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Croissance en berne : la Chine devient elle-même son pire ennemi économique ?
©Greg Baker / AFP

Politique économique inadaptée

« Quand la Chine ralentira, est-ce que le monde plongera ? » : c’est la question du jour pour les marchés financiers.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Alors que la Chine se trouve confrontée à un ralentissement progressif de son économie, dans quelle mesure peut-on considérer que cette situation découle des choix du pouvoir, notamment en ce qui concerne la démographie et la productivité ? 

Jean-Paul Betbèze : Ma réponse va s’inspirer de mon livre qui vient de sortir : Entre Chine et France : des routes de toutes les couleurs !, avec une préface de Jean-Pierre Raffarin (Ginkgo éditeur, traduction anglaise publiée, en mandarin en cours). Il s’agit d’essayer de comprendre ce qui arrive en Chine, et dans quelle mesure des solutions communes, et partielles, pourraient être trouvées entre les deux pays (Chine et France) pour avoir plus de croissance et d’emploi. De fait, la situation, chez chacun d’eux, est complexe, et grave – hors les différences de tailles et de choix politiques. Donc, selon moi, les « solutions » ne peuvent être directes et immédiates, mais doivent chercher des terrains communs.

Alors : « Quand la Chine ralentira, est-ce que le monde plongera ? ». C’est la question du jour pour les marchés financiers. De fait, la croissance chinoise passe officiellement au-dessous de 6,5%, le chiffre prévu par le Parti. A 6,4%, c’est donc sérieux. Les bourses chinoises décalent, entrainant à la baisse les bourses mondiales. 

Pour expliquer la situation chinoise, les raisons sont multiples. A court terme, c’est évidemment l’offensive de Donald Trump qui freine la croissance chinoise par l’export (quotas, normes et tarifs douaniers) et, plus profondément, essaye de bloquer les avancées technologiques chinoises (arrêt de l’immigration dans les centres de recherche américains, surveillance des sociétés high tech, Huawei…). A moyen et long terme, la Chine paye les effets de sa politique d’enfant unique (en fait un garçon) et de rattrapage forcé par l’exportation, avec des entreprises immenses. Certes, elles montent en gamme (et en salaire), du textile aux calculateurs et autres appareils électronique, mais ce n’est pas possible partout, ni pour tous. La Chine explore ainsi « l’autre face de la lune », dans une approche technique, et symbolique – mais ça ne résout pas tout !

Les choix du pouvoir ont ainsi mené à une réduction de la population des campagnes, à une urbanisation rapide, couplée à une industrialisation rapide elle aussi, et à un vieillissement sans égal de la population. La croissance s’est longtemps faite par le nombre, les bas salaires et les marchés extérieurs. Mais les derniers projets montrent qu’un changement majeur est en cours (« programme 2025 » et « B&R Initiative ») pour monter en gamme et essayer d’étendre et de solidifier de nouveaux marchés extérieurs. La Chine est en train de bien comprendre que sa croissance forte avec et grâce aux États-Unis ne peut durer, d’abord parce que les USA changent avec Trump et surtout parce que la crise de 2008 montre leur fragilité. Une Chine qui vieillit très vite sans avoir la productivité qu’il faut, dans un monde où le débouché américain se tarit, c’est bien la preuve des limites de la stratégie antérieure (et remarquable) de rattrapage, côtés offre et demande.

La Chine est donc en train de réagir, mais ce n’est pas facile. La crise financière de 2008 lui a surtout montré les fragilités financières de son client, qu’elle finance : un effet miroir. Le forcing de Trump lui montre maintenant qu’il faut aller plus vite, et ailleurs. Ce qui accentue, aussi, ses limites, mais ne peut faire passer sous silence l’avantage d’un marché interne énorme et d’une économie « illibérale ». Elle peut endurer le ralentissement et son épargne interne est immense.

Quelles sont les faiblesses structurelles chinoises qui pourraient s’avérer être des freins à un retournement de tendance, notamment sur les questions de technologie et de productivité ?

Les raisons sont multiples pour expliquer les difficultés chinoises : importance du secteur public et de dépenses immobilières pour « créer » de l’emploi, au risque de « créer » aussi des villes et appartements vides. On parle beaucoup de l’endettement chinois, pas seulement celui de l’état mais aussi des régions et des municipalités (peu ou mal comptabilisé), plus des ménages et des entreprises publiques. Nul ne sait exactement l’importance des crédits compromis et donc du risque financier du freinage actuel, plus des réactions politiques de faire plus de dépenses publiques et de soutenir le crédit ! Au fond, il y a un risque financier majeur derrière ce ralentissement, plus celui des politiques monétaires destiné à le contrer.

Dans ce contexte, poursuivre les avancées technologiques chinoises est décisif, avec le financement et la recherche qui vont avec. Il ne s’agit pas seulement, pour la Chine, de développer son marché intérieur, mais aussi de le consolider, par la gestion de l’épargne (financement des retraites) et par des alliances technologiques, notamment en Europe. Mais c’est risqué.

Que peut faire le régime pour permettre un véritable changement en ce sens ? 

Trouver des alliés ! C’est un peu le sens de mon livre. La Chine a plusieurs fers au feu pour avancer dans plusieurs pays (on parle plus de cent) avec des projets matériels (infrastructures) et immatériels (recherche, brevets, normes), et les financements qui vont avec (on parle de 1 000 milliards de dollars). Mais les chantiers sont immenses, et partagés, et « partageables », si l’on pense à l’agriculture de qualité, à la lutte contre la pollution, au recyclage des déchets, aux énergies renouvelables, au traitement des sols et de l’eau…

L’extension par « les routes de la soie » ne peut suffire, si elle est seulement matérielle et moins encore non ou peu coopérative. Nombre d’experts américains pensent qu’une Chine illibérale n’y parviendra pas. C’est trop politique : c’est oublier que les économies illibérales obéissent, même si ceci a des limites et des effets pervers, et c’est oublier que la Chine a plus de capacités d’ingénieurs et de brevets que les États-Unis, bien plus d’épargne et une forte résilience.

Bref, les alliances sur des projets (et sans être naïfs) peuvent aider à permettre le changement chinois et offrir aussi des débouchés à nos savoirs et expertises. Sans parler ici guerre des étoiles, cybersécurité ou chips, de multiples possibilités existent. Bien sûr, ceci est stratégique et politique, mais la politique américaine qui consiste à mettre en risque financier la deuxième puissance du monde, avec l’idée de déstabiliser politiquement peut-être, l’est aussi. 

Bref la Chine ralentit, le monde aussi. A continuer ainsi sans échanges ni coopération, le multilatéralisme aura vécu, le libéralisme européen peut-être aussi. Il faut savoir ce que l’on veut.

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