perdu une bataille et non la guerre. Sans verser dans les excès répugnants des américains, la vigilance doit donc impérativement être de mise. 

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