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Pourquoi la suppression de l’anonymat sur internet est une (très très) fausse bonne idée
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Bas les masques !

Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’une « levée progressive de toute forme d’anonymat » pour lutter contre les Fake News et les débordements sur Internet. Un serpent de mer politique, peu efficace, et inacceptable d’un point de vue pratique et philosophique.

Nicolas Moreau

Nicolas Moreau

Diplômé d'école de commerce, Nicolas Moreau a exercé en tant qu'auditeur pendant une décennie, auprès de nombreux acteurs publics, associatifs et privés.

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Le 18 janvier, lors du second épisode du grand débat national au palais des congrès de Souillac, Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’une « levée progressive de toute forme d’anonymat »  afin de poser les bases de ce qu’il nomme « l’hygiène démocratique du statut de l’information ». 

L’idée de lutter contre la violence verbale, les fausses informations et les menaces par une levée de l’anonymat sur la toile n’est pas nouvelle. Mais elle reste mauvaise.

Avant de commencer, il convient d’écarter le cas des Fake News. Celles-ci sont bien souvent le fait d’officines de déstabilisation basées à l’étranger, qui ne tomberont pas sous le coup d’une loi franco-française sur l’anonymat. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que leurs comptes soient créés et domiciliés en France pour que leurs contenus passent les frontières quasi-inexistantes de la toile pour être consultés chez nous. Et le gouvernement ne pourra pas poursuivre les utilisateurs français qui relaient ces Fake News, tant le nombre de ceux qui le font de bonne foi est grand, et tant la condamnation des autres impliquerait de faire le procès de leurs intentions.

La question de l’absence de frontières sur les réseaux sociaux est la même pour les utilisateurs créant des comptes et les utilisant en permanence depuis une adresse IP située à l’étranger. Celle-ci peut être obtenue grâce à l’usage d’un VPN, un logiciel simple d’accès simulant une présence hors de France.

La levée de l’anonymat ne règlera donc pas le cancer des Fake News. Les émetteurs de celles-ci sont trop souvent situés à l’étranger, à l’abri de nos lois, et il est presque impossible de juger ceux qui les relaient sans tomber dans des procès d’intention.

La loi n’aura donc un effet notable que sur les comportements agressifs ou menaçants, pour les utilisateurs basés en France n’utilisant pas de VPN. Et même sur ce périmètre réduit, l’idée de lever l’anonymat pose un certain nombre de problèmes, dont trois principaux.

D’abord, dans ce domaine, cibler les agresseurs c’est surtout affaiblir les agressés. 

L’idée de départ est de penser qu’une fois leur anonymat levé, les agresseurs à découvert n’oseront plus se déchainer. Or il n’est pas d’autorité sans force pour la faire appliquer, et il est malheureusement de notoriété publique que nos policiers sont débordés.  L’efficacité de la mesure ne repose donc pas sur la répression autoritaire et implacable des agresseurs, mais sur une peur du gendarme de plus en plus réduite. L’incidence sur l’agressivité ambiante serait limitée.

En revanche, dans ce contexte, l’anonymat protège mieux les agressés qu’une Police débordée et sous financée. En cela, en souhaitant protéger les agressés, l’Etat ferait au contraire tomber leur meilleure protection, sans pour autant compenser cette perte par une force de frappe adéquate contre les agresseurs. Assez pour réduire au silence les agressés que l’anonymat protège : opposants et exilés politiques, apostats de l’islam, homosexuels cachés, etc. 

Ensuite, le maintien de l’anonymat permet de conserver les nombreuses contributions d’experts ou d’autres utilisateurs de qualité, qui ne peuvent être livrées que de cette manière, soit par devoir de réserve, soit à cause des risques qui pèsent sur tout utilisateur aujourd’hui.

Exprimer ses opinions sous son vrai nom n’est pas un luxe offert à tous. Les lynchages nominatifs qui débordent sur la vie personnelle et professionnelle sont monnaie courante sur les réseaux. Un mauvais mot, un mauvais procès d’intention, un bon avis qui dérange, et vos parents sont menacés, votre employeur est contacté, votre passé est fouillé et n’importe quelle aspérité est sortie de son contexte pour être exploitée contre vous.

Face à de tels risques, les utilisateurs sont face à un calcul, évaluant ce qu’ils ont à gagner à s’exprimer, et ce qu’ils ont à perdre si les réseaux s’en viennent les lyncher. L’anonymat rééquilibre ce calcul, en réduisant drastiquement les risques de voir des détracteurs passer des insultes virtuelles aux menaces concrètes dans la vie réelle, qui prennent souvent la forme de pressions professionnelles. En cela, il permet d’encourager l’expression de contributeurs de qualité qui auraient à perdre à le faire.

Enfin, il est essentiel que toutes les opinions puissent être librement exprimées, même celles qui sont portées par les agresseurs. Or, l’anonymat favorise l’expression de ces opinions. Dans la tradition philosophique libérale, la liberté d’expression emporte trois avantages principaux. Elle permet la recherche de la vérité (toutes les opinions devant être exprimées et discutées pour en isoler la part de vérité à retenir et la part d’erreur à écarter), elle permet l’épanouissement personnel, et elle est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. En cela, la meilleure arme pour détruire les fausses opinions et les fausses informations reste la raison, et non pas la coercition. Si l’expression de certaines opinions est limitée, la société entière y perd en recherche de la vérité, en épanouissement personnel et en qualité de sa démocratie. 

Ainsi, l’idée de lever progressivement l’anonymat pose des problèmes techniques et philosophiques. Elle est contournable pour les comptes situés à l’étranger, elle est peu efficace sur les Fake News, elle menace les agressés et les contributeurs de qualité que l’anonymat protège, et elle menace les conditions du débat démocratique et de la recherche de vérité. 

Pire encore, elle pousse à l’autocensure, à l’heure où cette liberté d’expression est attaquée de toutes parts. Au final, les réseaux sociaux risquent de devenir de grands LinkedIn aseptisés, royaumes du politiquement correct, de la réalité alternative, et du mensonge perpétuel. Un monde hors du monde, sans saveur, sans intérêt, sans vérité, où évoluent des contributeurs effrayés en représentation permanente.

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