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Financement des mesures de pouvoir d’achat : ces réductions de la dépense publique qui pourraient être à la fois rapides et efficaces
©Reuters

Pragmatisme

Suite aux annonces faites par Emmanuel Macron le 10 décembre dernier, le gouvernement est aujourd'hui confronté au problème du financement de ces mesures. Edouard Philippe a ainsi déclaré "Nous présenterons la semaine prochaine des mesures d'économies budgétaires et de recettes sur les entreprises. Il y a plusieurs solutions possibles ".

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico: En se concentrant du côté des dépenses, et en évitant "les recettes sur les entreprises" quelles seraient les options les plus rapides et efficaces afin de trouver un moyen de financement de ces mesures ? 

Philippe Crevel: Face à la grogne sociale, Emmanuel Macron a annoncé un plan, le lundi 10 décembre dont le coût est évalué entre 10 à 13 milliards d’euros pour les finances publiques. Il a ainsi décidé d’annuler les hausses de taxes sur les carburants, l’augmentation, à travers la revalorisation de la prime d’activité, du SMIC de 100 euros, la défiscalisation des heures supplémentaires, la suppression de la majoration de CSG pour les retraités gagnant moins de 2 000 euros par mois ainsi que l’exonération fiscale et sociale des primes de fin d’année dans la limite de 1 000 euros par salarié.

Le coût de ces mesures est difficile à appréhender. Ainsi, l’exonération des primes aura un impact fiscal limité. Les primes restent facultatives et sont plafonnées à 1000 euros et ne bénéficieront qu’aux salariés gagnant moins de 3600 euros nets. Avec l’instauration de la retenue à la source, l’impact fiscal sera limité du fait du changement d’assiette. En revanche, il pourra y avoir un manque à gagner au niveau de l’impôt sur les sociétés. Cette exonération aura également un coût pour la Sécurité sociale qui pourra être compensé par l’Etat mais ce n’est plus automatique. Les cotisations (patronales et salariales) représentent près de 80% du net perçu ou 45% du coût total pour l’entreprise.

En ce qui concerne la majoration du SMIC, il s’agit d’une accélération et d’une amplification d’une mesure déjà prévue. En revanche, l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants (particuliers et entreprises) pourrait entraîner un manque à gagner de 5 milliards d’euros auquel il faut ajouter les 3 à 4 milliards d’euros liés à la suppression de la taxe carbone. Par ailleurs, l’annulation de la majoration de CSG pour 30 % de retraités pourrait coûter 2 milliards d’euros.

Ce plan pèsera le budget de l’État au point que le déficit pourrait dépasser à nouveau les 3 % du PIB. Avant même son annonce, nombreux étaient ceux qui doutaient déjà de la capacité de l’État de respecter les 2,8 % de déficit prévus par le projet de loi de finances pour 2019. En effet, le ralentissement économique en cours obère le montant des recettes. Certes, ce mini plan de relance pourrait favoriser une reprise de la consommation et donc améliorer les recettes de TVA. Dans tous les cas, la France devrait avoir, l’année prochaine, le déficit public le plus élevé de la zone euro. Il pourrait atteindre 3,5 % du PIB.

L’idée de compenser le coût de ce plan par des économies sur les dépenses est séduisante sur le papier mais il faut bien l’avouer, depuis des années, les différents gouvernements éprouvent les pires difficultés pour en réaliser. Derrière chaque dépense, il y a un chien qui veille. Réduire les dépenses dans l’éducation nationale, impossible, il faut améliorer le niveau scolaire de nos chères petites têtes, diminuer les dépenses de la défense, impossible dans un monde de plus en plus incertain, contracter les défenses pour la sécurité intérieure, impensable avec la montée du terrorisme, raboter les prestations sociales, inimaginable ou presque surtout après l’affaire des 5 euros sur les APL. De ce fait, l’Etat a surtout réduit les dépenses du Ministère de l’Economie et tente de limiter les dotations aux collectivités locales avec les conséquences que l’on sait sur l’état d’esprit des élus. Certes, certains considèrent que l’Etat peut diminuer son train de vie, d’autres qu’il faut supprimer les supposés privilèges dont bénéficieraient les représentants de la Nation. En la matière, les économies potentielles se chiffrent à quelques centaines de millions d’euros quand le plan « gilets jaunes » se chiffre à 13 ou 15 milliards d’euros. Avant de parler réductions des dépenses, il faut parler méthode. En France, bien souvent, les économies se font à la hache. Le gouvernement ordonne les échelons inférieurs de réaliser 5, 10 ou 15 % d’économies. Certes, sous Nicolas Sarkozy, la technique avait été raffinée à travers la révision générale des politiques publiques. Mais, il n’en demeure pas moins que la recherche de l’efficience est difficile. Dans un système administré, nul n’a envi de réduire son budget, ses dépenses. Dernièrement, Edouard Philippe a pu le constater avec le projet de diminution des effectifs au Ministère des Sports.

En matière de dépenses, le principe devrait être bottom up, de la périphérie vers le centre et non l’inverse. Il faudrait appliquer le principe de la subsidiarité. Tout ce qui peut être effectué au niveau le plus bas doit être privilégié pour éviter une concentration des tâches au sommet et des doublons en cascade. Avec une telle politique, il serait possible d’examiner si certaines missions doivent rester dans le giron public ou pourrait être privatisées. De même, dans le cadre d’une telle évaluation, la question de la suppression d’un niveau ou deux de collectivités locales pourrait être posée en vue de l’obtention d’une réponse.

Michel Ruimy : Le coût des mesures en faveur du pouvoir d’achat annoncées, lundi dernier, par Emmanuel Macron est estimé à 10 milliards d’euros. Il y a urgence à trouver cette somme. L’heure est, en effet, aux travaux pratiques, un véritable casse-tête quelques jours avant le vote du budget 2019.

Tout d’abord, concernant le financement du rôle économique de l’Etat, si nous nous concentrons uniquement sur les dépenses, ceci nécessite de faire des économies dans le mode de fonctionnement de l’État, en d’autres termes, réduire la voilure de certains services de l’État. Tous les ministres étant solidaires au sein d’un gouvernement, il faut donc décider de la manière dont ces mesures ont vocation à être financées avant le 31 décembre, date à laquelle le budget 2019 de la France doit être voté. On devrait donc passer par une baisse des dépenses des ministères, selon leur criticité. Par exemple, une fois le prélèvement à la source mis en place, le nombre de fonctionnaires de l’Administration fiscale pourrait diminuer. Dans ce contexte, la prime défiscalisée jusqu’à 1 000 € ne devrait pas concerner les fonctionnaires.

Ensuite, concernant les entreprises, le gouvernement pourrait réduire notamment les aides aux entreprises, qui devaient représenter plus de 40 milliards d’euros l’année prochaine. Initialement prévue au 1er janvier 2019, la bascule du CICE pourrait, par exemple, être reportée de quelques mois, un aménagement du calendrier en quelque sorte. En l’état, cette transition doit coûter plus de 20 milliards d’euros aux finances publiques.

Enfin, concernant nos engagements européens, nos finances publiques pourraient se dégrader encore un peu plus c’est-à-dire accroître le déficit budgétaire 2019, qui est déjà à 2,8% de la richesse nationale, à une limite toute proche des 3% du Produit intérieur brut (PIB). Le différentiel pour atteindre la barre des 3% est d’environ 4,5 milliards d’euros. Ainsi l’exécutif pourrait choisir exceptionnellement de laisser filer le déficit d’autant qu’il ne respecte déjà pas les règles à la lettre et que 2019 est une année exceptionnelle, avec la bascule du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de charges sans laquelle le déficit serait de 1,9%. Bruxelles pourrait alors se montrer conciliant, mais ce serait casser les ambitions européennes d’Emmanuel Macron, qui a fait de la bonne tenue des comptes publics « LA » condition pour restaurer la crédibilité de la France.

Quelles sont les hypothèses les plus probables concernant les choix du gouvernement ? Celui-ci ne risque-t-il pas de se concentrer sur les recettes plutôt que sur la réduction de la dépense ? 

Philippe Crevel: Pour éviter la dérive des comptes publics, le Gouvernement pourrait reporter la baisse de charges de 4 points sur le SMIC prévue en septembre 2019, améliorer le rendement de l’impôt sur les sociétés. Il pourrait jouer sur l’assiette de cet impôt en remettant en cause certains dispositifs. Il pourrait étaler également dans le temps la baisse du taux de l’IS. Il essaiera de pousser sa taxe GAFA, de remettre en cause une niche fiscale ou deux. Jouer sur les recettes est toujours plus facile que de s’engager sur un programme d’économies budgétaires.

A la différence du Canada, des pays d’Europe du Nord, la France a joué ces trente dernières années sur les recettes pour tenter de rééquilibrer ses comptes publics. Or, l’expérience de nos voisins indique que les assainissements les plus solides sont ceux qui ont été réalisés grâce à des économies budgétaires. La France est un pays d’impôts. La TVA, inventée par Maurice Lauré, s’est exportée à l’échelle mondiale. Il y a une capacité d’innovation fiscale au Ministère des Finances très forte. Il y a aussi une rare pratique du jeu de bonneteau fiscal. Je te supprime un impôt d’un côté et je te prélève un peu plus loin. Il y a du savoir-faire qui peut être est en train d’atteindre sa limite. Sans nul doute, qu’un changement de logiciel s’impose.

Michel Ruimy : Au vu de la situation de nos finances publiques, le gouvernement doit faire face à un « triangle d’incompatibilités ». Le premier pôle est de tenir ses engagements à l’égard de la population française suite aux déclarations du président de la République afin de regagner la confiance des Français. Le deuxième est de trouver les modes et les moyens de financer les mesures annoncées sans dégrader l’attractivité de la France. Le troisième est de respecter les engagements européens en matière de finances publiques afin de restaurer la crédibilité de la France. Il n’a pas le choix que de jongler avec ses trois contraintes, sachant que chacune influe sur les deux autres…

En outre, les échéances étant pour « demain », il a l’obligation d’obtenir des « quick wins » c’est-à-dire de réaliser des gains rapides et significatifs afin de redonner de l’espoir aux Français dans le processus de long cours de restauration de la compétitivité économique de notre pays. Il reste maintenant au gouvernement d’identifier ces victoires rapides et de trouver le financement adéquat !

Or, succinctement, les dépenses étant de nature structurelle, il ne peut y avoir que des « coups de rabot » de l’ordre de 1-2 milliards d’euros. Quant aux recettes, le gouvernement devrait raboter les baisses de charge pour un montant d’environ 3 milliards, ce qui va grever la compétitivité des entreprises françaises alors que la France a encore du retard par rapport à ses voisins en matière du coût du travail. De même, les plus grandes entreprises devraient se voir privées d’une partie de la baisse d’impôt sur les sociétés prévue en 2019.

Avec ces ajustements, la France pourrait espérer limiter le dérapage de son déficit à 3,2% du PIB. Loin des 2,8% initialement prévus… mais suffisamment proches de la barre des 3% pour s’éviter les foudres de Bruxelles.

Quelles seraient les erreurs à ne pas commettre pour éviter de perdre toute forme de confiance "fiscale" avec les entreprises ?

Philippe Crevel: Les changements incessants de législation, le non respect des engagements pris sont évidemment à bannir de la part des pouvoirs publics faute de quoi les dirigeants d’entreprise, les investisseurs français et surtout étrangers considéreront que notre pays n’est pas fiable. Les Gouvernements ont toujours tendance à pénaliser les entreprises car elles sont supposées riches et qu’elles ne votent pas. C’est une vue de l’esprit. Ce n’est pas en mettant une taxe sur une vache que celle-ci paie la taxe. Ce qui est vrai pour la vache l’est pour les entreprises. Une taxe sur une entreprise signifie moins d’argent pour les actionnaires, c’est-à-dire les épargnants, moins de salaires pour les salariés ou une augmentation de prix qui sera supportée par les consommateurs. Une augmentation des impôts sur les entreprises signifie une dégradation de la compétitivité pouvant conduire à une progression des importations et donc à une destruction d’emplois.

Le Gouvernement d’Edouard Philippe tente de mettre en place une politique de l’offre. La France en a bien besoin car ses entreprises ont un taux de marge en-dessous de la moyenne européenne. Pour cela, il a décidé de supprimer en partie l’ISF, d’instituer le Prélèvement Forfaitaire Unique, de réduire les cotisations sociales et l’impôt sur les sociétés. Mais, si, à peine, un et demi après l’arrivée d’Emmanuel Macron, un virage est pris, il ne faudra pas s’étonner que les dirigeants d’entreprise se mettent à douter. Un politique de l’offre, et c’est toute sa difficulté, exige du temps pour donner des résultats, trois ans, voire cinq ans. Il faut du temps pour changer les comportements, pour créer un climat de confiance. En revanche, ce dernier peut disparaître en quelques instants.

Michel Ruimy : En économie, il y a trois grands acteurs : les ménages, les entreprises commerciales et financières et l’Etat. L’économie fonctionne sur ce trépied. Or, en période de disette financière, illustrée aujourd’hui par des finances publiques exsangues, l’Etat n’a pas de marge de manœuvre et il est donc réduit à réaliser des économies budgétaires. Quant aux entreprises, elles sont le seul acteur aujourd’hui à pouvoir faire tenir le système… jusqu’à un certain point.

Par exemple, la seule annulation pour les grands groupes de la baisse de l’impôt sur les sociétés prévue en 2019 rapporterait 1,3 milliard d’euros. Ce sont les entreprises qui gagnent le plus d’argent qui seraient surtaxées. C’est paradoxal dans la mesure où ce sont finalement les acteurs économiques les plus performants qui sont visés. Si la mesure n’enchante pas les milieux d'affaires, elle serait toutefois considérée comme un moindre mal par rapport à d’autres scénarii, notamment le report de la baisse de l’impôt sur les sociétés prévue en janvier. Ou pire encore pour les employeurs : le décalage dans le temps des baisses de cotisations sociales induites par la bascule du CICE en baisse de charges pérenne.

Mais, à force de faire contribuer les entreprises, leur compétitivité ne s’améliore pas et, avec elle, la situation économique du pays. La baisse du chômage est pénalisée alors que les entreprises ont du mal à recruter. Si la logique est de faire en sorte que le travail paie mieux, il faut aussi de pas casser le ressort de l’entreprenariat. Il ne faut pas qu’il y ait une angoisse de l’avenir chez nos chefs d’entreprise, qui ont mis, la plupart du temps, leurs propres deniers pour construire l’entreprise.

Rappelons-nous novembre - décembre 2014. A cette époque, les patrons français avaient montré leur exaspération face aux dispositions de la loi Hamon sur la transmission d’entreprise et le compte pénibilité. Ils avaient signifié leur ras-le-bol d’une politique qui, depuis longtemps, bridait l’économie, qui a progressivement étouffé les entreprises de toutes tailles par une accumulation de charges, de contraintes, de taxes et de sanctions. Ceci se passait, il y a 4 ans, bien avant les « gilets jaunes ». Le contexte a changé. Le gouvernement a besoin de faire de la pédagogie pour ne pas perdre la confiance des entreprises.

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