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Quand Emmanuel Macron « met à côté de la plaque »
©VINCENT KESSLER / POOL / AFP

Il vous a presque compris

Le discours d'Emmanuel Macron a duré une heure. Pour « contextualiser » et « prendre de la hauteur » ? Voilà qui est malheureusement hors sujet quand il faut aller droit au fait et à la solution.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Il y a d’abord eu comme un flottement dans les commentaires. A l’image même de cette « taxe flottante » sur les carburants que le Président semblait remonter du cimetière marin du jospinisme, mais qui fut vite noyée sous le poids des « recadrages » du Premier ministre et du Ministre de l’écologie : non, la fiscalité taxe carbone continuera d’augmenter. Et voilà la principale revendication des « gilets jaunes » mise au rencart.

Et du coup, le discours du Président de réussir à rallier contre lui (« en même temps ») écologistes déçus par les demi-mesures sur le nucléaire et gilets jaunes, furieux de ce qu’ils ont perçu comme une fin de non-recevoir, aussi bien tournée fût-elle.

Car le Président n’aura pas ménagé ses efforts rhétoriques. Refus des amalgames de certains de ses ministres contre « la peste brune« et autres « casseurs d’extrême droite», arrogance évitée, ton calme, habile passage au « nous » pour décrire la vie quotidienne de ces Français moyens ; simplicité du vocabulaire à quelques tics près (« co-construction ») ; voire quelques belles formules, comme cette énergie « à bas carbone et à bas coût » pour caractériser le nucléaire ; et surtout ce parfait résumé du clivage entre « fin du monde » et « fin du mois ». Symétrie, concision, allitération : du bel art!

Mais, hélas, chassez le naturel rhétorique et il revient au galop. D’abord et encore, un discours bien trop long. Une règle absolue en situation de crise est la brièveté du propos : 2 Minutes 40 pour de Gaulle le 30 mai 1968 ; 5 minutes pour Churchill, le 13 mai 40 ; une heure entière pour Emmanuel Macron, hier… Sans doute pour « contextualiser » et « prendre de la hauteur ? », diront les communicants. Voilà qui est malheureusement hors sujet quand il faut aller droit au fait et à la solution.

Plus décisif dans le rejet du discours : la faiblesse de l’argumentation de fond. Le président a passé 20 minutes à parler de transition énergétique, alors que le problème du moment n’est pas là. La mesure contestée est fondamentalement fiscale et a fort peu à voir avec l’écologie : 20% exactement, à la mesure du pourcentage des recettes perçues qui iront à cette noble cause. Pire encore, depuis 2015, date de l’introduction de cette fameuse taxe carbone, nos émissions de gaz à effet de serre ont continûment augmenté. Enfin, contradiction fatale, l’Etat attend en 2019 près de 4 milliards de recettes supplémentaires de la hausse de la TICPE. C’est bel et bien la preuve qu’il n’attend (et qu’il n’espère) aucune modification vertueuse du comportement des automobilistes…

Il est vrai que cette contradiction a échappé à l’ensemble de l’opposition, aussi incapable de compter que de penser. Mais l’observation de la réaction des « gilets jaunes » a été, elle, instructive : une attente réelle et anxieuse des propos du Président ; une déception égale à l’obscurité du message ; et, plus encore, une interprétation légitime de la stratégie rhétorique du Pouvoir : celui-ci ne chercherait-il pas à dissimuler une énième gourmandise fiscale sous l’épaisse couche en sucre glacé de la transition énergétique ? Transition évidemment indispensable mais dont le coût financier pharamineux, les ratés techniques … et écologiques mériteraient, au demeurant, quelque évaluation.

Le Général de Gaulle, après son discours contourné et abscons du 24 mai 1968 sur la décentralisation, à mille lieues des préoccupations d’une France dans la tourmente des grèves et des barricades, l’a reconnu d’emblée: « j’ai mis à côté de la plaque ! ». Emmanuel Macron, qui ne manque ni de talent rhétorique ni de sens politique, saura-t-il corriger le tir ? Et très vite, comme de Gaulle moins d’une semaine après son premier discours manqué ? 

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