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Et maintenant, que faire si les annonces ne convainquent pas les Gilets jaunes et qu'ils décident de manifester une nouvelle fois samedi prochain ?
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

L'étape d'après

Après les annonces du Président, de nombreux gilets jaunes interrogés ont laissé entendre qu'ils n'étaient pas satisfaits et qu'ils se remobiliseraient samedi. Face à cette grogne qui persiste, que peut faire le gouvernement ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Dans le cas ou l'allocution d'Emmanuel Macron ne suffisait pas à calmer la ferveur des Gilets jaunes et que la mobilisation se poursuivait en vue d'un acte V, comment peut-on envisager, d'un point de vue politique, "l'étape d'après" ?

Jean Petaux : Dans l’essence originelle de la Constitution de 1958, le « retour au peuple » est la voie directe pour sortir d’une crise politique. La contrepartie de la présidentialisation du régime, dès 1958, renforcée par la réforme constitutionnelle de l’automne 1962 sur le changement de mode de scrutin présidentiel, a consisté en une forme de dialogue direct entre le président de la République et le corps électoral. Si l’on voulait employer un vocabulaire rousseauiste on dirait que c’est le « peuple en corps » qui arbitre les crises politiques en renouvelant (ou pas) sa confiance au président de la République à travers une élection qui n’est pas « présidentielle » mais qui se trouve chargée en quelque sorte d’une légitimité présidentielle réaffirmée ou, a contrario, retirée. Le général de Gaulle, on l’oublie souvent, a ainsi usé deux fois de son droit de dissolution de l’Assemblée nationale. D’aucuns diront que François Mitterrand en a fait tout autant. C’est exact. Mais les deux dissolutions auxquelles le président Mitterrand a eu recours n’ont rien eu à voir avec celles du Général. Mitterrand dissous en mai 1981 et mai 1988 non pas pour se voir réaffirmer une légitimité politique mais pour se donner les moyens de gouverner et obtenir, dans les deux cas (ce sera seulement vrai pour le premier) une majorité législative absolue. De Gaulle pour sa part, dans ses deux « expériences » de dissolution fait, en quelque sorte, « tapis ». Il met tout sur la table de jeu, y compris bien entendu son fauteuil présidentiel et fait trancher par les électeurs une crise parlementaire (octobre 1962 consécutivement au seul renversement de gouvernement que va connaître la Cinquième République en 60 ans d’existence, celui du premier gouvernement Pompidou) ou une crise sociale et politique (Mai 68 que les Accords de Grenelle ne parviennent pas à désarmorcer).

Donc la seule issue possible pour sortir d’une crise politique que la seule magie du verbe présidentielle n’arrivera(it) pas à éteindre ou à calmer sera(it) la dissolution de l’Assemblée nationale et ce fameux « retour devant les électeurs » érigés en arbitres de la crise. Acteurs et arbitres d’ailleurs : c’est aussi le « en même temps » de cette mécanique constitutionnelle assez subtile, telle que le général de Gaulle l’avait conçue dans son dialogue singulier avec les Français. Mais si jamais le président Macron, acculé ou désireux de jouer son va-tout dans cet épisode, actionnait le bouton de l’article 12, celui de la dissolution de l’Assemblée nationale, dont il faut rappeler qu’elle est une prérogative purement présidentielle ne nécessitant aucun contreseing, il y a fort à parier qu’en cas de défaite législative de son camp (situation inverse par rapport à celle de juin 1968 et identique à celle de mai 1997), le parti (ou la coalition) vainqueur ne se tiendrait pas à une « cohabitation » même rugueuse. Ce serait bien la légitimité présidentielle d’Emmanuel Macron qui serait entamée par une perte de majorité législative. Contrairement à ce que Jacques Chirac et Lionel Jospin ont communément convenu au printemps 1997 après la victoire de la « Gauche plurielle », élargissant la logique des deux cohabitations précédentes, celle de 1986 et 1993 dont il faut quand même rappeler qu’elles ne procédaient pas d’une crise politique réglée par les « urnes législatives » mais qu’elles découlaient d’un sort électoral « normal » correspond, à chaque fois, à la fin d’une législature. On voit bien ici d’ailleurs que le PS et ses alliés ont passé un pacte de non-agression (tacite ou non) avec le RPR et son allié l’UDF en tolérant que le « prix à payer » pour le président Chirac d’avoir « dissout pour convenance personnelle » ne soit pas sa propre démission…

Dans le cas où Emmanuel Macron déciderait de dissoudre l’Assemblée nationale pour éteindre la crise et où il perdrait la majorité législative, on peut concevoir que l’on reviendrait à une lecture originelle et sans doute fondamentalement gaullienne de l’esprit de la Constitution : la dernière légitimité politique constatée et réifiée serait supérieure aux précédentes, présidentielle ou législative. Le président de la République se trouverait obligé, à tout le moins, de remettre son mandat à la disposition du peuple. Quitte, pour le coup, à se faire réélire consécutivement à une campagne présidentielle anticipée, avant le terme normal de son quinquennat. Ce ne serait d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que de voir sans doute une Marine Le Pen et/ou un Jean-Luc Mélenchon, grands contempteurs de la Vè République, ne pas être les derniers à demander la « tête de Macron » en cas de défaite législative, suite à une dissolution voulue comme une « sortie de crise ». Ils la demandent déjà… Eux ou leurs porte-voix, on voit mal ce qui les retiendrait de l’exiger alors.

Quelles sont limites que même les institutions de la Ve République ne pourraient pas franchir en termes d'opinion, et de mobilisation ? 

Les institutions de la Cinquième République ont montré tout à la fois une formidable résilience et une remarquable souplesse depuis qu’elles ont été promulguées il y a 60 ans et deux mois désormais. C’est certainement la plus grande surprise de ce régime considéré comme créé par et pour un seul homme : de Gaulle. Pour autant ce texte constitutionnel n’est pas sans défaut et surtout ne saurait tout encaisser ou permettre. Clairement la limite au-delà de la laquelle le texte n’aurait plus du tout la même portée ce serait une tentative de putsch et un renversement des institutions par un pouvoir insurrectionnel. Et encore faudrait-il que le président en place soit empêché d’utiliser l’article 16, celui des pouvoirs spéciaux, qu’aucun des successeurs du général de Gaulle n’a jamais utilisé, que de Gaulle a « mobilisé » une seule fois consécutivement à la tentative « de pronunciamento militaire » du fameux « quarteron de généraux en retraite », en avril 1961. Les armes institutionnelles entre les mains du président de la République sont considérables dans leur portée et redoutables dans leur vigueur. Encore faudrait-il être en mesure d’oser les utiliser ? Ce qui est cause ici ce ne serait pas la faiblesse des moyens mais celle consistant à les mettre en œuvre. 

Si l’on prend en compte maintenant la mobilisation et l’opinion, il est sans doute probable que même les institutions de la Cinquième République ne résisteraient pas à un traitement violent de la crise, avec de nombreux morts, blessés et arrestations. Parce qu’en dépit des outils juridiques et institutionnels tels que l’article 16 permettant pour un temps limité et contraint de conduire des actions répressives et sécuritaires à grande échelle, le temps que les mesures « sécuritaires » s’appliquent, la crise aura généré son lot de martyrs symboliques et aucun gouvernement ne tiendrait, aujourd’hui, face au nombre de morts correspondant aux 9 militants communistes tués par la police de Papon le 8 février 1962 au métro Charonne. Personne ne se plaindra au demeurant de cette évolution vers une exigence de « zéro morts ».

Quelles options s'offrent à Emmanuel Macron et son gouvernement pour leur permettre de continuer un quinquennat déjà grandement fragilisé ?

Option 1 : Faire le dos rond et attendre que cela se calme est une option possible. Mais plus le temps avancera et plus il sera difficile de faire redémarrer un « moteur » qui aura ainsi « callé » en pleine côte. Macron connaitra le destin d’un Chirac, d’un Sarkozy et d’un Hollande : l’immobilisme tiendra lieu de vertu et l’amertume en sera sa toge.

Option 2 : Passer en force et, lest lâché ou pas, considérer (ce soir ou un prochain jour) que la « récré est finie » et donc qu’en conséquence aucun barrage ne sera plus toléré nulle part, aucune manifestation autorisée et que le rythme des réformes repart de plus belle… On voit mal les Français accepter une telle sortie de crise sauf à faire leur la vraie couleur des cocus… Pour qu’une telle option fonctionne il faudrait soit que la violence ait atteint un tel point d’acmé que le soutien populaire (qu’il ne faut pas exagérer inconsidérément) se retourne complètement contre l’ensemble des GJ, les emmenant, avec les casseurs et les pilleurs, dans la « poubelle de l’Histoire ». Même si l’imprévisibilité domine dans la séquence actuelle, on peut considérer qu’une telle option n’est pas affectée d’une probabilité immédiate.

Option 3 : Changer de gouvernement en changeant de politique. Faire Mitterrand et le tournant de la rigueur en 1983 autrement dit changer fondamentalement de paradigme économique, passer d’une politique de la demande à une politique de l’offre respectant les équilibres financiers en niant tout changement politique et en conservant même le premier ministre mais en aussi faire, « en même temps » Hollande en qui remplace Ayrault par Valls sans changer d’un moindre degré la politique social-libérale engagée en janvier 2014 avec le CICE et d’autres mesures en faveur des entreprises au détriment des ménages. Il y aurait-là, pour Emmanuel Macron, matière à philosopher sur l’insoutenable légèreté de la contingence politique… Remplacer Edouard Philippe par une figure plus progressiste tout en affichant une ligne politique « raccord » avec ce changement de casting… Peu probable. Donc peu probable aussi que le discours du président de la République du 10 décembre au soit celui de la sortie de crise. A moins d’un coup de tonnerre.

Option 4 : Tenter d’enfoncer un coin entre éléments les plus radicaux (les « jusqu’auboutistes Gilets jaunes ») et la majorité des Français en accordant des avancées substantielles en terme de pouvoir d’achat, de soutien aux pensions les plus faibles inférieures à 2000 € par mois) pour « décoller » les activistes, définitivement hostiles à la personnalité du Président, de la majorité de l’opinion publique. Dans le même ordre d’idée le recours appuyé aux maires, figures politiques préférées des Français, est aussi la marque de la volonté de revenir aux fondamentaux de la République contre les séditieux de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche qui affichent leur mépris croissant de la légalité.

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