SOS G20 en déroute : le temple du multilatéralisme se transforme en sacre du bilatéralisme sino-américain<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
SOS G20 en déroute : le temple du multilatéralisme se transforme en sacre du bilatéralisme sino-américain
©JIM WATSON / AFP

G2

Alors que le G20 du mois de juin dernier s'était achevé sur le coup de théâtre du tweet de Donald Trump invalidant le communiqué final, les dirigeants se retrouveront ce vendredi 30 et samedi 1er décembre en Argentine.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico: Dans un contexte d'attente forte de la rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump, en quoi ce sommet pourrait-il, à contre nature au regard des intentions originelles du G20, consacrer le bilatéralisme ?

Edouard Husson : Je ne partage pas l’analyse générale. Trump, au fond, c’est une sorte de de Gaulle américain, la vulgarité en plus. Il ne veut pas détruire l’ordre international, il veut réaffirmer les intérêts de son pays dans un ordre international rénové. Contrairement à ce qui a été souvent affirmé, Trump n’est pas protectionniste: il pense que les traités commerciaux signés par son pays sont obsolètes; il juge que certains pays, à commencer par la Chine, ne respectent pas les règles internationales. Trump nous surprend et nous agace parce qu’il a remis la souveraineté au coeur des relations internationales, après Poutine. Mais pour lui la souveraineté implique une réciprocité des engagements. Il ne rompt les traités commerciaux que pour en signer d’autres. Il dénonce, comme de Gaulle en son temps, les distorsions de l’ordre monétaire international. Evidemment, c’est plus facile d’être de Gaulle quand on est à la tête de la première puissance du monde. Encore faut-il placer la cohésion nationale au-dessus des intérêts particuliers. Et avoir le courage d’affronter les bien-pensants. Je ne crois donc pas du tout qu’on assiste à la fin de l’ordre international. Ce n’est la fin du multilatéralisme que dans la mesure où ce dernier signifie une connivence transnationale des élites pour figer l’ordre international à leur profit. Quant au fait qu’il y ait des discussions spécifiques entre les USA et la Chine, quoi de plus normal? Ce sont les deux plus puissantes économies du monde. Il devait y avoir aussi une rencontre entre Trump et Poutine. Elle est sans doute rendue impossible par les provocations ukrainiennes contre la Russie, que les Etats-Unis ne voudront ni couvrir ni condamner. 

Quels sont les signes de l'affaiblissement de multilatéralisme, et comment peut-on mesurer la responsabilité européenne dans cette situation ?

Il faut se réjouir de l’affaiblissement du multilatéralisme au sens d’un système figé et injuste, qui permet des abus de position dominante. Si le multilatéralisme est cet être chimérique dont la tête est la finance anglo-américaine et le corps la puissance industrielle combinée de l’Allemagne et de la Chine; si nous sommes condamnés à un condominium des GAFA et de leurs homologues chinois, les BATX, alors, oui, il faut se réjouir de la fin du multilatéralisme. Le problème de l’Europe, c’est qu’elle ne fait pas de politique. Sinon elle comprendrait que son intérêt est d’être avec Trump à la fois pour rééquilibrer la relation entre la Chine et l’Occident et pour contrôler le pouvoir des GAFA qui sont objectivement les ennemis les plus dangereux, en interne, pour le président américain.

Il y avait sans aucun doute un deal à passer avec Trump: le soutien de l’Europe à sa politique asiatique en échange de l’acceptation d’actions européennes pour casser le monopole des GAFA - leur affaiblissement sert objectivement le président pour sa réélection en 2020. Evidemment, cela impliquerait que la France réaffirme ses intérêts face à l’Allemagne. Il fallait répondre à la proposition de Trump d’une suppression des tarifs douaniers entre l’Europe et les Etats-Unis par une convergence dans la politique commerciale vis-à-vis de la Chine. Il fallait imposer à l’Allemagne une politique de change de l’euro  active, évitant des fluctuations trop fortes entre le dollar et l’euro et contrant la politique monétaire chinoise. Il fallait aider Trump à se rapprocher de la Russie. Regardez la confirmation de ce que nous disions il y a quelques jours ! Les occasions manquées ne reviennent pas. Emmanuel Macron n’a pas utilisé le 11 novembre pour faire se réunir le président américain et le président russe. A présent, c’est quasi-impossible du fait des tensions entre l’Ukraine et la Russie. La France et l’Allemagne ne tiennent pas l’Ukraine - à moins qu’elles se fassent sa complice pour d’obscures raisons. 

Dès lors, quels pourraient être les enjeux de ce sommet au travers de cette opposition entre multilatéralisme et bilatéralisme ?

L’Europe est affaiblie par trente ans de politique monétaire hostile à l’emploi et à la croissance. Dans l’économie mondiale actuelle, vous avez deux problèmes: la Chine et l’Allemagne. Elles préfèrent accumuler les exportations à favoriser les grands équilibres économiques. Pendant que Trump poursuit son bras de fer avec la Chine, j’imagine que la France ait un président aux idées d’avenir. Il relaierait le discours américain sur la nécessité, pour l’Allemagne comme pour la Chine, d’épargner moins et de dépenser/d’investir plus. Un président français soucieux de tourner le dos au monde ancien devrait profiter de cette occasion unique pour défendre la relance de la consommation en Europe, donc le desserrement et non le resserrement de la politique monétaire. Ce même président français aurait dû se battre pour un accord équilibré sur le Brexit. Le G20 de décembre 2018 aurait dû être l’occasion d’une célébration de deux accords commerciaux de libre-échange majeurs: entre l’UE et la Grande-Bretagne, d’une part; entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d’autre part. Il est vital, aujourd’hui, de refaire les forces de l’Occident, poumon de la démocratie dans le monde. Cela passe par le resserrement des liens commerciaux entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Europe, y compris la Russie.

Le multilatéralisme, c’est un monde figé où l’Allemagne pense que son intérêt est une alliance commerciale avec la Chine, quel qu’en soit l’effet sur le reste de l’Europe; c’est une Europe vulnérable où la politique de rareté monétaire et d’austérité budgétaire allemande amènent l’Europe méditerranéenne, et les Balkans en particulier, à rechercher des capitaux chinois pour avoir une bouffée d’oxygène. C’est une Europe continentale qui pense qu’elle peut se passer de la Grande-Bretagne. Le monde que nous devons construire, c’est un monde où la grande réconciliation entre la sphère anglophone, l’Europe continentale et la Russie permet de construire un autre pôle de la mondialisation, qui pèse autant que l’Asie/Pacifique. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !