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Maghreb : trois modèles économiques pour un même marasme. Comment l’expliquer ?
©Anis MILI / AFP

Economie

Selon un rapport de la Banque mondiale publié en cette année 2018, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie ne seraient pas parvenus à sortir du groupe de pays à revenu intermédiaire pour prendre le statut de pays à revenu élevé.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico: Comment décrire la situation économique du Maghreb ? Avec quelles conséquences ? 

Laurent Chalard: Effectivement, selon la Banque Mondiale, les trois pays du Maghreb se caractérisent en 2017 par un PIB par habitant particulièrement faible à l’échelle internationale, très largement en-dessous de la moyenne planétaire qui tourne autour de 10 700 dollars par habitant, puisqu’il est de seulement 4123 dollars par habitant en Algérie, de 3491 dollars par habitant en Tunisie et de 3007 dollars par habitant au Maroc, soit des niveaux assez proches d’un Etat à l’autre. Si ces chiffres sont dix fois plus élevés que dans les pays les plus pauvres de la planète, tels que le Niger, le Malawi ou le Burundi, ils sont aussi dix fois moins importants que dans les grands pays européens développés, tels que la France ou l’Allemagne. La situation économique du Maghreb n’est donc pas satisfaisante, d’autant qu’elle ne s’est pas améliorée depuis plusieurs décennies, contrairement à ce qui a pu se constater dans de nombreuses autres régions du monde, le Maghreb faisant partie des perdants du boom économique mondial des années 2000. En outre, la croissance économique limitée a été largement obérée par l’augmentation de la population, qui est restée, pendant longtemps, très élevée.

En conséquence, contrairement à d’autres Etats de la planète qui ont vu émerger une classe moyenne au niveau de consommation se rapprochant de celui constaté dans les pays développés, au Maghreb, cette classe moyenne demeure peu importante en pourcentage de la population totale, d’où le maintien d’une nombreuse population paupérisée, qui souffre d’un sous-emploi massif et dont les revenus sont extrêmement précaires. Il s’en suit une émigration vers des pays à plus hauts revenus et un mécontentement politique certain, qui s’est traduit par une Révolution en Tunisie en 2011 et des troubles dans les autres pays.

Comment expliquer cette situation alors que les modèles de développement économiques sont très divers au sein du Maghreb ?

Le plus surprenant lorsque l’on compare le PIB par habitant des trois Etats du Maghreb en 2017 est son niveau semblable alors qu’ils ont fait des choix de développement économique fortement différenciés depuis leur Indépendance, qui ont laissé des traces dans les caractéristiques actuelles de leur tissu économique. En effet, l’Algérie qui s’était engagée dans la voie socialiste, a connu pendant longtemps une économie dirigiste, d’où la présence encore très forte d’un secteur étatique, en particulier dans le domaine des hydrocarbures, moteur de la richesse nationale, qui structure une économie rentière typique. A contrario, au Maroc, qui a fait le choix des Etats-Unis sous le règne d’Hassan II, le modèle capitaliste a toujours été dominant, reposant sur un tissu de petites entreprises, souvent artisanales à l’origine. En Tunisie, après avoir suivi la voie dirigiste, le pays a fait un virage à 180 degrés au milieu des années 1980 en s’engageant dans une politique de libéralisme économique sous l’égide des recommandations du FMI. 

Malgré des voies différentes, les résultats sont les mêmes, une stagnation économique relative pour plusieurs raisons. Cette dernière s’explique d’abord par l’héritage historique. En effet, les Etats du Maghreb s’inscrivaient dans une logique de déclin affirmé depuis plusieurs siècles au moment du début de la colonisation au XIX° siècle avec des économies totalement déstructurées, ce qui n’était pas forcément le cas dans d’autres régions du monde, y compris en Egypte, qui sous Méhémet-Ali était plutôt bien partie, le démarrage industriel, qui reposait sur le coton, n’ayant été tué dans l’œuf que par la colonisation britannique. Ensuite, une deuxième raison tient à la structure des tissus économiques locaux, trop traditionnalistes, empêchant l’émergence d’un capitalisme moderne, avec une réticence à innover. En-dehors du secteur commercial, la mobilisation de capitaux vers une production de nouveaux produits s’est toujours avérée limitée. Enfin, une troisième raison tient au rapport avec l’Europe sur le plan économique. Les Etats du Maghreb tentent de se rattacher au wagon européen suivant une logique de guichet, avec une certaine forme d’attentisme, entendu comme le fait d’attendre que les européens choisissent d’investir massivement pour des raisons de proximité géographique sans que soient mises en place les conditions nécessaires pour qu’ils choisissent le Maghreb plutôt qu’une autre région du monde. Il s’en suit un rapport dominant/dominé, le Maghreb étant dans l’incapacité de produire massivement des produits manufacturés exportables vers le reste du monde reposant sur des capitaux maghrébins.

Comment imaginer la suite pour ces pays, et quels seraient les modèles à suivre ? 

S’il est impossible de préjuger de leurs choix économiques futurs, qui seront très fortement dépendants des évolutions politiques des Etats du Maghreb, il n’en demeure pas moins que s’ils veulent progresser dans la hiérarchie internationale, il semble indispensable qu’ils modifient complètement leur modèle de développement, ce qui passe par un changement de paradigme. A la logique de guichet vis-à-vis de l’Europe, dont l’histoire et le modèle de développement économique ne correspondent pas aux caractéristiques maghrébines, doit se substituer une politique de développement endogène s’appuyant sur le modèle de la Corée du Sud. Pour cela, chaque pays pourrait envoyer 1000 de ses plus brillants étudiants dans ce pays dans l’optique qu’ils intègrent le mode de fonctionnement économique coréen ainsi que sa mentalité pour ensuite tenter de reproduire le modèle au Maghreb. Parallèlement, il faudrait envisager la venue de formateurs sud-coréens sur place pour, dans un premier temps, donner des conseils, ce qui, dans un second temps, pourrait aussi conduire à des investissements productifs. Ces échanges avec la Corée du Sud et d’éventuels autres pays d’Asie Orientale au dynamisme économique reconnu permettrait aux Etats du Maghreb de plus s'ouvrir au monde et aux autres cultures de la planète, demeurant, à l’heure actuelle, dans un rapport amour/haine vis-à-vis de l'ancien colonisateur, qui s’avère contre-productif.

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