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Comment les choix arbitraires des géants du web menacent la liberté d’expression
©KIMIHIRO HOSHINO / AFP

Bonnes feuilles

Maître Nicolas Gardères publie "Voyages d’un avocat au pays des infréquentables" aux Editions de l’Observatoire. La liste des clients de Nicolas Gardères n'est pas politiquement correcte. Il défend les libertés fondamentales et la possibilité d'exister et de s'exprimer. Extrait 2/2.

Nicolas Gardères

Nicolas Gardères

Nicolas Gardères est avocat au barreau de Paris et docteur en droit public. Spécialisé dans la défense des libertés fondamentales, il est par ailleurs maître de conférences à Sciences Po. Voyages d'un avocat au pays des infréquentables est son premier livre.

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En tout état de cause, Internet et les réseaux sociaux ont profondément et définitivement fait voler en éclats ce dispositif de soi‑disant protection, qui n’est au fond qu’un dispositif d’hygiène mentale. 

Chaque jour en France, des milliers de délits de presse sont perpétrés sur Internet. Injures, diffamations, incitations à la haine, contestations de crimes contre l’Humanité sont omniprésentes. Sur Facebook, sur Twitter, sur une myriade de sites internet, mais également dans les commentaires des lecteurs sous les articles des sites de journaux traditionnels (Le Monde, Le Figaro, Libération…). 

La poursuite de ces infractions, pourtant parfaitement caractérisées au regard de la loi de 1881, est bien évidemment matériellement inenvisageable. Il est ainsi possible, aujourd’hui en France, de publier quotidiennement des propos racistes, sans être poursuivi. 
Le rapport à l’expression publique s’en trouve bouleversé, tant relativement aux contours de sa propre expression, qu’à l’égard de son exposition aux propos des autres. Ainsi, plus que jamais, pénaliser l’expression est inutile. Comme le montre bien le flot de boue raciste que charrie Internet, la loi pénale n’empêche rien. 

Publier un post raciste sur Facebook depuis son salon équivaut, dans le rapport à la loi pénale, à fumer un joint sur son canapé : il faut vraiment le faire exprès pour avoir des ennuis. Sur les milliers de posts et commentaires racistes à l’encontre de l’apprentie chanteuse Mennel, de la Jeanne d’Arc métisse d’Orléans ou du fils Enthoven, combien de poursuites devant le tribunal correctionnel ? 

Il en découle un mépris de la loi pénale, systématiquement violée et systématiquement dénoncée, ainsi qu’une séparation infantilisante entre les grandes personnes, gens connus, vus à la télé, que l’on poursuit parfois pour des broutilles, et les petits anonymes du maximalisme ordurier qu’on laisse tranquilles. 

Le droit pénal de la presse est un droit adapté aux moyens de communication du xxe siècle, qui apparaît dérisoire aujourd’hui, à-l’heure‑d’Internet. Internet soulève d’ailleurs des problématiques spécifiques, qui font peser sur la liberté d’expression un risque d’une ampleur illimitée. En effet, que l’on déplore ou non l’existence de restrictions pénales sur l’expression, il n’est pas contestable que celles‑ci s’exercent dans le respect des règles de l’État de droit, c’est‑à‑dire notamment suivant les principes fondamentaux de la procédure pénale, le régime juridique de la loi 1881 sur la liberté de la presse et les droits de la défense. Or, sur la toile, il n’existe rien de tel. L’arbitraire y règne en maître et YouTube, Facebook ou Twitter suspendent ou suppriment les comptes des contrevenants aléatoires sans aucun discernement ni aucun contrôle réel (comme les très rares actions en justice conduites à ce jour le démontrent). Que des sociétés privées fassent respecter leur règlement intérieur est entendu, mais les GAFA ne sont plus de simples sociétés privées se contentant de vendre des produits sur un marché. YouTube, Facebook et Twitter sont devenus les principaux canaux d’expression publique au monde. De ce fait, n’importe laquelle de ces sociétés a aujourd’hui plus de capacité à restreindre la liberté d’expression d’une population que ne l’a une démocratie libérale comme la France. Elles sont très tranquillement en train d’établir des sociétés parallèles totalitaires, au sein desquelles n’importe qui peut disparaître n’importe quand, virtuellement supprimé dans les caves de ces Loubiankas numériques.

En outre, ces souverains virtuels peuvent utilement collaborer avec les États, pour que ces derniers puissent exercer une censure que leurs ordres juridiques libéraux leur interdisent. La future loi sur les fake news vient d’ailleurs bien rappeler que l’État français n’a pas renoncé à sa mission de répression du discours et d’hygiène mentale. La suppression de pages Facebook de groupuscules d’extrême droite, comme récemment celle de Génération identitaire, a été acclamée par le gouvernement, ce qui laisse l’amer sentiment d’une externalisation, d’une privatisation de la censure. On a d’ailleurs appris mi‑octobre 2018 que le gouvernement français allait collaborer avec Facebook, pour « lutter contre la haine ». Nous y sommes donc et ce partenariat constitue certainement la plus grande menace imaginable pour la liberté d’expression de tous, très loin au‑delà des méchants censurés habituels. 

Inutile, le droit pénal de la presse est également contreproductif, en ce qu’il a le double effet d’auréoler d’une aura de « dissidence » (comme Soljenitsyne), de « résistance » (comme Jean Moulin), les faux martyrs de la liberté d’expression, et de nous déresponsabiliser collectivement. 

Ainsi, pour suppléer à notre paresse intellectuelle, à nos démissions, à notre médiocrité, il y a le juge pénal, ce méchant papa talochard. Ne combattons pas Soral ou Le Pen sur le champ idéologique, envoyons‑leur les flics !

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