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Union soviétique, capitalisme à visage humain : cette double nostalgie qui travaille puissamment l’Europe d’aujourd’hui en sourdine
©Attila KISBENEDEK / AFP

Souvenirs souvenirs

Entre, d'un côté, la volonté de nombreux pays de retrouver un Etat fort et de l'autre la nostalgie des 30 glorieuses, les dirigeants ne manquent pas de narratifs idéalisés sur lesquels s'appuyer pour servir leurs intérêts.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Comment interpréter la volonté de nombreux pays européens, notamment à l'est, du retour d'un Etat fort ? Peut-on voir ici les effets d'une forme "d'Ostalgie" appliquée à l'ensemble des anciennes républiques soviétiques ? 


Edouard Husson : Lorsqu’ils sont sortis de la domination soviétique, les pays d’Europe centrale et orientale pensaient naturellement dans les cadres de la nation démocratique. Les grandes insurrections anticommunistes, depuis les années 1950, ont été des insurrections pour la liberté et la nation. Non moins naturellement, les démocraties libérées ont voulu se raccrocher à l’Union Européenne. Progressivement, ils ont découvert que l’Ouest de l’Europe était en train de mettre en cause le lien entre démocratie et nation. C’est l’origine première de la révolte actuelle de ce qu’on appelle d’un mauvais terme “démocraties illibérales”. En fait il faudrait dire “démocraties conservatrices”. Ensuite, il y a des nuances: l’Ostalgie dont vous parlez est un phénomène d’abord interne à l’Allemagne réunifiée, produit des erreurs commises par les Allemands de l’Ouest dans le processus de réunification, à commencer par la désastreuse union monétaire interallemande à un taux de 1 pour 1: l’économie allemande a été laminée et les Allemands de l’Est ont eu tendance à enjoliver le régime qu’ils avaient naguère honni. Il faudrait ensuite distingués entre un régime en grande partie autoritaire, comme la Biélorussie et une démocratie authentique, à forte imprégnation conservatrice, comme la Hongrie. 


Dans quelle mesure cette forme de nostalgie peut-elle répondre à celle qui sévit à l'ouest, concernant la période des 30 glorieuses ? 


Il y a une grande différence. Chez nous la nostalgie des “Trente Glorieuses”, c’est entre autres choses la nostalgie d’une véritable prospérité et d’une homogénéité sociale, de par la force des classes moyennes. Rien de tel ne peut exister en Europe Centrale et Orientale, où les années communistes ont été des années de pénurie. Malgré tout, il est certain que, pour un pays comme l’Ukraine, mis à feu et à sang, littéralement, par les ineptes interventions américaines et allemandes depuis 2004, il existe une forte nostalgie de l’époque d’avant la perestroïka. 
Il existe une convergence à venir, qui rapprochera la nostalgie des Trente Glorieuses et le malaise actuel de l’Europe Centrale et orientale: c’est la redécouverte du cadre national comme indispensable à l’exercice de la démocratie. De plus en plus, nous autres Européens de l’Ouest, avons tendance à regretter l’apogée de la démocratie nationale ouest-européenne qui caractérise les décennies suivant immédiatement la Sevonde Guerre mondiale. 


Alors que l'ostalgie s'applique à un système disparu, la nostalgie des 30 glorieuses évoquent plutôt l'évolution d'un système existant. L'angoisse découlant de nostalgie de l'ouest n'est-elle pas en ce sens plus redoutable ? 


Il ne faut pas sous-estimer tout ce que la période libérale (1965-2015) a fait perdre de la période qui avait précédé. La prospérité des Trente Glorieuses reposait sur la stabilité monétaire du système de Bretton Woods; elle a été mise en cause par l’étalon-dollar introduit par Nixon. Contrairement à une idée reçue, les prélèvements obligatoires étaient relativement faibles dans les années 1950 et 1960; la part de l’Etat dans le PNB était en-dessous de 35%. C’est la surenchère entre la « Grande Société » de Chaban-Delmas, le libéralisme d’Etat de VGE, le « travaillisme à la française » de Chirac et le Programme Commun de la Gauche qui nous a fait basculer dans l’ère des prélèvements excessifs. il me semble que les Gilets Jaunes ont une intuition tout à fait exacte de ce qu’était la prospérité des années 1960: une France plus entrepreneuriale, qui payait moins d’impôts. Je ne crois pas que nous devions en avoir peur dans la mesure où les Gilets Jaunes nous ramènent aux éléments fondamentaux de notre pacte collectif: la démocratie, la nation, la régulation de l’accueil des étrangers, la justice sociale etc.... Il va bien falloir répondre à ces questions-là. 

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