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Mais pourquoi les Danois ou les Néerlandais parlent-ils mieux anglais que nous ? Indice : la réponse se trouve dans la télévision
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Saxon connection

La tradition de la traduction en français serait à l'origine du très mauvais niveau des Français dans la langue de Shakespeare.

Alda Mari

Alda Mari

Alda Mari est linguiste, directrice de recherche au CNRS, spécialisée en sémantique. 

Plus d'informations sur https://sites.google.com/site/ensaldamari/home/

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Atlantico : L'anglais est la langue originale de plus de 60 % des contenus télévisuels diffusés en France. 2 modes de traduction priment sur le marché : le sous-titrage (la voix originale est conservé, et le dialogue est traduit sous forme de texte défilant à l'écran), le doublage  (les dialogues sont traduits et remplacent la voix originale, en reprenant les intonations de la VO). De ces 2 modes, c'est le doublage qui est principalement choisi. Quels seraient les bénéfices à tirer, pour notre connaissance de la langue, d'un plus large recours au sous-titrage ? 

Alda Mari : L'anglais est la langue originale de plus de 60\% des contenus télévisuels diffusés en France. Comme on le sait, deux modes de traduction priment sur le marché : le sous-titrage (la voix originale est conservée et le dialogue est traduit sous forme de texte défilant à l'écran) et le doublage (les dialogues sont traduits et remplacent la voix originale, en reprenant les intonations de la VO), et c’est le doublage qui est majoritairement choisi. Quels seraient les bénéfices à tirer, pour notre connaissance de la langue, d'un plus large recours au sous-titrage ? Peut-on réellement apprendre une langue par ce biais ? Quels sont les avantages, et quels sont les manques d'une telle méthode ? Puisque les jeunes générations ont de plus en plus tendance à délaisser la télévision pour se diriger vers de nouveaux supports, utilisant à priori davantage les sous-titres, peut-on imaginer que le niveau général d'anglais puisse s'élever ? 

Cela serait établi depuis plus d’une décennie : l'aide du sous-titrage serait un adjuvant indéniable à la progression en langue étrangère, tant au plan phonétique que lexical. Il serait bien évidemment erroné de comparer le visionnage de films en langue étrangère à une mise en condition d'apprentissage en immersion. Le sous-titrage ne permet bien évidemment pas de reproduire un apprentissage en contexte.

Pour évaluer les effets des différents types de sous-titrages, les chercheurs ont recours à des tests bien précis sur les apprenants. En dépit d’une grande variation entre paires de langues (la langue étrangère et la langue des téléspectateurs), quelques régularités se dégagent, permettant de faire l’hypothèse que les sous-titrages - quel que soit leur type - sont efficaces, et ce, qu'il s'agisse de la réécriture du texte entendu (sous-titrage en langue étrangère) ou de la traduction du texte entendu (sous-titrage en langue maternelle). 

En ce qui concerne le sous-titrage en langue étrangère, le chercheur Garza avait déjà remarqué en 1991 une capacité accrue à répondre à des questions relatives au contenu des vidéos visionnées lorsque celle-ci étaient accompagnées d'un sous-titrage en langue étrangère. Face au contre-argument opposant l'idée que ce que l'on finissait par tester était le niveau des apprenants à l'écrit, l’on a depuis lors mené de nombreuses expériences, qui montrent une amélioration de la composante lexicale chez les apprenants exposés au sous-titrage en langue étrangère. 
Des études menées, entre autres, à l’université de Trondheim (Norvège), ainsi qu’à Western Ontario (Canada) et à Cambridge (Royaume Uni) avaient montré que la représentation phonétique s’en trouvait améliorée, en réduisant ainsi les effets de l'ambiguïté, et donc de l'incertitude relative au contenu. Un seul bémol à la méthode : il est nécessaire que le matériel soit adapté au niveau des apprenants, sans quoi une exposition aléatoire n'a aucun effet. 

En ce qui concerne le sous-titrage en langue maternelle, le scepticisme est plus grand. Les plus critiques opposent tout simplement à la méthode l'idée que l'apprenant se concentre uniquement sur la lecture dans sa propre langue maternelle, et qu'il effacera de son champ perceptif le son en langue étrangère. Ce contre-argument a été réfuté par une autre série d'études. Les chercheurs Ydewalle et Gielen ont noté que le temps d'élaboration d'une scène donnée était plus long en présence de son qu'en l’absence de celui-ci. Cela semble prouver que l'oral n'est pas effacé du champ perceptif des sujets soumis à l'expérience, et qu'il est ainsi élaboré par les locuteurs. Des études à plus grande échelle menées par les chercheurs Ydewalle et Pavakanum en Belgique et de Koostra et Beentjes aux Pays-Bas montrent une grande aisance de la population enfantine avec l'anglais bien avant l'apprentissage scolaire de cette langue, notamment au plan lexical. Des études de 2012 menées par la Communauté Européenne semblent corroborer ces observations et la Communauté Européenne incite d’ailleurs l’usage du sous-titrage. 

En dépit de l’enthousiasme que ces études pourraient susciter, la recherche sur les effets du sous-titrage continue, et les chercheurs s’interrogent d’une part sur la préférabilité de l’une ou de l’autre technique (sous-titrage en langue étrangère ou maternelle) et sur les effets à court et long terme. Une équipe Norvégienne de NTNU montre que seuls les sous-titres en langue étrangère provoquent des effets à court terme et sont visibles dans une plus grande aisance lexicale. De plus, à long terme, les sous-titres, en langue maternelle et étrangère ne semblent avoir aucun effet par rapport au groupe de contrôle exposé uniquement au son. 

Ces résultats sont bien évidemment loin d’être probant de manière cross-linguistique. Il faut contrôler l’âge, le niveau d’avancement dans l’apprentissage de la langue et la relation entre les langues étudiées. La recherche future éclaircira la question. 

Mais les pratiques linguistiques de pays voisins comme les Pays-Bas posent une question d’un autre ordre: celle de l’usage par défaut de la langue nationale à la télévision. Une généralisation de la méthode du sous-titrage comme défaut, soulève ainsi un débat qui dépasse largement le cadre de ces études. 

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