Ce pacte mondial de l’ONU pour les migrations qui inquiète en dessous des radars du débat public français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Ce pacte mondial de l’ONU pour les migrations qui inquiète en dessous des radars du débat public français
©PEDRO PARDO / AFP

Mondialisation

Son contenu se révèle une aubaine pour les pays souhaitant “exporter” des émigrés… Moins pour les autres.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »

Atlantico : Le 10 et 11 décembre prochain se tiendra le sommet de Marrakech sur les migrations lors duquel sera ratifié par un certain nombre d'Etats le pacte de l'ONU sur les migrations. Le pacte, globalement neutre, est critiqué par certains Etats qui le considère comme trop favorable aux migrations. Pour quelles raisons un certain nombre de pays pourraient-ils avoir intérêt à ce que leurs habitants migrent ?

Laurent Chalard : Si, traditionnellement, les experts s’intéressent aux raisons qu’ont certains Etats à accueillir des migrants, qu’elles soient économiques ou démographiques, ou aux raisons qu’ont certaines populations à quitter leur pays de naissance, humanitaires, politiques ou économiques, par contre, il est plus rare de s’intéresser à l’intérêt pour les pays émetteurs de l’émigration de leur population. Or, manifestement, comme en témoigne le pacte de l’ONU sur les migrations, l’émigration est perçue comme un élément positif dans un certain nombre d’Etats de la planète pour des raisons variées.

La première raison, qui n’en est pas des moindres, est l’aubaine politique. En effet, dans des Etats autoritaires ou connaissant des conflits internes, nombreux dans les pays en voie de développement, le pouvoir en place peut avoir tout intérêt à pousser les opposants politiques à l’exil ou à faire fuir les minorités ethniques contestataires vers d’autres pays. Ce schéma est malheureusement très répandu dans le monde. Par exemple, en Afrique subsaharienne, où les dictatures sont pléthores, les opposants politiques sont systématiquement pourchassés, étant obligés de se réfugier dans des pays d’accueil sûrs. La principale diaspora de cette région du monde présente sur le territoire français, la diaspora congolaise, en constitue un exemple-type, se composant en large partie d’opposants aux régimes de Sassou N’Guesso au Congo-Brazzaville et de Kabila en République Démocratique du Congo. Un autre exemple fut la Turquie des années 1990, qui, dans un contexte de conflit armé avec un mouvement rebelle kurde, le PKK, dans l’est du pays, poussait les kurdes à émigrer vers l’Europe occidentale. L’émigration des éléments indésirables, entendus comme toute forme d’opposant, constitue donc une solution politique comme une autre pour des régimes autoritaires.

Économiquement, les migrations sont aussi une aubaine pour certains pays d'émigration ?

Outre l’aubaine politique, l’émigration peut être aussi plébiscitée par certains Etats pour des raisons économiques. En effet, dans un contexte de forte croissance démographique, héritée d’une fécondité élevée, et de faible croissance économique, à l’origine d’une progression limitée de l’emploi, le marché du travail se retrouve dans l’incapacité d’absorber la main d’œuvre de plus en plus nombreuse qui arrive chaque année en âge de travailler. Ce trop-plein de main d’œuvre conduit à une hausse du chômage, qu’il est possible de juguler partiellement en incitant à l’émigration une partie de la jeunesse. Un pays comme le Maroc en constitue un exemple-type, l’émigration servant d’exutoire pour une jeunesse trop nombreuse. L’émigration diminue la pression sur le marché de l’emploi et contribue en plus à limiter les éventuelles contestations politiques qui pourraient émerger de la part d’une jeunesse mécontente de sa situation socio-économique. L’émigration du trop-plein de main d’œuvre se présente donc comme une politique parmi d’autres pour résoudre le problème du sous-emploi, d’autant que les émigrants partis vers des pays à salaires plus élevés renvoient une partie de leurs revenus dans leur pays d’origine, faisant vivre de nombreuses familles sur place et contribuant donc à limiter la pauvreté.

Plus généralement, ne retrouve-t-on pas aussi une forme d'opposition à la frilosité des pays occidentaux/riches aujourd'hui ?

Un dernier élément relève moins d’un intérêt réel que d’une posture idéologique dans un contexte de tensions politiques avec les pays riches occidentaux dans des Etats dont les gouvernements s’inscrivent dans une logique tiers-mondiste. Pour leurs dirigeants, il n’y a aucune raison pour que les citoyens des pays riches puissent se déplacer et s’installer partout dans le monde sans entraves alors que les citoyens des pays pauvres sont obligés de justifier leurs déplacements lorsqu’ils se rendent dans un pays riche avec interdiction d’y rester si bon leur semble. Pour ces Etats, la politique des pays riches est hypocrite et raciste. Même si dans les faits, les choses sont plus complexes, puisque les citoyens riches des pays pauvres arrivent généralement à se déplacer et s’installer dans d’autres pays relativement facilement, témoignant plus à l’échelle internationale d’une opposition entre des populations riches à la mobilité facilitée et des populations pauvres à la mobilité contrôlée, il n’en demeure pas moins que c’est un argument sensible.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !