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Quand l’ex chef économiste du FMI ébranle les idées reçues sur la dette
©SAUL LOEB / AFP

Pas si grave ?

Lors d'une présentation très remarquée, l'ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, brise un tabou en montrant que la dette publique n'est pas un problème aussi "catastrophique" que nous l'imaginons parfois.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : L'ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, vient de tenir une présentation au Peterson Institute "Dette publique et taux d'intérêts faibles", dans laquelle il relativise les risques d'un endettement trop important des États. Quels sont les arguments pouvant justifier un tel point de vue ? 

Alexandre Delaigue : La question qu'Olivier Blanchard s'est posée dans sa présentation est la suivante : à partir du moment ou le taux de croissance économique est plus élevé que le taux d'intérêt que vous payez sur la dette, est-il si dangereux que cela pour un État de décider d'avoir un endettement élevé ? En l'espèce, il faut bien comprendre que le coût de l'endettement est le taux d'intérêt, mais que les recettes de l'État augmentent mécaniquement chaque année si le PIB augmente. 

Ces recettes vont augmenter sous deux effets, d'une part l'inflation que l'on peut éliminer si on raisonne avec des taux d'intérêt réels, et d'autre part sous l'effet de la croissance économique. Si le PIB augmente, cela fait plus de revenus pour la population et donc plus de recettes pour l'État. Dans ces conditions, si un État voit ses revenus naturellement augmenter plus vite que le coût de son endettement, et puisqu'un État vit éternellement et a la possibilité de se ré-endetter lorsque ses dettes arrivent à échéance, alors théoriquement, dans une telle situation, un État peut recourir à l'endettement sans que cela ne pose de problèmes pour sa solvabilité future. Paradoxalement, il a même la possibilité de réduire son endettement total tout en utilisant de la dette.

Olivier Blanchard détaille cela en fonction de la nature des dépenses, parce que sinon cela serait trop beau, en utilisant des modèles classiques sur les finances publiques. Mais il en arrive à la conclusion que dans un environnement dans lequel les taux d'intérêt sont très bas et que les taux de croissance économique leurs sont supérieurs, alors l'austérité budgétaire n'est pas recommandée. Les États devraient être beaucoup moins inquiets sur leurs niveaux d'endettement, devraient plus recourir à l'endettement qu'ils ne le font. Dans ces conditions, La dette publique  n'est pas un poids qui s'impose aux générations futures.

Si l'objectif de cette présentation n'est pas, comme le dit Olivier Blanchard, d'inciter à plus d'endettement, quels sont les cas dans lesquels l'endettement peut avoir un effet positif ? 

Olivier Blanchard distingue ici deux types de situation dans lesquelles l'endettement public peut avoir des effets positifs. Le premier est la situation que l'on appelle en économie un "Output Gap". Un output gap est une situation ou l'économie ne produit pas tout ce qu'elle pourrait produire suite à une récession. La demande globale est faible, et l'économie est dans une situation de sous-emploi. Dans ces conditions, l'utilisation du déficit public -s'il ramène l'économie vers le plein emploi et vers sa pleine capacité de production - va générer de la croissance. C'est donc une situation dans laquelle il est intéressant et favorable pour l'économie d'avoir du déficit.

La deuxième situation décrite par Olivier Blanchard est celle ou la dette publique sert à financer des investissements qui vont contribuer à l'augmentation du PIB. Donc, Olivier Blanchard ne le recommande pas pour financer des transferts de revenus comme par exemple les retraites. Mais il peut le recommander pour des investissements matériels comme par exemple les infrastructures ou des investissements en actifs immatériels comme des dépenses de formation ou de recherche. Ces dépenses, pour peu qu'elles contribuent à la progression du PIB futur, peuvent tout à fait être financées par un recours à la dette publique.

Comment mesurer la position de l'Europe et de la France dans ce débat ? 

Ce qui rend cette intervention d'Olivier Blanchard importante, c'est que nous vivons depuis quelques temps dans une espèce d'obsession de la dette publique, en particulier en Europe ou nous sommes particulièrement concernés par cette obsession. De fait, nous avons multiplié les règles sur ce thème. Il y a quelques bonnes raisons de l'avoir fait mais cela a été fait en considérant les dettes publiques comme des problèmes par nature. Or, ce que cela nous rappelle, c'est que la dette publique est tout simplement un instrument de financement des dépenses publiques et qu'en tant que telle, la dette publique n'est ni bonne ni mauvaise. Elle peut être bonne ou mauvaise selon les circonstances. On pourrait ajouter à l'argument d'Olivier Blanchard que si nous avons de mauvaises dépenses publiques, qu'elles soient financées par la dette ou par les impôts, ce n'est pas mieux. 

Nous sommes un peu entrés dans un débat politique autour de la dette publique qui est trop centré sur ces questions de vertu ou de vice, ce qui nous a fait sortir des questions les plus importantes des finances publiques qui sont de savoir ce que l'on fait avec l'argent de l'État : qu'est ce que doit faire l'État ? Est-ce que toutes les dépenses sont justifiées d'une part, et d'autre part, comment financer ces dépenses par rapport aux objectifs ? Cette intervention d'Olivier Blanchard a l'immense intérêt de mettre un peu de rationalité dans un débat, qui, en Europe, n'est malheureusement pas très rationnel parce qu'il est devenu beaucoup trop partisan. Avec d'un côté des gens pour qui toute dette publique ne peut être que mauvaise, et de l'autre côté un certain nombre de mouvements populistes pour lesquels la dette publique n'a strictement aucune importance et devrait servir à financer tout et n'importe quoi. Cette intervention est donc bienvenue car elle remet un peu de raison dans un débat qui en est singulièrement dépourvu. 

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