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Deux adultes sur dix pensent avoir au moins une allergie alimentaire mais ça n’est vrai que pour la moitié d’entre eux
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Alimentation

L’alimentation est souvent un sujet de préoccupation et la digestion un sujet d’inquiétude. Mais certains sont plus inquiets que d'autres.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Une étude de chercheurs du Children's Hospital of Chicago et de la Northwestern University d'Evanston, dans l'Illinois, a révélé que seuls 10% des adultes américains ont des allergies alimentaires, mais qu'ils sont deux fois plus nombreux à penser en être atteints. Que pensez-vous de ces travaux et de ces chiffres ? Qu'en est-il des patients français ? À quoi est dû ce décalage ?

Stéphane Gayet :L’alimentation est, dans les pays développés et industrialisés, un sujet de préoccupation qui occupe une place de plus en plus importante. D’une part, les populations de ces pays passent de moins en moins de temps à préparer leurs repas et elles se tournent fréquemment de ce fait vers les aliments transformés de conserve ; d’autre part, de plus en plus de personnes s’informent et savent que beaucoup de maladies chroniques dont des cancers proviennent de la façon dont on s’alimente quotidiennement. Nous passons beaucoup de temps à manger et à boire et c’est un sujet fréquent de discussion et de questionnement. Notre appareil digestif est souvent malmené : trop sollicité, irrité, perturbé par notre façon actuelle de nous nourrir qui n’est plus suffisamment physiologique. Il en résulte de fréquentes manifestations plus ou moins pénibles.

Ces manifestations fonctionnelles postprandiales (après les repas) plus ou moins importantes et qui ne conduisent pas nécessairement à consulter un médecin sont : des douleurs épigastriques (au creux de l’estomac) de type brûlure ou striction, une gêne abdominale plus ou moins prolongée, des tiraillements dans le ventre, des spasmes, des ballonnements, une alternance de diarrhée et de constipation, des émissions fréquentes de gaz qui soulagent, une fatigue…

La digestion difficile et douloureuse est un phénomène relativement fréquent

En vérité, ces manifestations de digestion difficile et douloureuse (dyspepsie) sont assezfréquentes, mais la plupart des gens s’en accommodent tant bien que mal, prennent des remèdes non médicamenteux, s’automédiquent ou parfois demandent conseil à un pharmacien.

Dans certains cas, il arrive que l’on remarque que les troubles digestifs sont surtout marqués avec tel ou tel aliment. Et dans le langage courant, le mot allergie est souvent utilisé pour désigner ce que l’on ne supporte pas bien ou pas du tout.

Quand on demande à un échantillon de personnes si elles ont déjà présenté un trouble significatif à la suite de l’ingestion d’un aliment, environ 30 % répondent de façon positive. Certains allergologues ont été jusqu’à proposer l’expression de « névrose alimentaire » pour désigner des manifestations peu précises, d’allure bénigne et trop difficiles à attribuer à une cause précise. Maintenant, si l’on prononce le mot allergie, on constate qu’au moins 20 % de la population se dit allergique à au moins un aliment ou une boisson. On se situe donc dans le même ordre de grandeur qu’avec cette enquête effectuée dans l’Illinois. Pourtant, la fréquence réelle de l’allergie alimentaire est nettement plus basse. Ce décalage provient de la différence essentielle qui existe entre l’emploi courant du terme allergie et sa réelle signification médicale.

La différence entre l’emploi courant du mot allergie et son sens précis

Aujourd’hui, on distingue de façon claire et nette les allergies alimentaires (vraies) qui sont des phénomènes immunologiques et les intolérances alimentaires qui ne sont pas de nature immunologique, excepté la maladie cœliaque (forme majeure d’intolérance au gluten) qui est une intolérance immunologique, mais non allergique.

L'allergie alimentaire est une réponse immunitaire inappropriée (pathologique, anormale) à un composant d'un aliment, le plus souvent une protéine, par un individu prédisposé (individu dit atopique, c’est-à-dire ayant un terrain atopique, ce terrain qui favorise le développement d’allergies vraies ou hypersensibilités). La substance qui provoque l’allergie est appelée un allergène.

Lors d'une première exposition à un allergène alimentaire, le système immunitaire du sujet atopique peut s’immuniser contre cet allergène et cela sans qu'aucun trouble ne se manifeste. Si cette immunisation pathologique s’est réellement effectuée et en cas de contacts ultérieurs avec l’allergène, le système immunitaire va le reconnaître et réagir plus ou moins violemment : c’est la réaction allergique qui est une réaction dite d’hypersensibilité dont il existe deux types principaux.

La réaction d’hypersensibilité immédiate est pratiquement le seul type d’allergie alimentaire couramment diagnostiqué. Son mécanisme fait intervenir des anticorps « allergiques » qui sont des immunoglobulines de type E (mais aussi semble-t-il parfois de type G) spécifiques de l’allergène en question. C’est le type d’hypersensibilité alimentaire de loin le plus connu et le plus étudié. Les signes (ce que l’on constate) et les symptômes (ce que l’on ressent) sont de gravité très variable : troubles intestinaux ; signes cutanés (petits éléments ou plaques rouges: érythème; éléments en relief et donnant des démangeaisons: urticaire) ; manifestations respiratoires (gêne à respirer) ; ou généraux (œdème cutané, au maximum un choc anaphylactique: malaise général grave avec chute de tension et diminution de l’état de conscience pouvant conduire au décès).

La réaction d’hypersensibilité retardée a un mécanisme très différent : elle fait intervenir une certaine sous population de lymphocytes (globules blancs de l’immunité spécifique) qui sont activés, ainsi que des médiateurs chimiques (cytokines) qui activent d’autres cellules effectrices de l’immunité, elles-mêmes se mettant à infiltrer la peau et les muqueuses. Ces réactions allergiques retardées et durables sont beaucoup moins connues, mais elles seraient fréquentes et de plus en plus, notamment chez l’enfant. Elles donnent lieu à des entérocolites prolongées pouvant être graves, et parfois à des œsophagites également prolongées.

Au total, l’allergie alimentaire concernerait au moins 3 % des adultes et 8 % des enfants, ce qui est déjà beaucoup, mais qui reste bien en deçà des chiffres obtenus par l’enquête effectuée dans l’Illinois. La différence entre l’Illinois et la France peut s’expliquer par des méthodes d’investigation et de diagnostic différentes, ainsi que par des modes de vie et d’alimentation différents. En fait, peu d’enquêtes de ce type ont été réalisées en France et le cas échéant avec des méthodes différentes : nos données chiffrées sont essentiellement des estimations, qui manquent fatalement de précision.

Quels sont les dangers de cette méconnaissance des allergies alimentaires ? Les allergies alimentaires n'ont pas du tout les mêmes effets que les intolérances alimentaires, et ne présentent pas les mêmes dangers, mais les patients confondent fréquemment les deux. Quelles sont les différences entre ces deux maux ?

Les allergies alimentaires (vraies) exposent à des risques d’accident aigu grave (hypersensibilité immédiate majeure : choc anaphylactique pouvant conduire au décès) et à des maladies prolongées (hypersensibilité retardée) et parfois sévères touchant surtout l’intestin grêle et le côlon (gros intestin). La méconnaissance d’une hypersensibilité immédiate alimentaire peut être responsable d’un décès ou d’un séjour en réanimation se soldant par des séquelles graves ; celle d’une hypersensibilité retardée conduit à laisser un individu (souvent un enfant) avec une inflammation chronique du tube digestif qui perturbe gravement la vie (fatigue, douleurs, troubles du développement, carences, maigreur, saignements, occlusion intestinale, cancérisation).

Les intolérances alimentaires n’ont pas la gravité des allergies, excepté la maladie cœliaque qui est une intolérance au gluten (complexe protéique des céréales) de type immunitaire, mais sans hypersensibilité (ce n’est pas une vraie allergie).

À part la maladie cœliaque qui est grave dans sa forme majeure, les intolérances alimentaires sont plutôt bénignes et leurs manifestations sont en général limitées àl’appareil digestif. Les signes et symptômes varient dans leur intensité en fonction de la quantité de l’aliment ingéré et de la façon (accompagnement) dont il est consommé.

La maladie cœliaque, ou intolérance au gluten, est une entéropathie (maladie de l’intestin grêle) « auto-immune », provoquée par l’ingestion de gluten (fraction insoluble des protéines de blé, d’orge et de seigle; l’avoine garantie sans gluten est en général tolérée) chez des individus génétiquement prédisposés ; elle est deux fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme ; elle doit être distinguée de l’allergie aux protéines de blé (impliquant des immunoglobulines de type E). La maladie cœliaque touche environ 1% des populations d’Europe, du continent américain, d’Afrique du Nord et du sous-continent indien.

Les intolérances enzymatiques résultent de la déficience d’un système enzymatique, ce qui empêche l’assimilation d’un aliment et donne lieu à une prolifération bactérienne particulière et anormalement forte, provoquant des ballonnements, des douleurs et une fatigue après le repas. Par exemple, l'intolérance au lactose (sucre du lait) est due à une insuffisance en lactase, l'enzyme intestinale qui scinde le lactose en galactose et glucose, deux sucres simples facilement assimilés à la différence du lactose.

Les intolérances pharmacologiques sont liées à des substances pharmacologiquement actives (comme des médicaments) qui sont présentes dans certains aliments. Par exemple, le thon rouge peut contenir de l’histamine qui est un vasodilatateur (malaise, rougeur, chute de tension).

Il existe bien d’autres intolérances alimentaires, comme celles aux additifs des aliments transformés de conserve. Leur mécanisme n’est pas bien connu et leur étude est complexe, tant les additifs sont nombreux. Elles sont en général bénignes.

Par ailleurs, il faut savoir que tout aliment, quel qu’il soit, dès l’instant où il est ingéré en très grande quantité, est susceptible de donner une intolérance par concentration anormalement élevée de l’un de ses composants, soit dans l’intestin, soit dans le sang ou dans un autre organe.

D'après l'enquête, les cas d'intolérances et d'allergies sont en hausse. Quels éléments de réponse peut-on apporter à cette constatation ?

En effet, les cas d’intolérance et d’allergie alimentaire sont en augmentation.

Concernant les intolérances, le développement considérable de la nourriture transformée à base d’aliments de conserve est en grande partie responsable de ce phénomène. Il s’agit à la fois de manger moins – car la ration calorique est excessive chez un grand nombre de personnes – et de consommer davantage d’aliments naturels non transformés, que l’on prépare soi-même. Par exemple, une orange épluchée et mangée en quartiers et un kiwi mangé à la cuillère, plutôt qu’un jus multifruits du commerce qui est fortement chargé en additifs ; des carottes épluchées et râpées soi-même, plutôt que des carottes râpées de conserve ; des œufs cuits à la coque ou durs, plutôt qu’une omelette aux pommes de terre du commerce, prête à réchauffer, etc.

Concernant les allergies, celles de toutes natures représentent, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la quatrième maladie chronique dans le monde. Parmi elles, les allergies alimentaires sont souvent qualifiées de « deuxième vague allergique », après l'asthme bronchique. Leur fréquence augmente régulièrement depuis une trentaine d'années, et elles touchent aujourd'hui 250 millions de personnes dans le monde. Leur hausse est principalement constatée dans les pays développés, mais certaines études indiquent que les pays émergents ou en développement sont également touchés par le phénomène d’augmentation.

Les causes évoquées comme étant à l’origine de cette hausse des allergies sont de trois types.

Premièrement, nos rapports avec les microorganismes se sont modifiés. On utilise beaucoup de désinfectants et on consomme beaucoup d’aliments pauvres en bactéries, ce qui nuit au microbiote intestinal (gigantesque population de bactéries vivant dans notre gros intestin ou côlon, qui est indispensable à l’équilibre physiologique ainsi qu’à la maturation et au bon développement du système immunitaire). Cette tendance à vouloir tout désinfecter sans discernement est néfaste : c’est une fausse hygiène, le contraire de la véritable hygiène qui n’a jamais recommandé de tout désinfecter sans réfléchir. Il est incontestable que les enfants sont davantage protégés des contacts avec les microorganismes et cela nuit au bon développement de leur système immunitaire, d’où une plus grande fréquence des allergies qui sont des erreurs dans le fonctionnement du système immunitaire (sa maturation dans l’enfance a besoin des contacts avec le plus grand nombre possible de microorganismes).

Deuxièmement, notre nourriture est trop transformée, trop sucrée, trop grasse et pas assez diversifiée. Les innombrables additifs alimentaires (conservateurs, colorants, édulcorants, émulsifiants, agents de sapidité…) sont des substances chimiques qui peuvent irriter notre tube digestif et favoriser ainsi le développement d’inflammations puis d’allergies dans l’enfance (car les allergies se préparent dans l’enfance). Notre nourriture est donc trop industrialisée.

Troisièmement, il y a également de probables facteurs génétiques pour expliquer l’augmentation des allergies. C’est-à-dire que notre génome évolue, bien sûr, et son évolution irait dans le sens d’une facilitation des allergies (hypothèse).

Les solutions se trouvent dans le diagnostic : manger plus de produits frais non transformés et sans additifs, se nourrir de façon plus diversifiée, moins sucrée et moins grasse, limiter le plus possible l’utilisation de produits chimiques dans notre vie quotidienne (cesser de désinfecter l’intérieur de nos habitations : cela n’a aucun intérêt ; pire, c’est au contraire nuisible ; cette mode des antibactériens est très néfaste) ; se promener dans les bois ou les prairies où l’on multiplie les contacts cutanés et respiratoires avec de nombreux microorganismes (mais attention aux tiques) ; côtoyer régulièrement des animaux (mammifères, oiseaux, reptiles) qui hébergent des bactéries différentes des nôtres.

L’allergie est finalement une maladie de civilisation : les populations rurales des pays non industrialisés n’en font pratiquement pas.

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