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Modernisation et moralisation : les deux mamelles de la crise démocratique française
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Illusions

Pour Gérard Larcher, le non-cumul est en en train de construire une "déconnexion" entre le peuple et les responsables politiques. La moralisation de la vie publique, les primaires, le non-cumul des mandats ou encore, potentiellement, le grand débat, ont-ils contribué à améliorer la vie politique, ou au contraire à l'affaiblir ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  La moralisation de la vie publique, les primaires, le non-cumul des mandats ou encore, potentiellement, le grand débat, se veulent issu d'une volonté de modernisation de la démocratie. Ces outils, qui ont été testés ces dernières années (et on pourrait remonter jusqu'au choix du quinquennat), ne semblent cependant pas avoir réussi à renouer le lien entre le monde politique et les Français. En quoi peut-on - dans la façon dont ces outils ont été employés et au regard de leur manque d'efficacité - parler de gadgets, voire de vecteurs d'affaiblissements de notre démocratie ?

Jean Petaux : La question de l’évaluation des différentes transformations institutionnelles survenues en France depuis 18 ans doit être posée. Conçues et mises en place pour enrayer en quelque sorte la désaffection croissante des citoyens à l’égard des élus, pour combler le fossé existant ou faire au moins en sorte qu’il ne s’élargisse pas, toutes les réformes intervenues depuis le référendum du 24 septembre 2000 sur le quinquennat semblent avoir fait « long feu » et n’ont, en rien, amélioré les relations entre ces mêmes citoyens et ces mêmes élus. C’est sans doute que dans la recherche effrénée d’une démocratie perdue, ce n’était ni les bons moyens ni même les bonnes cibles.

Les réformes que vous mentionnez, « cosmétiques » pour certaines, « structurelles » pour d’autres, ont toutes été présentées comme étant destinées à moderniser la vie politique et surtout la pratique démocratique. En réalité, quand on les examine les unes après les autres, on constate que leur « mise à l’agenda » relève plutôt de la conjoncture et sont destinées, pour la plupart, à faire un « coup politique » ou à répondre à une « urgence » (cas des lois sur la moralisation de la vie publique toujours présentées après telle ou telle « affaire »). La rénovation de la démocratie n’est alors qu’une sorte de « toge prétexte », pour habiller, le plus souvent, une manœuvre politique plus ou moins opportune… Quand la défense de la démocratie (ou sa modernisation) est le paravent des arrière-cuisines politiques…

L’exemple du  référendum du 24 septembre 2000 entérinant la réduction du mandat présidentiel de deux années pour un « quinquennat » se substituant au « septennat » est un quasi-cas d’école. Le projet de révision de la durée du mandat présidentiel est presque un « serpent de mer » constitutionnel. Adopté en termes identiques par les deux chambres en 1973, le projet est porté par le président Pompidou. Il se sait déjà malade et on peut considérer qu’il s’agit plus d’une adaptation à une situation personnelle qu’autre chose. Surtout pas (car la question ne se pose pas alors) une quelconque rénovation de la pratique démocratique… Le texte n’est pas présenté au Congrès car la majorité des 3/5 susceptible de l’adopter n’est, à l’évidence, pas constituée. Il faut attendre 1995 pour que le candidat du PS, finaliste de la présidentielle, réinscrive à l’agenda politique cette réforme. Là on peut commencer à évoquer une forme de « modernisation » (le septennat présidentiel existe en France depuis 1873) mais le fait que ce soit le candidat socialiste qui réenclenche le processus est aussi une façon pour lui de « jouer à bandes » : prendre ses distances avec les deux septennats présidentiels de Mitterrand (dont il réclame d’ailleurs le droit d’inventaire…) et mettre la pression sur son concurrent du second tour. Celui-ci d’ailleurs, Jacques Chirac, favori, n’en veut pas, bien que se présentant comme le premier héritier « historique » de Georges Pompidou. En 1999, Valéry Giscard d’Estaing, le plus fidèle adversaire de Jacques Chirac depuis 23 ans, toujours attentif à mettre dans l’embarras celui qu’il ne considérera jamais autrement que comme « son » premier ministre, profite du fait que Chirac est en situation de cohabitation depuis 2 ans, pour ressortir le « quinquennat » de la naphtaline et, pour « faire moderne » à son tour, ringardisant ainsi le Président en place. Le résultat du référendum sur le quinquennat est, osons le mot, lamentable. Peu d’observateurs saisissent alors les conséquences à venir de cette séquence et sa dimension symptomatique. La participation est tout juste supérieure à 30% (30,69% des inscrits). L’abstention qui atteint 69,81% des inscrits est un record absolu pour un référendum. Même celui sur la Nouvelle-Calédonie, pourtant très loin des préoccupations des Français en 1988, a mobilisé plus d’électeurs :  36,89% (63,11% d’abstention). Le « Oui » en faveur du quinquennat l’emporte largement : 73,21% des suffrages exprimés, mais, rapportés aux électeurs inscrits, 7,4 millions de « Oui » correspondent tout juste à 18,54% du total des électeurs à même de voter. Voilà le résultat de cet épisode : la réduction du mandat présidentiel de deux années (qui était tout ce que l’on veut mais pas une petite réforme) a été adoptée dans une indifférence totale par moins d’un électeur inscrit sur cinq ! Comme si le corps électoral, dans une sorte de lucidité collectivement inconsciente, avait réalisé que la proposition du quinquennat n’était pas pour « plus de démocratie » mais une phase, parmi d’autres, de la querelle des droites, ou des tempêtes agitant une classe politique déjà coupée de son électorat. A moins qu’il ne faille y voir aussi la marque d’une inculture politique collective déjà problématique par son ampleur.

Toutes les autres modifications institutionnelles survenues depuis lors (limitation de plus en plus drastique pour arriver à une quasi-interdiction du cumul des mandats ; a fortiori la mécanique des primaires qui n’a fait l’objet d’aucune loi puisque du ressort des seules formations politiques ; parité femmes/hommes ; changements de modes de scrutin aux départementales de mars 2015 ou abaissement du seuil des listes bloquées aux municipales avec « fléchage » des élus qui siégeront dans les intercommunalités ; textes nombreux et successifs sur le patrimoine des élus ; le contrôle des comptes de campagne)  ont été adoptées par des lois simples ou une révision constitutionnelle (août 2008, adoptée d’une seule voix de majorité qualifiée par le Congrès). Elles n’ont pas donné lieu à une quelconque campagne électorale qui aurait permis, même a minima, un débat étendu à l’ensemble de la société. On peut dès lors sans risque, considérer qu’elles ont encore moins passionné les Français que le référendum sur le quinquennat dont on vient de voir qu’il s’est déroulé dans une suprême indifférence. La conclusion que l’on peut tirer de cette accumulation de réformes c’est que leur usage comme remèdes susceptibles de soigner ce « grand corps malade » que serait la démocratie représentative en France est aussi inapproprié que les saignées et les lavements qu’utilisaient les Diaforius au chevet du malade imaginaire de Molière.

Croire que la démocratie représentative peut être mieux perçue par les Français du fait de l’interdiction du cumul des mandats, voire, à brève échéance, par une interdiction du cumul dans le temps au-delà de trois mandats, c’est ne rien comprendre à l’état des sociétés post-modernes ou néo-libérales. Dans les faits les électeurs considèrent qu’il ne s’agit que de gadgets jetés en pâture au peuple pour essayer de gagner du temps. Alors que ce n’est pas du tout le cas par ailleurs. Car certaines de ces réformes sont loin d’être accessoires et minimes. Elles peuvent même porter en elles des dysfonctionnements considérables au regard des institutions conçues en 1958. Revenons au quinquennat. Si le constituant de 1958 maintien la durée du mandat présidentiel à sept ans, ce n’est pas par routine ou par paresse (ce n’était pas tout à fait les défauts du général de Gaulle et de Michel Debré) c’est  bien pour le « découpler », pour le différencier du mandat des députés (5 ans), des maires (6 ans), des sénateurs (9 ans). On commence, maintenant seulement, à prendre conscience, alors que les démagogues de tous poils s’en faisaient les chantres, que le fait d’interdire d’être « député-maire » est assez catastrophique, mettant les députés « hors-sol », élus certes dans des territoires mais sans les racines qui font qu’un maire est vraiment un élu local et localisé. Là où il ne faudrait « toucher à la Constitution que d’une main tremblante » selon la formule consacrée pour ne pas faire n’importe quoi au motif (éventuel) que le « peuple » le veut, on constate que certains apprentis sorciers s’y sont aventurés sans bien mesurer les conséquences de leurs « inspirations ». Favorable à la démocratie le « recalage » du calendrier électoral qui prévoit des législatives cinq ou six semaines après le second tour de la présidentielle ? Bien sûr que non. Ce dispositif conduit à élire une majorité écrasante et aux ordres qui ferait presque passer les députés-godillots du gaullisme triomphant pour des anars totalement indisciplinés. Favorisant la réappropriation des municipales par l’électorat les bulletins à deux listes, l’une pour l’élection à la mairie l’autre pour l’intercommunalité ? Bien sûr que non car combien d’électeurs n’y ont rien compris ?

L’attachement à la démocratie représentative, le fait qu’elle doit être légitime pour fonctionner, n’est pas une simple affaire de « cosmétologie ». Cet attachement ne peut se renforcer seulement par des gestes symboliques. Le soutien à la démocratie représentative, la seule qui fasse société et qui est synonyme de vie politique aujourd’hui (pas chez les Suisses du demi-canton d’Appenzell : 5.809 habitants où d’ailleurs les « machos » ont interdit aux femmes de voter jusque dans les années 1990, mais dans un Etat comme la France)  relève de l’éducation à la citoyenneté, de la connaissance dès le plus jeune âge des institutions, des missions de telles ou telles organisations, de l’acquisition d’une culture politique. Autant de traits qui font de vrais citoyens… A l’inverse, dans une société démocratique, un mouvement majoritairement composé d’individus qui déclarent aujourd’hui que c’est la première fois qu’ils manifestent à 55 ou 60 ans, ce n’est pas la preuve d’un regain ou d’un renouvellement démocratique, voire d’une colère jusqu’alors rentrée qui exploserait. C’est le symptôme que les passifs (les « chameaux » disait déjà de ceux-là le Nietzche d’ « Ainsi parlait Zarathoustra ») se réveillent sur le tard de leur vie citoyenne et ne font qu’ajouter ainsi au passif de cette société.

Le citoyen était néanmoins demandeur d'une démocratie plus à l'écoute, presque participative. Dès lors, qu'a-t-il manqué à ces outils démocratiques pour atteindre leur cible, pour répondre à leurs objectifs ?

Le citoyen ne demande rien. Puisqu’il demande tout et son contraire, il ne demande donc « rien de collectivement intelligible ».. C’est à leurs représentants de traduire ce que les citoyens demandent. Et si ceux-ci estiment que leur message a été mal entendu et mal traduit ils ont la possibilité, si une majorité d’entre eux en décident ainsi aux élections suivantes, de changer de représentants.

Le problème devient quasi-insoluble dans une société hyper-individualisée produit du néo-libéralisme et de la rupture technologique où chacun peut désormais se constituer « sa » radio, « son » journal, vivre dans « sa » tribu internet et son réseau social qu’il pense être le monde. Ici l’individu n’aime que lui, n’entend que lui, adore sa parole, est d’accord avec elle et ne cherche finalement qu’à entendre des autres que ce qu’il dit lui-même. La démocratie représentative, dans cette dimension et dans ce contexte, n’est plus envisagée comme un modèle régulé de gestion des conflits. Elle est destinée à être jetée avec l’eau du bain. Car « mon » représentant ne sera jamais aussi bien placé que moi pour savoir ce qui est bon pour moi. On peut toujours imaginer donner en pâture au « monstre doux » (belle expression de Rafaele Simone qui a écrit un ouvrage passionnant sur l’Italie de Berlusconi il y a dix ans, prémonitoire et tellement en phase avec ce qui se passe aujourd’hui dans nos sociétés européennes) des éléments destinés à apaiser Moloch ou à le rassasier : la durée du mandat des élus, leur temps d’exercice du pouvoir, les obliger à sa présenter quasiment « à poil » devant leurs électeurs, les empêcher d’embaucher leur fils ou leur fille quand tous les Français en situation de pouvoir le faire le font,  et finalement écraser les élus eux-mêmes, le monstre « prend » mais cela ne change rien…. Ce que la règle du « je » veut c’est que le vainqueur de ce jeu égotique soit toujours le « je ». Ce n’est donc pas qu’il a manqué quoi que ce soit aux outils démocratiques inventés, imaginés depuis 15 ans pour « donner la parole » aux « invisibles » ou guérir la démocratie de ses maux contemporains. Ces nouveaux outils n’ont pas enrayé la crise de la démocratie représentative parce qu’ils n’étaient pas conçus pour cela et surtout parce que cette crise est une crise sociétale et culturelle, avant d’être une crise de la représentation.

C’est la raison pour laquelle il serait plutôt urgent de cesser de jouer aux apprentis sorciers en n’ajoutant pas d’autres « inventions politiques thérapeutiques » aux dégâts déjà commis : le RIC ; le référendum révocatoire et même les « cahiers de doléances » dont on peut comprendre la fonction « expurgatoire » mais dont on ignore tout de la manière avec laquelle il va bien falloir intégrer les demandes qu’ils commencent à recueillir dans la « boite noire » du système politique en mal de « portiers » (gate-keepers) capables de les agréger, de les traduire et de les transmettre aux fins de traitement… On dira alors : « vous voyez bien que les cahiers de doléance n’ont pas permis à la démocratie de se rénover ». En oubliant qu’ils n’ont qu’un lointain rapport avec la démocratie représentative et que celle-ci demeure pourtant le meilleur moyen de faire de la politique.

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