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4 ans après, qui est (encore) Charlie dans la France d'aujourd'hui ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Tensions communautaires

Ce samedi 5 janvier, l'hebdomadaire satirique a publié un numéro commémoratif dans lequel il pose ouvertement la question : "Vous êtes encore là?".

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Atlantico : Quatre ans après les attentats de janvier 2015 et qui avaient coûté la vie à 12 personnes, que reste-t-il de l'esprit "Charlie" qui s'était emparé des Français à cette occasion ?

Nathalie Krikorian : Les attentats terroristes islamistes de janvier 2015 ciblaient le magazine satirique Charlie Hebdo, un supermarché casher et des policiers. Accomplis par un commando de soldats de l’Etat islamique, ils déclaraient une nouvelle fois la guerre à l’Occident et à ses valeurs. Les cibles choisies étaient le symbole d’un principe essentiel à notre civilisation française : la liberté de conscience, inscrite dans notre Constitution. C’est en effet la IIIème République qui, réalisant en cela les principes définis par 1789, a créé les trois lois qui défendent notre idéal français de Liberté : liberté de conscience, liberté de pensée et liberté d’expression. La défense de ces trois libertés indissociables constitue l’originalité du régime politique français, à la fois démocratique et républicain. Ces trois libertés forment ensemble la base d'un principe unique au monde, la laïcité, que précisément l’islamisme voudrait détruire. Soit par des actes de violences terroristes symboliques, soit par la pénétration de son idéologie dans les consciences. 
L’esprit « Charlie » est né d’une demande spontanée de la part d’une majorité de Français de manifester contre cette monstruosité que signifiaient et même revendiquaient les massacres des 7, 8 et 9 janvier. La manifestation a été orchestrée les 10 et 11 janvier par François Hollande et son gouvernement, réunissant plus de 4 millions de personnes. A l’époque la stupeur était immense face à ce qui est apparu comme une réplique, en France, de l’attentat du 11 septembre 2001 aux USA. C’est la raison pour laquelle sont venus manifester à Paris de nombreux chefs d’Etats. Puis il y eut l’attentant du 13 novembre de la même année au Bataclan et puis tous ceux qui ont suivis. 
Aujourd’hui, il semble que le choc « Charlie » se soit comme éteint. La monstruosité du terrorisme islamiste est comme banalisée. Chaque nouvel attentat glace le sang de tous, et les Français souffrent en silence. Comme ce fut le cas après le dernier attentat, cette année, sur le marché de Noël à Strasbourg. 
Prouvant, s’il était nécessaire, que l’objectif mondialisé de l’islamisme 
demeure : frapper symboliquement les modes de vie des pays démocratiques ou démocratisés, détruire leur idéal politique et moral. C’est la culture occidentale d’origine chrétienne qui est visée. C’est la laïcisation du christianisme et au fond, les origines gréco-romaines des idéaux démocratiques que l’islamisme veut détruire.

Face à cela les Français sont aussi victimes du silence assourdissant, des politiques, de la grande majorité des intellectuels et des médias. Aveuglement ou tentative optimiste de minimiser la réalité ? Aujourd’hui le plus pernicieux  des actes terroristes est symbolique. Il est repérable tous les jours au sein de cette fameuse France des périphéries à travers la multiplication des femmes, de tous âges mais surtout très jeunes qui portent le foulard islamique. Cette partie émergée de l’iceberg montre, sous une forme très soft, la nature d’un terrorisme mental qui profite de l’effondrement intellectuel et moral de notre système éducatif. A travers le port de chaque foulard, se cache non pas tant une jeune fille, souvent provocatrice par jeu, qu’une religion radicalisée poussant en réalité au rejet d’une manière occidentale de penser. 
D’ailleurs la radicalisation islamiste des consciences se développe indépendamment de la pratique du culte musulman. 
Le foulard islamique, quelle que soit sa forme, est d’abord une revendication et une invitation à faire sécession d’avec le modèle culturel français. 
C’est pourquoi je m’étonne que la banalisation de la multiplication des foulards islamiques dans la france dite « périphérique » ne soulève pas plus d’interrogations sur la montée de l’intégrisme islamique. Cette pratique en est, tout comme le port du burkini l’été, et la distinction du licite et de l’illicite, l’expression la plus basique.

Ces attaques avaient mené à une prise de conscience collective des scissions communautaires en France. Qu'en est-il aujourd'hui de ces fractures communautaro-religieuses ? Quelle en est l'origine idéologique ? 

Je ne suis pas certaine qu’il y ait eu à l’époque, pas plus qu’aujourd’hui, une claire conscience, ni de la nature, ni de la puissance, des avancées de la fracture cultuelle et culturelle, de type communautariste, qu’engendre la progression de la radicalité islamiste dans les consciences. Il était et il est encore plus difficile aujourd’hui de faire admettre à des générations de Français élevés, depuis la fin des années 1980, dans l’idéologie anti-raciste de gauche que leur grille de lecture différentialiste est en partie responsable du développement de l’islamisme, terroriste ou pas. Pourtant, en érigeant pendant plus de trente ans, les fils d’immigrés maghrébins en victimes ethniques, sociales et culturelles du capitalisme et donc de la droite, la gauche française -tout en récupérant par ce biais, les voix qui ont permis jusqu’à l’élection de François Hollande- n’a eu de cesse d’opposer « la France du catholicisme zombie », selon l’expression d’Emmanuel Todd à « ses citoyens musulmans » (Qui est Charlie? Editions du Seuil, mai 2015). Poussant les uns et les autres à admettre « qu’il existe désormais, dans la culture française, dans notre être national, une province musulmane ». Une certaine gauche, et avec elle toute la classe politique, voudrait réduire la laïcité à la liberté religieuse. C’est absurde. La laïcité c’est la neutralité non seulement de l’Etat et du gouvernement, mais aussi et surtout de l’espace public, de l’école publique, c’est à dire de la société toute entière, où le religieux n’a aucune place en dehors de la vie privée des individus.

Mais aujourd’hui, la grande majorité des intellectuels français comme les médias ont été convertis au relativisme des valeurs, et sont souvent hostiles à l’idée d’une assimilation des populations de culture musulmane à la culture française, à ses moeurs et à son mode de vie, traditionnels et républicains. L’idéologie dominante est foncièrement opposée à l’individualisme que la pensée politique assimile à l’égoïsme et auquel elle oppose l’idéal des liens communautaires. Cette idéalisation du communautarisme est sans doute à mettre au compte de la nostalgie de l’égalitarisme révolutionnaire et communiste dont la traduction institutionnelle et politique a pourtant été historiquement dramatique. L’idéologie islamiste a du reste certains points communs avec les deux formes totalitarismes qui l’ont précédée.

Au regard des fractures communautaro-religieuses, quelle responsabilité incombe désormais aux institutionnels et aux religieux pour les résorber ?

Face à la progression d’une radicalisation des esprits et des moeurs que l’on peut observer en banlieue ou à la périphérie des métropoles, en France et en Europe, il convient d’abord de regarder cette réalité en face. Et ensuite de donner du sens  aux formes diverses que prend cette réalité, de la plus douce, le port du voile islamique, à la plus violente, les actes terroristes. 
La question de fond à laquelle nous sommes tous soumis est celle d’un choix de société. Souhaitons-nous faire vivre et actualiser notre modèle républicain de libertés individuelles fondées sur le principe d’une laïcité non dévoyée, telle que je l’ai décrite? Ou préférons-nous, sur la base du modèle multiculturaliste anglo-saxon, vivre dans la coexistence de communautés hétérogènes, imposant chacune leurs propres lois aux individus qui la composent, dans le respect minimum d’une loi générale nationale et dans l’irrespect, voire la guerre entre communautés rivales? Dans l’hypothèse où les élites intellectuelles, politiques et médiatiques préféreraient défendre la première version, à laquelle du reste la majorité des Français adhère encore, il est urgent  de redéfinir les objectifs et les moyens consacrés à la formation des enseignants. La solution au problème viendra pour l’essentiel de notre système éducatif et de la mise en place de politiques publiques ciblées. Les Français conscients de ces réalités, et plus encore les élites, ont une immense responsabilité face au choix de société pour les années futures.
Aujourd’hui les élèves du public ont souvent en face d’eux des professeurs, des maîtres et des responsables administratifs qui très encouragent le relativisme des valeurs ou, très fréquemment, ne réagissent pas à des paroles ou des actes antisémites et dans le pire des cas, en zones dites sensibles, ne s’opposent pas à l’apologie du terrorisme islamiste. 
Les fractures communautaro-religieuses ne toucheront que les plus pauvres, les laissés pour compte de la mondialisation économique. Les enfants des milieux aisés fréquentent des écoles privées et, pour la plupart d’entre eux, poursuivent leurs études supérieures à l’étranger. Aux fractures communautaristes et territoriales s’ajoutent aujourd’hui de nouvelles fractures qui divisent les peuples et leurs élites.

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