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Huawei ou le réveil douloureux de l’Occident face à une mondialisation qui ne se fait plus à ses conditions douloureuses
©Greg Baker / AFP

Perte de contrôle

L'arrestation de la directrice financière de Huawai au Canada montre comment l'Occident tente de corriger la dérive actuelle de la mondialisation.

Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque est chercheur associé à l'Institut Thomas More et co-rédacteur en chef de la revue Monde chinois nouvelle Asie.

 
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Atlantico : L'arrestation de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei (et fille du fondateur du groupe) au Canada est-elle réellement liée au commerce avec l'Iran ou est-ce un simple prétexte ? Que cherchent les Etats-Unis avec ce geste ?

Emmanuel Dubois de Prisque : Je pense que c'est la vraie raison, la justice américaine n'est pas aux ordres directs de Washington. Bien sûr, Huawei figure sur les radars de la justice américaine depuis longtemps pour un ensemble de raison. Il y a des enjeux économiques et technologiques très importants via Huawei qui est un concurrent redoutable pour de nombreuses entreprises occidentales, mais il n'en reste pas moins que l'arrestation elle-même est liée à des problèmes de conformité dans les exportations de Chine vers l'Iran qui engagent des technologies américaines qui n'ont pas être vocation à être exportées vers des pays comme l'Iran.

La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine symbolise la montée en puissance de la Chine dans l'économie mondialisée. Alors que l'on pensait la mondialisation synonyme d’occidentalisation du monde, en passant par l’artifice du modèle universel, l'Occident apparaît aujourd'hui comme démuni intellectuellement.  Serait-il en train de découvrir qu’il n’est pas le seul maître à bord ? La globalisation est-elle en train de glisser vers un terrain favorable à l'Asie ?

Evidemment on essaye de comprendre ce qu'il se passe. Avec l'entrée de la Chine au sein de l'OMC en 2001, on pensait que progressivement le système économique chinois allait "contaminer" la politique et que les Chinois allaient devenir des "Occidentaux" comme les autres. On voit bien que ça n'a pas fonctionné et que la politique n'est pas soluble dans l'économie.

On le remarque dans d'autres domaines comme par exemple l'immigration chez nous. Il ne suffit pas simplement que les gens aient un certain niveau de vie, participent à l'économie française pour qu'ils deviennent des Français comme les autres. Il existe une forme de résistance dans la culture ce qui est tout de même une bonne nouvelle puisque ça signifie que les cultures ne sont pas solubles dans l'économie.

On le découvre aussi du point de vue des rapports de force, chose que les Chinois n'utilisent pas forcément avec les mêmes critères que nous dans leur gouvernance. La Chine se comporte d'une façon différente et spécifique. Mais il est important de ne pas exagérer dans le sens inverse. Le système chinois est un système formellement marxiste qui adopté l'économie de marché: si vous êtes à Pékin ou à Shanghai, vous avez l'impression d'être dans une grande ville quelconque, la trace chinoise n'est pas si évidente que ça. Evidemment la culture chinoise n'est pas soluble dans l'économie mais il nous reste à comprendre ce que ça veut dire, c'est la grande question.

On peut penser que l'unification de la planète est quelque chose d'indispensable dans l'avenir pour répondre à des problématiques comme le dérèglement climatique, le repli sur soi-même étant une solution difficilement envisageable. Par qui ou quoi cette unification serait-elle définie ?

La Chine, lorsqu'elle était sous pression occidentale, se plaisait à insister sur ce qu'elle appelle les "caractéristiques chinoises". Toute revendication était amené avec cet argument pouvant justifier une forme d'exceptionnalité de ne pas se soumettre aux règles communes au nom d'une culture qui serait spécifique. Elle insistait donc sur sa spécificité et sur sa différence plutôt que sur le fait d'appartenir à une humanité commune.

Aujourd'hui, on bascule dans un rapport de force qui lui est favorable, l'Occident étant, sur le long-terme, remis en cause dans son leadership. Désormais, la Chine a plutôt tendance à affirmer une forme d'universalité de la culture chinoise, au contraire de la notre. Notre modèle imagine une confédération ou une union d'Etats souverains, comme dans le cas de l'Organisation des Nations-Unies où des états souverains tentent de s'unir sous la forme d'une coopération et sur un pied d'égalité formel afin d'essayer de résoudre les problèmes de la planète. C'est également le cas dans le cadre des organisations internationales. Bien sûr certains pays ont plus de pouvoir que d'autres, comme dans le cas du Conseil de Sécurité de l'ONU mais globalement le principe est celui d'une alliance d'états souverains.

L'universalisme chinois est très différent. Il existe un centre: la Chine (Zhōngguó, le nom de la Chine signifie "centre") qui par définition a un rôle structurant dans la mondialisation. Si la Chine veut revenir à ses structures sociopolitiques traditionnelles, on tombe sur un système où elle est elle-même au centre, où elle est l'agent organisateur de cette mondialisation.

C'est une forme de contradiction : du temps où elle était faible elle réclamait une égalité formelle entre toutes les nations. Maintenant qu'elle est forte, elle a tendance à estimer que sa culture est supérieure à celle des autres et que ses formes d'organisations devraient être imposées car plus légitimes que celles des autres pour modeler la mondialisation.

Est-ce que le monde ressemblera à un système avec de grands pôles organisateurs ? La Chine en serait un, les Etats-Unis continuerait à l'être dans une partie du monde et l'Union Européenne le serait si elle n'explose pas. Mais ce système là n'est pas un système de nations souveraines égales entre elles qui essayent de s'entendre, c'est différent. 

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