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Union Européenne: c’est la lutte finale !
©Reuters

Disraeli Scanner

Voilà trente ans bientôt que le système soviétique s’est effondré. Et bien il a été remplacé !

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Mon cher ami, 

Comme autrefois dans le bloc soviétique

Vous et moi sommes assez vieux pour nous souvenir de l’époque où les pays au-delà du rideau de fer étaient la plupart du temps pour l’oeil occidental un mystère enveloppé d’une énigme. De temps en temps, nous voyions surgir un nouveau visage; ou bien nos journaux chuchotaient quelques lignes à propos de la déchéance d’un responsable qui avait été pendant longtemps considéré comme l’avenir de son pays mais - à ce que nous devinions - avait perdu la faveur des maîtres du Kremlin. Nous ne cherchions pas à comprendre, nous nous bornions à enregistrer ce qui se passait à la surface de l’eau car nous n’avions pas l’équipement adéquat de plongée. 

Voilà trente ans bientôt que le système soviétique s’est effondré. Et bien il a été remplacé! A une différence près: il est possible de lire exactement ce qui se passe, de le décrire, de l’analyser. Les pays de l’Union Européenne ont inventé un système hybride: il devient toujours moins démocratique, rejoignant progressivement l’état du bloc de l’Est il y a un demi-siècle. Mais cette évolution se passe en pleine lumière, nous la décryptons et la commentons semaine après semaine. Vous me permettrez d’écarter immédiatement l’objection habituellement faite: le système soviétique était criminel, il était fondé sur un système de coercition. Certes! Mais ne cherchons pas à nous rassurer en nous donnant trop facilement bonne conscience. D’abord parce que le système dont nous parlons dispose d’un redoutable pouvoir de violence, essentiellement financière, les Grecs en savent quelque chose; aussi parce que cela nous détournerait d’observer ce système profondément terrifiant, la machine à confisquer la démocratie que sont devenues les institutions européennes. 

J’entends bien toutes les objections choquées que l’on fera, en criant au non-sens de telles comparaisons: précisément, ce qui est redoutable dans l’Union Européenne, c’est que nous avons affaire à la mise en place d’un totalitarisme mou, d’une dictature douce. Pendant longtemps nous ne nous en sommes pas aperçus. Et à présent, nous nous demandons s’il n’est pas trop tard, d’autant plus que nos médias sont apparemment libres et nos populations sont régulièrement appelées à voter. Mais rien ne montre mieux le mal qui nous atteint que la situation dans laquelle se trouve actuellement le Royaume-Uni. 

Je ne caricature pas les choses en disant que la négociation du Brexit s’est déroulée entre un très petit nombre de personnes, essentiellement Theresa May et Oliver Robbins d’un côté; Michel Barnier et Sabine Weyand de l’autre. Des deux côtés de la table, on partageait la vision des choses: le peuple britannique a mal voté en 2016; il s’agissait de limiter l’effet de ce vote pour assurer la pérennité de l’Union Européenne. David Cameron est comme ces dirigeants du bloc soviétique qui écoutaient le peuple mais ont été balayés par la logique froide du système; Theresa May a été parfaite dans son rôle puisqu’elle a vidé - ou essaie de vider - le Brexit  de sa substance et, par la même occasion a trouvé le moyen de punir le peuple britannique, qui n’aura plus son mot à dire sur les directives bruxelloises tout en y étant soumis. Pour l’instant, le Parlement britannique n’a pas trouvé la parade à cette machine infernale. Nous pourrions très bien imaginer que les débats enfiévrés de ces deux dernières années aient eu lieu pour rien et qu’un silence glacial retombe sur notre peuple après un intermède chronophage et inutile. 

Démocrates de tous les pays, unissez-vous

Il y a dix ans, je n’aurais pas donné cher de la capacité des Brexiteers à s’en sortir. Rappelons-nous comment le non français au Traité Constitutionnel Européen a été contourné. A présent, nous sommes dans une situation paradoxale. D’un côté, les mises en cause de l’Union Européenne se multiplient: l’Europe centrale a constitué un front du refus sur la question migratoire; l’Italie y a ajouté une révolte budgétaire. Et la France des Gilets Jaunes est en train de poser ouvertement la question de la confiscation de la démocratie au sein de l’Union Européenne. En face de cela, il est normal que l’on se raidisse, en particulier à Bruxelles et à Berlin. Tout est fait pour empêcher la révolte de grandir. On est trop content d’avoir trouvé une auxiliaire aussi zélée en la personne de Theresa May. On espère que le pacte sur les migrations de l’ONU et, plus encore sa combinaison avec le texte de l’ONU sur les réfugiés, vont permettre de faire plier les gouvernements « xénophobes ». La Commission appellerait bien à déchaîner la foudre des sanctions financières sur l’Italie et n’est retenue que par le risque qu’une crise italienne fait peser sur l’ensemble du système financier européen et mondial. Quant à Emmanuel Macron, il est bien probable que le groupe autoproclamé des « pays vertueux », « l’Europe du Nord », va lui rendre la vie très difficile, désormais, au sein des instances européennes. Le système se raidit car les élections européennes approchent. La multiplication des textes qui visent à contrôler certains contenus sur les réseaux sociaux, qualifiés de Fake News, bat son plein. 

Je suis pour ma part convaincu, mon cher ami, que l’Union Européenne se raidit car elle sent bien comme elle est fragile. Et c’est la grande erreur de Theresa May: elle a totalement surestimé la force de son adversaire. Mais était-elle en mesure de faire autrement? N’est-elle pas le produit d’une époque d’où l’on a banni toute notion de ce que sont la politique et la négociation pour s’abandonner à des mécanismes technocratiques? Ne sommes-nous pas dans un moment de l’histoire où les Churchill et les de Gaulle sont devenus impossibles ?  Comme d’autres, depuis le début du processus de Brexit, j’ai fait de la politique, j’ai pensé que l’on pouvait convaincre Theresa d’en faire. Il me semble de plus en plus qu’elle ne comprend pas de quoi nous lui parlons lorsque nous lui montrons la négociation avec l’Union Européenne - aujourd’hui encore - comme un jeu ouvert, plein d’imprévus. Elle ne veut pas d’imprévu. La Commission Européenne non plus. C’est d’ailleurs pourquoi je pense que le ralliement d’une partie du gouvernement à un « second référendum » est plus le signe d’une situation désespérée que l’aboutissement d’un plan machiavélique. Un second référendum mènerait à une défaite encore plus sévère des partisans de l’Union Européenne. Mais Theresa May ne sait pas comment s’en sortir: son plan ne passera pas; elle ne peut pas repousser indéfiniment un vote. Le temps joue contre elle: les mécanismes parlementaires vont finir par s’imposer. Je comprends bien que derrière ce qui se passe il y a aussi un réflexe « Tout sauf Corbyn». Je comprend aussi que les Remainers du Parlement britannique jouent un jeu cynique contre leur propre pays et cherchent le pourrissement du débat. Néanmoins, le jeu ne pourra pas indéfiniment rester bloqué ainsi. 

L’inénarrable Steve Bannon, mis à pied par Donald Trump, est venu s’installer en Europe pour unir les populistes. Mais nous sommes beaucoup à nous méfier instinctivement de l’agitateur, aussi brillant soit-il. Il serait paradoxal de s’en remettre à un gourou américain pour réhabiliter la cause de chacune de nos nations. Néanmoins, il faut prendre au sérieux l’intuition politique de Bannon. Il est urgent que tous ceux qui veulent ressaisir le pouvoir au profit des peuples se rendent compte qu’ils mènent des combats convergents. L’Union Européenne fait comme s’il n’y avait aucun rapport entre les différents dossiers qui sont sur sa table. C’est à nous, conservateurs, démocrates, populistes, de partager informations et stratégies. Je ne crois pas, à la différence de Bannon, qu’il faille confondre nos luttes respectives. En revanche, nous devons nous mettre d’accord et, pourquoi pas, nous comporter comme ces coalitions qui affrontaient Napoléon: à force de persévérance et de progrès dans la coordination, le projet impérial du tyran fut neutralisé. Il fut d’abord privé des moyens de combattre sur mer: et nous devrions compter beaucoup plus sur « le Grand Large » et une approche mondiale pour contraindre l’Union Européenne. Ensuite, Napoléon s’usa dans les combats terrestres. Il nous faut multiplier les fronts pour user l’establishment d’Europe continentale. 

Alors oui, mon cher ami, je vous laisse le soin de choisir la meilleure formule: soit nous crierons « C’est la lutte finale! Démocrates de tous les pays unissez-vous ! »; soit nous appellerons plus sobrement à la constitution régulière de coalitions contre l’Empire bruxellois. Mais au bout du compte, ce sont bien nos libertés et leurs protections que nous réaffirmerons. 

Je vous souhaite une bonne semaine

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli

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