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Pourquoi un taux de croissance à 1,5% ne bénéficie mécaniquement qu’à la France qui va déjà bien
©ERIC PIERMONT / AFP

Et les Gilets jaunes alors ?

Suite à la publication par l’INSEE d’un chiffre de croissance de 1,5% pour l'année 2018, Bruno Le Maire a déclaré y voir une preuve que la politique économique mise en place « fonctionne » alors même que le chiffre de l’année précédente était de 2,3%.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico: Dans quelle mesure peut-on estimer comment une croissance de 1,5% se répartit dans la population en fonction des déciles de niveau de vie ? Une telle croissance est-elle suffisante pour qu’elle soit partagée par tous ?

Michel Ruimy : La croissance du Produit intérieur brut (PIB) est traditionnellement présentée par les décideurs économiques et politiques comme la condition du progrès social. Il existerait une corrélation entre la croissance et le bien-être.

Or, le calcul du PIB repose sur l’enregistrement comptable des transactions économiques matérialisées par une facture ou un ticket de caisse. Il est un indicateur aveugle car l’enregistrement des factures ne permet pas, de manière générale, de connaître précisément les bénéficiaires de la croissance, quelle que soit la zone géographique.

En revanche, l’INSEE répartit les individus selon leur niveau de vie en les classant par décile - des 10 % les plus pauvres aux 10 % les plus riches - et calcule la composition moyenne du revenu de chaque tranche.

Les individus à revenus modestes, en gros 30% de la population, ont un niveau de vie mensuel inférieur à 1 450 euros environ et un revenu disponible c’est-à-dire comprenant des revenus de transferts comme certaines aides ou allocations, aux alentours de 1 750 euros.

La « classe moyenne », environ 50% de la population, a un revenu disponible moyen de 2 775 euros par mois. Les revenus d’activité représentent, entre les deux tiers et 80% du revenu disponible, les prestations sociales un peu moins de 10% et les impôts directs représentent environ 15%.

Les individus aisés, près de 10 % de la population, ont un revenu disponible moyen de plus de 4 600 euros mensuels. La part des revenus d’activité dans le revenu disponible est de plus de 80%, celle des prestations sociales est faible et les impôts directs pèsent pour près de 20%.

Enfin, pour les hauts revenus, ils ont un revenu disponible moyen supérieur à 63 500 euros. La part des revenus du patrimoine est la plus importante pour cette catégorie (25 % environ contre 10 % en moyenne pour l’ensemble des ménages). C’est sur cette catégorie que l’effort lié à la redistribution au profit des plus modestes est le plus fort, les impôts directs payés par ces hauts revenus absorbant près de 30% de leur revenu disponible, alors que les prestations sociales perçues n’en représentent que 0,5 %.

En croisant ces deux critères, nous décelons une France qui fait un grand écart au plan économique : une France qui représente la croissance, généralement autour des grandes villes, une France qui fait référence à la crise, dans les campagnes, et une France du milieu, très réduite.

Concernant la croissance économique française 2018, elle a nettement ralenti en raison de l’essoufflement de l’activité mondiale, de la faible consommation domestique mais aussi au calendrier fiscal du gouvernement, qui a fait passer les hausses d’impôts avant les allègements fiscaux. La France est une économie ouverte sur le reste du monde comme tout pays développé moderne mais dans l’analyse de la conjoncture, la consommation est toujours le facteur déterminant de la trajectoire. Au dernier trimestre 2018, les dépenses de consommation des ménages ont fortement ralenti, affichant une croissance nulle contre 0,4% au trimestre précédent.

Sur l’année, le ralentissement de l’activité est très marqué si on compare cette situation à celle de 2017. C’est une source d'inquiétude pour 2019 car le pays n’est toujours pas sorti de la crise des « gilets jaunes » d’autant que le chiffre de 1,5% s’explique, pour une grande part, par l’acquis de croissance hérité de 2017. Sur la seule année 2018, la croissance n’a pas dépassé 1%. C’est une dynamique vraiment faible qui fait planer un doute sur la capacité de rebond de l’économie française, dans le contexte actuel.

À partir de quel niveau de croissance se mettrait en place une irrigation plus « équitable » des richesses produites ?

Nous sommes à un seuil « particulier ». Ce taux de 1,5% est le seuil minimum à partir duquel la croissance peut faire baisser le chômage. Il dépend de la productivité de l’économie : plus les salariés sont efficaces, plus la croissance doit être forte pour créer des emplois. Une productivité en hausse de 1% sur un an nécessite une croissance du PIB au moins égale à 1% pour que l’économie crée des emplois.

Toutefois, il n’y a pas de consensus total sur ce chiffre parce que la croissance de la productivité est difficile à mesurer. En effet, d’autres facteurs contribuent à relativiser ce seuil fatidique. L’emploi à temps partiel, en ce qu’il est une façon de partager le travail, contribue à réduire le nombre de chômeurs pour un taux de croissance donné, mais au détriment de la qualité de l’emploi. Créés sur deniers publics, les emplois aidés peuvent, par exemple, faire baisser le chômage sans croissance. De même, l’Allemagne, en créant des « mini-jobs » peu rémunérés a, par exemple, remis sur le marché du travail des personnes, moins qualifiés, qui en étaient, jusque-là, exclues. Ses gains de productivité ont, de fait, diminué. Ainsi, en encourageant l’emploi des personnes les moins qualifiés aux dépens des plus qualifiées, ces politiques contribuent à diminuer les gains de productivité, et donc le seuil à partir duquel l’économie crée des emplois.

Même si comparé à la croissance de l’Allemagne, la France enregistre une évolution tout à fait parallèle, ce taux de croissance est insuffisant pour relancer vigoureusement l’activité d’autant qu’il s’est infléchi. Quant à l’Espagne, elle fait beaucoup mieux que nous avec 2,5%. Il est vrai qu’elle avait connu une dépression beaucoup plus profonde que la France et, donc, elle rebondit davantage. En Italie, en revanche, il est tout à fait possible que ce pays soit en récession les deux derniers trimestres de 2018. Au total, ce ralentissement se produit dans un contexte international qui n’est pas bon : nous sommes dans un ralentissement mondial. La vraie anomalie reste que l’Europe n’a pas réussi à avoir de franche reprise, notamment la zone euro.

Peut-on estimer que nos dirigeants sont conscients de cette discrimination « sourde » de la croissance en fonction des niveaux de vie ?

En fait, le chiffre de la croissance traduit une cassure : une consommation qui patine - elle a augmenté, sur l’année 2018, de 0,8% seulement, niveau proche de celui observé en période d'austérité -, un chômage qui peine à refluer, un investissement global qui ralentit en raison de la baisse de l’investissement des ménages... En douze mois, le climat a clairement changé. Il y a un an, personne n'imaginait une telle cassure.

Les dernières mesures en faveur du pouvoir d’achat devraient être un relais de croissance et donc une possibilité de rebond. Mais, le climat social n’est toujours pas revenu à la normale et il y a toujours un point d’interrogation. Il faut donc appeler à la prudence concernant 2019. On pourrait s’attendre à un effet de rattrapage mais tout va dépendre de ce qui va se passer dans les prochains mois car, jusqu'à présent, les gains de pouvoir d'achat se sont traduits par une hausse de l’épargne et non de la consommation

Si on fait le bilan des années 2018-2019 des mesures d’Emmanuel Macron, il y a des gagnants et des perdants même parmi les personnes les plus pauvres. Un tiers des 5% les plus pauvres sont les perdants en 2018. Ce n’est pas surprenant car les « mesures Macron » sont destinées aux actifs. Or, il y a beaucoup d’inactifs dans cette catégorie et aussi peu de bénéficiaires de la prime d’activité.

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