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Choose France ou taxe Gafam tricolore : l’étrange schizophrénie
©ludovic MARIN / POOL / AFP

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Le sommet Choose France s'ouvre aujourd'hui à Versailles avec comme ambition d'attirer des investisseurs étrangers en France. Parallèlement Bruno Le Maire a annoncé que la France avait choisi d'instaurer une taxe GAFA sans attendre une solution européenne.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico: N'y a-t-il pas là un paradoxe entre cette volonté de taxer des entreprises étrangères au niveau national tout en souscrivant au monde globalisé en dressant le tapis rouge aux investisseurs ?

Sarah Guillou : La France est une terre d’accueil des investissements étrangers et se place toujours dans les trois premiers récipiendaires européens. La volonté d’augmenter ces investissements répond au souci d’augmenter les capacités de production et d’augmenter le capital et l’emploi en France. Pour rendre le territoire attractif, il faut en vanter les avantages et c’est l’objet de ces sommets. Mais il faut aussi disposer d’éléments d’attractivité et la fiscalité est un de ces éléments.  Il peut apparaître contradictoire alors de mettre en place une taxation à l’égard des géants du numérique qui rend plus restrictif le territoire français relativement aux autres.

En théorie, la taxe GAFA ne concernera pas que les entreprises étrangères. Elles seront multinationales et possiblement françaises. Mais en pratique les grands groupes réalisant plus de 25 millions de chiffre d’affaires en France et 750 millions dans le monde (les conditions annoncées) et ayant leur activité dans le numérique sont étrangers. Tout dépendra de la définition de l’activité numérique. En mettant en place cette taxe, la France se singularise car ses partenaires européens ont, soit échoué à la mettre en place (Italie, Espagne), soit l’ont reportée à plus tard (le Royaume-Uni à 2020).

Gouverner est une orchestration d’objectifs contradictoires et une bonne gouvernance doit créer une hiérarchie non conflictuelle entre ces objectifs, sauf à viser le statu-quo et l’inefficacité. Bien qu’en termes d'effet d’annonce et de philosophie, la contradiction est manifeste, la taxe vise une population d’entreprises restreinte qui ne concerne pas tous les investisseurs potentiels.

Le système européen a pour dogme absolu la concurrence, notamment interne. L'Europe ne s'affaiblit-elle pas elle-même en empêchant ainsi la création de "géants européens" comme dans le cas de la fusion Alstom-Siemens ? L'Europe ne devrait-elle pas se réformer sur ce point ?

La construction européenne s’est fondée sur l’idée d’une intégration du marché supposant une concurrence juste entre les acteurs et une absence de pouvoir de marché pouvant conduire à des abus. L’absence de concurrence est une entrave à l’innovation et s’avère préjudiciable au consommateur en raison des hausses de prix proportionnelles à la concentration du pouvoir de marché. Ce qui motive la direction de la concurrence de la Commission européenne est in fine la protection du consommateur tant de la qualité des produits consommés que des prix. Le mandat de cette direction n’est donc pas la création de champions européens. Quand on s’attaque à l’UE en lui reprochant d’être le promoteur des multinationales et du libéralisme, on ne peut pas lui reprocher aussi d’empêcher la création de monopoles européens. De plus, c’est par la voie de la régulation des aides publiques opérée par la direction de la concurrence que se contrôlent les abus d’optimisation fiscale aujourd’hui en Europe (par exemple le cas d’Apple, de Fiat, d’Engie) alors que l’harmonisation fiscale peine à avancer freinée par la règle de l’unanimité.

La direction de la concurrence est donc un contrepoids aux pouvoirs des multinationales. Mais là aussi, on peut voir une contradiction vis-à-vis de la nécessité de constituer des grandes entreprises européennes capables de concurrencer les géants chinois ou américains. Le risque étant que ceux-ci dominent le marché et écrasent à l’avenir les acteurs européens, ce qui finirait par être préjudiciables aux citoyens européens, autant travailleurs que consommateurs. Bien qu’historiquement, la création de champions européens a plutôt été entravée par les positions des Etats eux-mêmes que par la direction de la concurrence, il importe que cette dernière étende ses critères d’analyse des fusions en incluant l’emploi et la taille critique pour peser sur les marchés mondiaux. Il faut que son mandat en soit modifié.

Peut-on actuellement concilier zone économique intégrée, démocratie et souveraineté nationale ? Ne perd-t-on pas sur tous les tableaux à la fois en voulant faire les trois ?

Cela est en effet un triangle d’objectifs en théorie irréconciliables. En effet, la zone économique intégrée appelle d’intégrer ou disons de coordonner les politiques économiques, ce qui oblige à renoncer à une partie de la souveraineté nationale. Quand il n’y a pas de coordination, comme dans le cas de la fiscalité, c’est la zone économique intégrée qui en souffre. Une façon de rendre compatibles ces objectifs est de les faire appartenir à des niveaux de gouvernance différents. C’est ce qu’a tenté l’Europe. Ainsi le marché unique est gouverné par l’Europe et incontestablement les entreprises et les consommateurs y ont trouvé leur compte. La souveraineté nationale est conservée par les Etats membres dans de nombreux champs des choix publics et en premier lieu le modèle social et la fiscalité. La démocratie est-elle lésée par le processus de décision européen ? Le parlement européen est un organe élu et la Commission Européenne est le fruit de ces élections et des compromis entre les Etats membres. Donc l’Union Européenne n’est pas un déni de démocratie mais il y a clairement de l’espace pour des améliorations et  plus de transparence dans le processus bureaucratique. Pour cela, il faut sans doute que les questions européennes s’invitent plus souvent dans les débats nationaux.

Plus fondamentalement, le projet européen s’est construit dans la dialectique de ces trois objectifs. Le projet européen repose sur l’assemblage de volontés parfois contradictoires pour un objectif supérieur du vivre-ensemble et de partage de valeurs. Le projet économique – la zone intégrée -- est un des vecteurs de ce vivre ensemble. L’abandon d’un peu de souveraineté nationale est un gage d’adhésion au projet. C’est le présupposé de toute création collective que celui de renoncer à son individualisme.

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