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Mur des cons : cinq ans après, le procès d'une dérive politique de la justice
©DR

Conséquences

Il y a cinq ans, Atlantico diffusait une vidéo du "mur des cons", un tableau sur lequel le puissant Syndicat de la Magistrature épinglait ses adversaires. Un scandale riche en conséquences.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Depuis la révélation de l'affaire du mur des cons par Atlantico qui diffusait une vidéo tournée par le smartphone d'un journaliste de France 3, Clément Weill-Raynal, 5 ans ont passé. L'affaire est  jugée depuis mardi 4 décembre devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Concrètement, que reste-t-il du mur des cons aujourd'hui ? Quel impact a-t-il eu au sein de la magistrature ?

Guillaume Jeanson : Je tiens d’abord, si vous me le permettez, à saluer le courage de Clément Weill-Raynal, auteur de cette fameuse vidéo, et celui de votre journal auquel on doit la révélation de toute cette affaire. Le Mur des cons affichait, pour mémoire, de nombreux visages parmi lesquels on reconnaissait facilement deux pères de victimes, le général Schmidt, père d’Anne-Lorraine Schmitt, assassinée dans le RER D, et Jean-Pierre Escarfail, père de la première victime de Guy Georges. Il affichait également les visages de personnalités aussi diverses qu’Alain Minc, Jacques Attali, Alexandre Adler, Gilbert Collard, Eric Zemmour et David Pujadas. Y figurait enfin des hommes politiques comme Edouard Balladur, Manuel Valls ou Philippe de Villiers…

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il me semble que c’est une affaire emblématique car elle manifeste par l’étalage de son indécence outrageante, le degré de sectarisme qui hélas ronge certains magistrats. Fort heureusement, ces magistrats sont minoritaires et il est important de le souligner, bien qu’ils puissent encore conserver parfois une certaine influence.

La plupart des magistrats ont ainsi subi injustement le discrédit jeté par cette affaire sur l’ensemble de leur profession. Que reste-t-il du mur ? Physiquement ? n’ayant jamais eu l’honneur d’être invité dans le local de ce syndicat, je ne saurais vous affirmer qu’il a été nettoyé. J’imagine et espère bien sûr qu’il l’a été promptement, à tout le moins, dès l’ouverture de la procédure judiciaire. Moralement ? j’emprunterai ces mots si justes à Philippe Bilger, célèbre magistrat, dont le visage figurait aussi en bonne place sur ce mur : « Ce Mur qu'on a osé qualifier de pochade a ouvert une période où non seulement la magistrature - à cause du SM et bien au-delà de lui - n'a plus pu plaider son absence de politisation mais où, dans son ensemble, en dépit des protestations et de la bonne foi de beaucoup, elle a été mise en cause, réputée injuste et décrétée partisane. »

L’ex-présidente du SM pour sa défense s’en tient à une ligne de défense : ce « mur des cons » se trouvait dans un « lieu privé », et ne peut donc constituer le délit d’« injures publiques » qui lui est reproché. Qu'en est-il vraiment ? 

Ce point technique sera sans doute âprement discuté par la défense qui est évidemment dans son rôle. Il ne retire rien en revanche à la flétrissure de toute cette affaire. Une injure publique est un délit puni de 12.000 euros d’amende, alors qu’une injure privée est sanctionnée par une contravention de 38 euros. Il est admis par la jurisprudence que le fait qu’une injure ait été prononcée dans un lieu fermé n’en fait pas nécessairement une injure non publique. A cet égard il a par exemple pu être retenu qu’une injure criée dans une cour d'immeuble, parce qu'elle peut être entendue par tous les occupants -qui ne se connaissent pas forcément- et leurs invités, est une injure publique. Le tristement fameux « mur des cons » était en tout cas suffisamment étalé à la vue du public pour y être semble-t-il facilement « contemplé » par celui qui l’a dénoncé.

Puisqu’on parle de ligne de défense, mentionnons quelques perles dont Clément Weill Raynal, (qui pourrait le lui reprocher après le déchaînement des foudres subies par ce dernier au commencement de cette affaire ?), a pu gratifier twiiter lors de l’audience. Cité par la défense, le sociologue Laurent Muchielli aurait ainsi argué sans vergogne que « le mur des cons était destiné à renforcer la cohésion professionnelle au sein d’un local syndical ». D’autres citations rapportées par le journaliste tout au long de cette journée ont aussi de quoi laisser songeur : le mur des cons serait « une défense collective contre la souffrance du magistrat qui s’apparente à l’angoisse du pilote de chasse ». De quoi, pour nos frêles oreilles, franchir en effet le mur du son.

L'orientation de la magistrature avait été fortement remise en question à la découverte de ce mur. Est-elle toujours un problème aujourd'hui ? 

L’orientation en question a beau ne concerner qu’une minorité de magistrats, les dégâts d’images causés par cette affaire n’en demeurent pas moins considérables. Fustigeant la réaction désastreuse du syndicat de la magistrature tout au long de cette affaire, le magistrat en disponibilité Guillaume Didier, lui aussi brocardé sur ce mur, a ainsi pu écrire ces mots très forts : « Votre réaction, à l’occasion de cette crise, a été catastrophique. Arrogante et sans empathie, elle a amplifié le scandale et gravé durablement dans la mémoire des Français votre triste initiative. Depuis six ans maintenant, les dégâts causés dans l’opinion publique sur l’image de la magistrature restent immenses. ». Qui a oublié en effet qu’en octobre dernier le journal Le Point a prouvé, avec une vidéo, que Françoise Martres, l’ex-présidente du syndicat de la magistrature mise en cause dans cette affaire, avait bien vu et parlé avec le journaliste devant le « mur », en dépit de ce qu’elle avait affirmé devant le juge d’instruction ?

Est-ce que les choses vont changer ? A lire les propos d’audience de cette dernière, rapportés par Pascale Robert-Diard, il est permis d’en douter : « (…) ce n’est pas l’ignominie dont on nous parle tout le temps. Et « con », ce n’est pas non plus l’injure suprême. »

Cette attitude inquiète pour l’avenir. Elle inquiète d’autant plus lorsqu’on apprend, toujours via Guillaume Didier, mais cette fois-ci sur twitter, que « sur France Inter, l’ex présidente du syndicat de la magistrature dénonce « une attaque de la droite contre le syndicalisme judiciaire ». Autant de mauvaise foi désarmerait presque. Rappelons-le s’il en était encore besoin : le syndicalisme judiciaire est évidemment un droit qu’il ne s’agit aucunement de remettre en cause ici. Mais le syndicat est là pour assurer la défense des intérêts de ses membres. Or, ce qui est en jeu ici, c’est la dérive politique du syndicalisme. Ce qui est jeu, c’est cette forme dévoyée du syndicalisme qui est d’une toute autre nature, car il bafoue allègrement le devoir de réserve des magistrats et entache ainsi l’image d’impartialité si nécessaire à la fonction suprême de juger. Pourquoi ? Parce que, comme a pu le rappeler Philippe Courroye (lui aussi en bonne place sur ce mur) dans son livre « reste la justice », si certains magistrats tels que Serge Portelli, estiment heureusement que : « quand on est juge, on met une robe et on laisse de côté ses convictions politiques, militantes ou religieuses », d’autres n’hésitent pas à tenir malheureusement des propos bien plus ambigües. Mathieu Bonduelle, ancien secrétaire général du syndicat de la magistrature, a ainsi affirmé dans la Gazette du Palais du 30 août 2013, que « prétendre que les juges doivent être neutres, c’est leur dénier le droit de juger ». 

Concrètement, quel peuvent être les conséquences de ce procès selon vous ? Quid du syndicat de la magistrature ?

Le syndicat de la magistrature n’a eu de cesse, depuis l’éclatement de cette affaire, de perdre de son influence. Le nombre de ses votants diminue maintenant à chaque élection. Mais, la question de l’engagement politique demeure éminemment problématique. Stéphane Durand-Souffland a en effet rapporté cette autre phrase d’audience de Françoise Martres qui, tout en se voulant presqu’anodine et « respectueuse » des personnes bêtement injuriées, n’en trahit pas moins l’ampleur du problème : « nous combattons des idées, pas des hommes ». 

Il va de soi que le jugement qui sera rendu dans cette affaire devra impérativement être exempt de tout soupçon de partialité, de quelque bord qu’elle soit. Il en va de l’honneur, sali par cette affaire, de la magistrature tout entière. Mais, au-delà de ce procès, souhaitons que la première des conséquences de toute cette affaire, soit le respect désormais scrupuleux du devoir de réserve de ces magistrats. Afin que cessent enfin les dérives politiques d’un syndicalisme dévoyé.

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