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Attentat de Strasbourg : mais pourquoi surestime-t-on le complotisme des Gilets jaunes ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Inopportun

Les gilets jaunes sont-ils complotistes ? Tel est, en tout cas, le débat qui agite les médias après l’attentat de Strasbourg : certains l’attribuent à de mystérieuses manœuvres gouvernementales destinées à détourner l’attention du mouvement de protestation.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Première remarque : « les » gilets jaunes, cela ne veut pas dire grand chose pour un mouvement qui est peu ou prou approuvé par trois français sur quatre ; comme les Juifs ou les Bretons, il y en a des gros et des petits, des gens de droite et des gens de gauche, et probablement des jobards et des méfiants.

Seconde remarque : être complotiste peut recouvrir beaucoup de choses. Est-ce en vouloir aux riches et aux élites, soupçonner les politiques ? Est-ce répandre de fausses nouvelles ("fake news" ou infox cf. notre livre Fake news la grande peur) ou des rumeurs ? De bonne ou de mauvaise foi ? Une idéologie ?

Soupçons, faux et complots

Dans tous les cas, il y a eu, effectivement dans cette affaire des « nouvelles bizarres ». Du type : des médias auraient parlé de la fusillade avant qu’elle ait lieu. Vérification faite, il s’agit d’une question de fuseau horaire sur lequel étaient réglé certains sites. Rien d’inexplicable.

Mais la vraie théorie du complot est précisément une théorie. Elle consiste à 1) à analyser les faits (décrétés troublants, invraisemblables ou révélateurs de drôles de coïncidences), 2) à critiquer une prétendue « version officielle » 3) à apporter sa propre explication alternative. En l’occurrence l’État profond ou des agents de Macron auraient monté toute cette mise en scène pour empêcher les gens de manifester et discréditer les gilets jaunes. Explication typiquement paranoïaque : tout ce qui se produit est fait pour me nuire, tout est intentionnel.

Il y a eu, effectivement, des thèses comme celle-là qui ont circulé sur les réseaux sociaux. En particulier une des vedettes de la protestation, que nous ne nommerons pas, a soutenu des insanités de ce genre. Ce n’est pas un universitaire comme l’auteur qui peut approuver ce délire d’interprétation. C’est à la fois stupide et nuisible. Mais qu’est-ce que cela traduit ? À la fois des phénomènes anciens et des conditions très nouvelles.

Que les attentats suscitent des fantasmes, des explications « alternatives » et des accusations contre des Etats, des services secrets ou des groupes clandestins, rien de plus habituel, même si c’est regrettable. Après le onze septembre des millions de gens ont littéralement cru que tout n’était que mise en scène et que c’était un coup des Américains. Après le Bataclan, des milliers de Français, jeunes en particulier, ont trouvé des indices (rétroviseurs qui changent de couleurs, journalistes en gilet pare-balles comme par hasard, Coulibaly qui meurt d’une « drôle » de façon) pour contester la culpabilité des coupables. Et crier à la provocation manipulation.

Réseaux sociaux et méfiances collectives

Ce qui a changé, en revanche, c’est le comportement des gilets jaunes (ou de certaine couches populaires qu’ils représentent) à l’égard de l’information. Ils s’expriment et se coordonnent énormément sur Facebook (dont le nouvel algorithme incite d’ailleurs de plus en plus à discuter avec « des gens comme vous »). En même temps, ils éprouvent une énorme méfiance envers les médias « classiques » soupçonnés d’être au service de Macron et/ou des classes dominantes, de l’oligarchie. Cela se traduit dans leur attitude envers les journalistes dans les manifestations.

Cela incite les protestataires à penser de plus en plus la même chose que les gens qui leur ressemblent (il n’y a pas que les gilets jaunes à faire cela), à partager les mêmes indignations, à y tisser du lien social, comme on dit, à s’éloigner toujours davantage du discours des élites, des sachants, des commentateurs, des experts, des politiciens, etc.

Cela les incite aussi à s’identifier à des porte-paroles devenus célèbres sur et par les réseaux sociaux. Des gens qui, comme le conspirationniste cité plus haut, deviennent des vedettes, et pas en portant le discours le plus modéré ou le plus raisonnable. Il y a comme une prime à la grande gueule, à celui qui ne parle pas comme les petits marquis des médias, à celui qui ose dire... Et plus cela fait contraste avec le discours « gens du système », plus cela satisfait. Résultat : la mauvaise information chasse parfois la bonne.

À complotiste, complotiste et demi

Pour autant, le camp d’en face ne devrait pas trop surjouer l’indignation des vertueux et des véridiques. D’une part parce qu’il y a des députés ou des ministres LREM qui ont eux-même répandu de fausses nouvelles sur les gilets jaunes : il y en aurait qui feraient les salut nazi, ils auraient défiguré des policiers à l’acide, leurs partisans sur Twitter seraient en réalité des trolls russes, ce serait Steve Bannon qui, dès l’élection de Macron aurait créé le site giletsjaunes.com, tout serait manipulé... D’autre part, il est trop facile de prendre le discours le plus extrême chez ses adversaires - comme celui des gens qui croyaient que la constitution n’était plus valide ou qu’il fallait appeler le général de Villiers au pouvoir - pour l’attribuer à tous les gilets jaunes et les ridiculiser collectivement.

C’est un mauvais procédé rhétorique et c’est une façon de manifester son mépris de classe envers des gens qui seraient à la fois, des beaufs homophobes, la peste brune remontant les Champs-Élysées, des niais qui ne comprennent rien à l’économie, les idiots utiles des black blocs, des trolls manipulés par Moscou, affabulateurs. Cela devient du complotisme anti-complotiste. Il faut un peu choisir ses accusations. Et comme, en retour, les gilets jaunes sont très sensibles au mépris des dominants ou qu’ils pensent comme le dit un de leurs slogans « on n’est pas des cons », cela devient vite un cycle infernal.

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