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Le gouvernement devra choisir entre les gilets jaunes d’aujourd’hui et ceux de demain
©NICOLAS TUCAT / AFP

Réponse

Sous leur apparente simplicité, les revendications des gilets jaunes sont incroyablement complexes à satisfaire. En exigeant de meilleures conditions économiques et du respect pour ce qu’ils sont, ils questionnent un demi-siècle de décisions politiques. Ils demandent en cela des changements phénoménaux, tout en exigeant des résultats immédiats. L’équation est insoluble, et risque de pousser le gouvernement vers des solutions de facilité.

Nicolas Moreau

Nicolas Moreau

Diplômé d'école de commerce, Nicolas Moreau a exercé en tant qu'auditeur pendant une décennie, auprès de nombreux acteurs publics, associatifs et privés.

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Certains commentateurs parlent encore de jacqueries, de mai 68, ou de la révolution de 1789 pour tenter decomprendre le gilet jaune à travers des schémas connus. Les autres ont renoncé, sondage après sondage, à dresser un profil exact de celui-ci. Politiquement, le gilet jaune vient de partout, et il est soutenu massivement par tous. Sociologiquement il n’a ni âge, ni sexe en particulier. Seuls ressortent ses revenus, plus bas que la moyenne, et son origine, cette France périphérique.

Que veut-il ? Qui sont ses chefs ? Comment le calmer ? Ces questions sont vaines, car les réponses sont aussi simples que les solutions sont hors de portée.

Le gilet jaune manifeste des sentiments. Il n’a pas de revendication politique. Il ne s’y intéresse d’ailleurs pas forcément. Il exprime une double exaspération. La première est concrète. Elle est le résultat d’une grande lassitude. Le gilet jaune boucle ses fins de mois à grand peine depuis trop longtemps, et son espoir de voir la situation s’améliorer a disparu. La seconde est plus abstraite. Il n’en peut plus de se sentir ignoré par une classe dirigeante qui ne lui parle plus.

Boucler ses fins de mois, et se sentir pris en compte. Voilà ce que réclame le gilet jaune. Il exprime une colère. Il ne propose pas de solution politique. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. Tous les citoyens n’ont pas vocation à s’intéresser à la politique. Tous n’ont pas les connaissances nécessaires à le faire. Mais tous ont le droit d’être représentés.

C’est à ce moment précis qu’intervient le monde politique, ou plus précisément, la récupération politicienne. Chez les Insoumis, on va confisquer la parole des gilets jaunes pour exiger le retour de l’ISF. A droite, on va leur faire réclamer une baisse des dépenses publiques. A l’extrême droite on va leur faire porter la question de l’identité à l’heure de la mondialisation. Pour En Marche, l’enjeu est de donner l’image d’un gouvernement à l’écoute.

Toutes agaçantes qu’elles soient, ces tentatives de récupération sont parfaitement légitimes. Il s’agit du cœur de métier des partis politiques. Et par chance pour eux, le mouvement réunit tellement de profils différents que chaque parti trouvera toujours des gilets jaunes pour porter ses revendications. A l’inverse, de nombreux gilets jaunes trouveront une ligne qui leur convient dans un parti précis. Mais aucun parti, ni aucun porte-parole, ne porte les revendications des gilets jaunes dans leur ensemble. Seul le mouvement pris comme un tout s’exprime légitimement.

Ils n’en demandaient d’ailleurs pas tant. Le mouvement ne s’est pas formé autour de points aussi précis. Et la revendication politique semble dissoudre le mouvement plus qu’elle ne le renforce. Non, le gilet jaune n’en demandait pas tant. Il en demande, sans forcément le savoir, beaucoup plus.

En criant son désespoir face aux fins de mois difficiles, il remet en cause un demi-siècle de décisions économiques qui l’ont placé dans la situation où il se trouve aujourd’hui. Un nombre incalculable de décisions prises affecte son pouvoir d’achat actuel : niveau d’imposition des particuliers et des entreprises, taux de charges sociales, répercussion sur les prix, promesses à des clientèles électorales, dépenses publiques, priorités budgétaires, ISF, inadaptation des politiques à la mondialisation, délocalisations, etc.

De même, lorsqu’il réclame la considération de ses compatriotes, le gilet jaune questionne indirectement un demi-siècle de décisions sociétales, prises ou évitées, sur la décentralisation, l’Europe, le clientélisme, l’identité, les valeurs, la Laïcité, l’Occident, les coutumes, les paysages, etc.

Pour ces raisons, il n’y a aucune réponse simple à apporter aux gilets jaunes, sans questionner les décisions économiques et sociétales prises depuis un demi-siècle.

La rue n’a aucune réponse à apporter à ces questions. Trop complexes. Et toute tentative de lui demander d’y répondre se soldera par un échec cuisant. Il est d’ailleurs à douter que la rue, où se massent de plus en plus de casseurs présents à toutes les manifestations de tous les bords, soit encore représentative du mouvement.

En démocratie, les questions d’importance réclament une organisation, des débats soutenus, du travail, et des élections. La campagne présidentielle de 2017 aurait dû permettre de traiter ces sujets. Mais la politique politicienne, les scandales, le vote utile, le vote barrage et le populisme ont étouffé toute discussion intelligente pendant des mois. Un président a été élu, mais les questions de fond n’ont pas été traitées. La colère qui n’a pas été exprimée dans les urnes ne demandait qu’à exploser en dehors.

Il restait à Emmanuel Macron une minuscule fenêtre de tir. Quelques mois pour corriger 50 ans d’erreurs politiques. Les changements imposés ne pouvaient être que révolutionnaires. Malheureusement la France s’en sort avec une réforme mineure de la SNCF et quelques ajustements à la marge sur divers sujets secondaires.

Aujourd’hui, face à des revendications incroyablement complexes malgré leur apparente simplicité, le gouvernement est dépourvu. Il ne peut calmer le mouvement qu’avec des résultats, ou par un populisme monstrueux. Malheureusement les réformettes engagées depuis un an ne peuvent rien apporter de concret sur le plan économique. Et sur le plan sociétal, Emmanuel Macron est l’archétype de l’élite mondialisée, peu attaché aux valeurs et coutumes de son pays, peu attaché à la Laïcité et au modèle républicain, et hostile au conservatisme de ceux pour qui tout était réellement mieux avant.Il est disqualifié pour comprendre cette autre France, qui vit loin de Paris, et qui se révolte aujourd’hui.

Le gouvernement ne règlera donc pas les inquiétudes sociétales des gilets jaunes. Il est incapable de les comprendre, et les considérer est incompatible avec son ADN politique.

Il ne reste plus au gouvernement que les questions économiques, où deux choix s’offrent à lui. Soit annoncer aux gilets jaunes qu’il ne pourra rien pour eux mais qu’il engage immédiatement les gigantesques réformes nécessaires à assurer l’avenir de leurs enfants ; soit tomber dans le populisme facile en signant des chèques, quitte à remettre la poussière sous le tapis quelques années de plus, en espérant être suffisamment loin quand l’inévitable explosion sociale surgira.

En somme, le gouvernement devra choisir entre sacrifier les gilets jaunes d’aujourd’huiou ceux de demain.Mais sur le respect de cette France périphérique, aucun miracle n’est à attendre.

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