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Cinq choses qui mettent bien plus en cause la crédibilité du gouvernement que la participation de Marlène Schiappa à l'émission de Cyril Hanouna
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Touche pas à mon poste de ministre

Si l'annonce de la participation de Marlène Schiappa à l'émission de Cyril Hanouna dans le cadre du Grand Débat a suscité un tollé, le mal est plus profond.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico: Alors que la crédibilité du gouvernement est mise en cause par certains par la participation de Marlene Schiappa à l'émission de Cyril Hanouna, ne peut-on pas voir d'autres sujets, autrement plus important, qui pourraient venir ternir cette crédibilité du gouvernement ? 

1-Concernant la stratégie d'intimidation morale développée par Emmanuel Macron

Eric Verhaeghe: La stratégie d'intimidation menée par Emmanuel Macron n'est pas seulement morale. Elle est aussi très physique. De ce point de vue, je suis étonné de voir comment un certain nombre de médias mainstream ont fini par dénoncer eux-mêmes les violences policières qu'ils ont refusé de voir pendant plusieurs semaines. Les dizaines de "gueules cassées" à vie, du fait des balles de défense ou des grenades lacrymogènes lancées imprudemment par les forces de l'ordre ou avec l'intention de nuire, constitueront dans les prochaines semaines une épine dans le pied désagréable pour le Président. Après un réflexe sécuritaire largement nourri par la dénonciation des violences commises par les manifestants, beaucoup de Français comprennent qu'on ne leur a pas tout dit pendant ces samedis terribles, et que la police a frappé fort, et probablement trop fort. Les réseaux sociaux sont d'ailleurs truffés de séquences vidéos où l'on voit des violences choquantes et inutiles de la part de policiers sur des manifestants ou des manifestantes qu'il est difficile de qualifier de violents ou de séditieux. C'est le cas du pompier de Bordeaux touché en pleine tête par une balle en caoutchouc puis plongé dans un coma artificiel pour éviter le pire. La police a affirmé qu'il s'apprêtait à dévaliser un magasin. On peine à la croire. 

Ces éléments montrent que le pouvoir ne s'est pas laissé faire durant ces semaines d'agitation, et qu'un visage désagréable, sombre, assez peu bienveillant, d'Emmanuel Macron, s'est révélé. Il n'est pas seulement le jeune homme brillant qui aime passer le grand oral de l'ENA. Il est aussi capable de manier le bâton et le fer pour faire peur à ses opposants. Je suis assez convaincu que cette image-là le poursuivra longtemps et que, dans la durée, elle jouera contre lui. On lui reproche déjà beaucoup sa dureté, conjuguée à un étonnant laxisme lorsqu'il s'agit de ses amis. Ce reproche n'est pas prêt, à mon avis, de s'arranger. 

2- Le caporalisme perçu par la population des députés LREM et l'incapacité du groupe à gérer sa "diversité" comme cela est le cas pour Joachim Son-Forget ou Agnes Thill  

De fait, La République En Marche a un problème de consistance, d'autonomie de la pensée et de l'action vis-à-vis du Président de la République dont il ne faudrait pas sous-estimer l'impact en termes de déception. Emmanuel Macron avait vendu l'image d'un leader agile de start-up, capable conjuguer des talents différents, de mener une équipe par la collaboration et la conviction. Les Français s'aperçoivent qu'il est en réalité un petit chef à l'ancienne, incapable d'assurer une montée en compétences de talents autour de lui. Son culte de la personnalité oppose un terrible démenti à l'image que la légende médiatique avait forgé pour assurer son élection. Et comme vous le savez, quand une promesse aussi cruciale n'est pas tenue... le retour de boomerang est terrible. 

Sur ce point, la stratégie de LREM est incompréhensible. Dans les médias, on voit régulièrement apparaître des députés marcheurs qui sont des catastrophes ambulantes. Ils renvoient l'image d'une équipe de jeunes députés immatures, dociles, souvent bien nés et diplômés, mais incapables de penser par eux-mêmes et d'écouter ce que leur disent leurs concitoyens. Je ne sais pas qui les choisit pour apparaître dans les médias, mais ce choix est funeste. Je pense qu'on peut douter du charisme dégagé par Gilles Legendre lui-même, dont la bourde sur l'excès d'intelligence d'En Marche a constitué une terrible révélation dans l'opinion.

Là encore, de mon point de vue, les radars de Macron ne fonctionnent pas. Formellement, et compte tenu des intimidations dont En Marche est friande vis-à-vis des médias, les polémiques sont délibérément assourdies pour éviter de déplaire au prince. Du même coup, Macron n'a pas d'outil à vue pour mesurer les dégâts causés par ce genre d'incartade. Si l'on y ajoute, le climat de peur (notamment du fait des mises en garde à vue intempestives) ambiant, les langues se retiennent. Mais dans l'opinion, cette retenue ne fait qu'accroître la rancoeur devant cette arrogance, et consomme une rupture définitive entre les élus et le peuple. Et ce n'est pas la constitution à marche forcée d'une liste de gilets jaunes aux Européennes pour affaiblir le Rassemblement National et les autres qui modifiera durablement la donne. Ces vieilles techniques politiques ont vécu, et il est curieux que Macron y croit encore.  

3-La difficulté des membres du gouvernement à incarner une forme de mystique du pouvoir, alors qu'Emmanuel Macron est perçu comme en faisant "trop" en ce sens

Le culte de la personnalité dans lequel le macronisme s'est abimé avant même que le Président ne soit élu se paie effectivement très cher. Toutes les personnalités un peu consistantes capables d'épaissir les flancs d'Emmanuel Macron sont soit parties du gouvernement (on pense à Gérard Collomb, à François Bayrou, à Nicolas Hulot), soit mises entre parenthèses (on pense à Jean-Yves Le Drian). Ne reste plus que des personnalités qui gaffent dangereusement (on pense ici à François de Rugy absent du débat écologique, mais capable d'enchaîner des couacs comme sur les garants du Grand Débat), qui paraissent obsédées par des détails au détriment des priorités (comme ce fut le cas avec les 80 km/h d'Édouard Philippe, imposés à un moment où la croissance se réduisait sans qu'il n'en parle jamais), ou qui agacent par leur style personnel, trop agressif et bobo (on pense ici à Griveaux méprisant la France qui fume des clopes et qui roule en diesel, à Castaner pérorant devant des policiers en tenue après que l'ordre a sévèrement vacillé dans les rues de Paris, à Schiappa, bien entendu, qui constitue une sorte de paroxysme, mais aussi à Belloubet avec qui les syndicats avaient fini par refuser de discuter). Tout ceci est la conséquence directe de ce fameux, de ce terrible, de ce tyrannique culte de la personnalité qui obsède Emmanuel Macron. Tout se passe comme s'il voulait être seul à apparaître dans sa majorité, comme s'il entendait cannibaliser tous les sujets, toutes les idées. 

Sur ce point, il paie son manque de recul vis-à-vis de sa formation à Sciences Po et à l'ENA. Dans ces écoles, on cultive le chef tout-puissant, qui ne délègue rien et qui contrôle tout. Les bons énarques parviennent à comprendre assez vite la duperie. Dans quelques années, Emmanuel Macron mesurera peut-être lui-même le sens du mot "recul critique".  

4- La perte de sens commun, illustrée par la comparaison avec Galilée faite par Marlene Schiappa, pour sa participation à l'émission de Cyril Hanouna, exprimant son choix du "seul contre tous" 

Sur ce point, convenons qu'il y a un cas Schiappa, une sorte de caricature de la macronie et c'est précisément ce côté caricatural qui lui vaut d'être tant brocardée. Comme beaucoup de jeunes loups du régime, Marlène Schiappa rêve d'une promotion au sein du gouvernement, et elle ne ménage ni son temps ni sa peine pour l'obtenir. La différence avec ce qui pouvait exister il y a cinquante ou soixante ans, c'est que la promotion dans la macronie se joue beaucoup plus sur la courtisanerie que sur la compétence. Il faut plaire au prince, passer dans les médias, se montrer, se faire mousser pour avancer. On est revenu à la culture du ridicule sous Louis XVI. Il faut saturer l'espace public par la plus grande des dévotions vis-à-vis du pouvoir, en évitant de tomber dans le ridicule. La frontière est parfois mince entre les deux. Dans le cas de Marlène Schiappa, sa sortie sur le retour possible ou plausible de l'ISF lui a coûté très cher en termes d'estime du prince. Elle a donc des choses à se faire pardonner, et tout est bon pour se faire pardonner, y compris la caricature de soi-même, qu'on pourrait prendre au premier degré d'ailleurs (et je pense que c'est à ce niveau qu'il faut aborder le sujet). Pour une Schiappa, comme pour plusieurs autres dans la macronie, le Galilée moderne, le savant qui ose casser les codes, c'est effectivement le ministre qui va plastronner chez Hanouna. 

La culture de la macronie repose sur l'exaltation permanente de tout ce qu'on fait, de tout ce qu'on dit, de tout ce qu'on pense qui est, comme le chef le dit et le répète, la marque du combat de la civilisation contre la barbarie. C'est cette représentation grotesque de sa propre place dans l'histoire, cette glorification facile du moindre geste, cette théâtralisation de soi qui caractérise le mieux la génération qu'Emmanuel Macron a amené au pouvoir.  

5- L'ouverture du Grand Débat par le gouvernement tout en restreignant le champ de discussion possible

De mon point de vue, c'est la principale erreur qu'Emmanuel Macron ait commise. En voulant prendre la main sur le débat, en écartant par avance la question du retour de l'ISF, en le centrant sur lui et sur ses performances à l'oral, il a dénaturé l'exercice et laissé clairement entendre que le Débat n'existerait que s'il le servait. Dans l'hypothèse où le Débat devait exercer une influence négative sur son mandat, il s'arrangera manifestement pour l'étouffer ou le stériliser. Sur ce point, Macron, parce qu'il avait un besoin vital de gagner du temps, a reculé pour mieux sauter dans quelques semaines. Car si le bilan de ce Débat promeut le retour de l'ISF, la situation sera compliquée pour lui. Elle sera d'autant plus compliquée qu'à ce stade il a prévu sept participations personnelles où il entend bien saturer l'espace et apparaître comme le chef qui contrôle la situation, mais il n'a pas prévu de rencontrer des citoyens ordinaires, ni des Gilets Jaunes. Cette surdité affichée, ce souci de préserver un entre-soi, lui sera fortement reproché dans deux mois si les Français s'aperçoivent que leurs revendications ne sont pas entendues. À ce moment-là, le bilan des courses sera très simple à dresser. Soit Macron se plie à la vox populi, et il devra en rabattre sur son style personnel. Ce moment sera particulièrement douloureux si les Français censurent sa politique et lui demandent de revenir sur ses mesures fiscales en faveur des couches supérieures de revenus. Soit Macron refuse de l'entendre parce qu'elle lui déplaît, et le pire est à craindre. 

Personnellement, je crois possible un printemps français brutal et radical dans l'hypothèse où le Président chercherait à finasser avec son peuple. Mais le plus grand drame de Macron est probablement que plus personne dans son entourage n'est en position de le lui dire ou de le lui faire entendre. 

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